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Préservation du loup et de l'ours et pastoralisme : un nouvel équilibre à trouver, défend un rapport parlementaire

Selon un rapport de mission sur les conséquences financières et budgétaires de la présence des grands prédateurs sur le territoire présenté ce 24 février par la députée LR de Savoie Emilie Bonnivard, le principe de la cohabitation sur les mêmes espaces des loups, des ours et du pastoralisme doit être revu, faute de quoi ce dernier serait menacé à moyen terme.

"L'équilibre entre la préservation des espèces protégées et le maintien des activités pastorales impose de dépasser une vision manichéenne et totémique de la relation entre l'homme et la nature, et de mener à ce sujet une politique publique cohérente, efficace et transparente", a estimé ce 24 février la députée LR de Savoie Emilie Bonnivard en présentant son rapport de mission sur les conséquences financières et budgétaires de la présence des grands prédateurs sur le territoire national. Au terme de cette mission lancée le 29 janvier 2020, qui a conduit à l'audition d'une trentaine de personnes – représentants de l'Etat, des fédérations professionnelles (FNSEA), de la fédération des chasseurs, des associations de protection de la nature et de l'environnement, de la Commission européenne, des collectivités locales (présidents de parcs naturels, fédérations d'élus locaux) et des chambres d'agriculture, ainsi que des éleveurs, rencontrés lors d'un déplacement à Foix et à Toulouse -, la rapporteure estime que, plus de 30 ans après l'identification d'un premier loup dans le Mercantour, "l'équilibre recherché entre protection des prédateurs et  sauvegarde de pratiques pastorales n'est pas atteint".
 

"Prédation polymorphe"

Tout d'abord, met-elle en avant, "le pastoralisme est confronté à l'accroissement exponentiel d'une prédation polymorphe". "A la faveur de leur réapparition ou réintroduction sur le territoire national et de leur protection à l'échelle internationale et européenne, le développement rapide des loups, des ours et, dans une moindre mesure, des lynx, cause des dommages majeurs aux éleveurs qui doivent dès lors adapter leurs pratiques", constate Emilie Bonnivard. Selon les estimations officielles établies par l'Office français de la biodiversité (OFB), le nombre de loups aurait progressé de 113% entre 2015 et 2021, passant de 293 à 624 individus, et le nombre de zones de présence permanentes de loups a aussi littéralement explosé au cours de la même période, passant de 42 à 125, soit une augmentation de près de 200%.
Dans une moindre mesure, la population d'ours (64 individus recensés, soit un doublement depuis 2005) et sa concentration massive sur certains territoires – le Couserans, en Ariège, notamment – pose de graves difficultés aux éleveurs, souligne la rapporteure.

"Explosion" du nombre d'attaques et conséquences économiques

Car la croissance continue de la population de ces grands prédateurs, lynx compris – après sa réintroduction dans les Vosges, on le trouve aussi dans le Jura et le nord des Alpes – et la multiplication de leurs zones de présence a aussi entraîné une "véritable explosion" du nombre d'attaques, souligne la rapporteure. En 2021, 3.572 attaques de loup ont été comptabilisées et 10.900 animaux tués lors de ces attaques contre 984 attaques et 3.791 victimes en 2010, soit des hausses respectives de 263% et 188%. La prédation, qui touche également un nombre croissant de territoires (44 départements en 2021 contre 12 en 2009), entraîne des difficultés économiques, "avec des impacts forts sur certaines zones pastorales comme l'Aveyron et la Lozère où se trouvent les filières Roquefort", relève la rapporteure.
Alors que l'on observe déjà depuis une vingtaine d'années une baisse tendancielle du nombre d'exploitations ovines (39.234 en 2019 contre 95.700 en 2000), les surcoûts induits par la présence du loup pour les éleveurs sont évalués entre 4.000 et 16.000 euros par an.
En outre, les nouvelles techniques qu'ils utilisent pour la protection des troupeaux (présence de chiens) sont aussi sources d'accidents parfois graves avec les randonneurs et même dans les villages. "Ces accidents mettent les maires et éleveurs dans des situations extrêmement difficiles, sans outil juridique adapté à ce nouveau contexte (absence de statut des chiens, non-définition de la responsabilité, etc.)", pointe le rapport.
"Cette situation est d'autant plus préjudiciable que le pastoralisme est porteur d'aménités positives pour les espaces naturels dans lesquels il est exercé, en contribuant à l'entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité", relève la députée.

