Premiers enseignements sur les émeutes du début de l’été
Une première étude conjointe de l’IGA et de l’IGJ confirme que les émeutes du début de l’été, d’une violence souvent sans précédent, n’ont pas épargné le monde rural : 23% des infractions ont été enregistrées en zone gendarmerie. Sous l’apparence d’un "gigantesque défouloir" – très faiblement motivé par l’interpellation mortelle du jeune Nahel –, elle relève notamment le caractère organisé des pillages – qui représentent plus de la moitié des infractions constatées – et des violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique.
Missionnées par les ministres de l’Intérieur et de la Justice, l’Inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale de la justice (IGJ) ont rendu après 4 semaines de travaux leurs premières conclusions sur les violences urbaines qui ont embrasé la France du 27 juin au 7 juillet derniers.
Un embrasement soudain, un "gigantesque défouloir"… qui n’exclut pas une organisation certaine
L’étude rappelle combien l’embrasement a été soudain, dans 16 départements la première nuit, répartis sur le périmètre de 6 zones de défense sur 7, l’Île-de-France étant la région la plus touchée. Et ce, alors qu’il "n’y a pas eu de signe avant-coureur au cours des mois précédents". Il est intervenu dans "une période de désœuvrement entre la fin des scolarités en collège et lycée et le début des dispositifs d’occupation estivale de la jeunesse". L’étude estime que les réseaux sociaux ont joué "un rôle important" dans son déclenchement "puis visiblement aussi dans la logistique et la propagation du mouvement". Ils ont servi "de carburant à la mobilisation […], alimentant la concurrence entre villes ou quartiers et engendrant la surenchère dans les dégradations". Elle juge toutefois "difficile d’apprécier dans quelle mesure ils ont été des vecteurs d’organisation". En la matière, si l’étude évoque "un gigantesque défouloir", avec "des modus operandi rarement observés (utilisation généralisée de mortiers d’artifice, agressions systématiques sur des personnes dépositaires de l’autorité publique"), elle relève d’une part que les pillages ont été "le plus souvent le fait de délinquants organisés et chevronnés", certes suivis par des "opportunistes", et d’autre part que "les violences exercées à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique étaient organisées", notamment dans le cadre de guet-apens.
Des violences qui n’épargnent plus les communes rurales
Parti des villes, le mouvement s’est cette fois rapidement étendu, à tel point qu’il devient difficile de parler de "violences urbaines". 66 départements métropolitains et 516 communes ont été touchés par les émeutes, contre respectivement 25 et un peu plus de 200 par celles de 2005. Certes, les agglomérations urbaines restent les premières concernées (70% des infractions commises dans celles de plus de 100.000 habitants) – "dont nombre ont le label quartier prioritaire de la ville ou sont classées comme quartiers de reconquête républicaine". Mais les communes rurales (3.862 touchées) ne sont plus épargnées. 7% des infractions ont été commises dans ces dernières et 15% dans des unités urbaines de moins de 50.000 habitants. Autre indicateur : 23% des infractions ont été enregistrées en zone gendarmerie (et 14% des mis en cause).
Des 395 dossiers individuels (de personnes condamnées) examinés par la mission, il ressort que la moitié des personnes condamnées l