Une politique publique "à l'efficacité relative"

Selon la rapporteure, la prolifération des prédateurs sur le territoire national et la généralisation de ses conséquences néfastes a nécessité le déploiement d'une politique publique d'encadrement et de limitation des effets de la prédation "à l'efficacité relative au regard du rapport coût public/nombre d'attaques et de victimes". 56 millions d'euros ont ainsi été consacrés à cette politique en 2020, avec un reste à charge de 7,86 millions d'euros pour les éleveurs engageant des dépenses pour se protéger (achat de clôtures, de chiens de protection, de cabanes pastorales, etc.). Les chasseurs engagent de leur côté 2 millions d'euros dans les opérations de tirs. Au total, si l'on y ajoute les dépenses de personnels dédiés à cette politique dans l'administration, la rapporteure évalue son montant à un minimum de 66 millions d'euros.  
Alors que la prédation n'a cessé d'augmenter et de s'étendre et que certaines espèces comme le loup ne sont plus considérées comme menacées, la députée s'interroge sur "l'efficience actuelle de la méthode choisie pour sauver le pastoralisme" : "A quel horizon (nombre et aire géographique de présence), la Commission européenne estimera-t-elle que ces espèces se trouveront dans un état de conservation satisfaisant, permettant une défense plus adaptée du pastoralisme et une régulation comme les autres espèces sauvages ? Le refus de la Commission d'apporter une réponse à cette question est éloquent et doit nous interroger sur la fuite en avant de cette politique publique qui ne parvient pas à trouver un équilibre entre loups, ours et pastoralisme."

Demande de réévaluation du classement du statut des espèces strictement protégées

Emilie Bonnivard estime qu'à moyen terme, l'avenir du pastoralisme, un "secteur majeur de l'agriculture française" avec un potentiel économique de 8,5 milliards d'euros et plus de 250.000 emplois, est remis en question. Elle formule dans son rapport 26 propositions "pour réformer la politique de protection du pastoralisme et pour réévaluer à une échelle pertinente la protection des grands prédateurs". Un premier axe de propositions consiste à réviser les modalités d'estimation de la population et de la gestion de ces animaux, en demandant notamment à l'Union européenne de réévaluer le classement du statut des espèces strictement protégées dans la directive "Habitats" en fonction de la réalité de leur état de viabilité biologique au niveau européen, et de revoir les modalités d'estimation de la population de loups, aujourd'hui controversée – les chasseurs estiment que leur nombre est deux fois plus important que ce qu'établissent les chiffres officiels. Le rapport préconise donc une meilleure valorisation des indices de présence et un pilotage plus large, sous l'autorité du préfet.

Un "plan cabanes" étendu à tous les massifs

Il demande aussi une amélioration des dispositifs de protection et un renforcement de leur efficacité. Dans les zones particulièrement sujettes à la prédation de l'ours, la députée recommande le même dispositif que pour le loup, à savoir la création à l'intérieur des zones de "cercles zéro", dans lesquels le montant des aides à la protection est renforcé. Elle juge aussi nécessaire d'instaurer et de financer un "plan cabanes" généralisé à l'ensemble des massifs. Le rapport rappelle qu'en Occitanie, par exemple, 50% des bergers salariés ne sont pas logés conformément à la réglementation, 40% des cabanes sont à rénover, et 50 cabanes supplémentaires seraient nécessaires pour répondre aux besoins. Si la construction d’une cabane peut être réalisée par les éleveurs, les communes sont souvent à l’origine des projets et assurent leur financement. L’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales indique que toute collectivité territoriale maître d’ouvrage d’une opération d’investissement doit assurer une participation minimale au financement de ce projet à hauteur de 20% du montant total des financements apportés par des personnes publiques à ce projet. "Ce reste à charge a toutefois pour effet d’empêcher la réalisation de certains projets, certaines petites communes de montagne ne pouvant y faire face", indique le rapport. Pour répondre à cette difficulté, l’article 229 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a aménagé les conditions de la participation publique au financement des cabanes pastorales. Cet article permet d’étendre aux équipements pastoraux les possibilités de dérogations accordées par le représentant de l’État dans le département à cette participation minimale du maître d’ouvrage "si son importance est disproportionnée par rapport à la capacité financière du maître d’ouvrage". Une avancée, qui devrait permettre d’augmenter le nombre de cabanes en fonctionnement sur le territoire national. La rapporteure recommande de compléter cette mesure par un recensement du nombre de cabanes en fonctionnement et de leur état, afin d’identifier les besoins. "Ce travail de recensement pourrait donner lieu aux opérations de construction et de rénovation nécessaires, par le biais de financements de l’État", souligne-t-elle.

Simplification des protocoles de tirs

Enfin, le rapport présente plusieurs préconisations visant à réviser et élargir les dispositifs d'indemnisation et une série de mesures de simplification des protocoles de tirs pour mieux protéger les troupeaux soumis à une forte pression de prédation. Parmi celles-ci, il propose de recruter et de former au niveau local davantage de lieutenants de louveterie ayant une bonne connaissance des terrains d'intervention et de financer non seulement leur matériel et leur déplacement mais aussi de mettre en place une indemnité d'intervention prise en charge par l'Etat.  Il recommande également d'installer une antenne de la brigade mobile d'intervention "grands prédateurs" en Ariège, à proximité des zones les plus soumises à la prédation par l'ours.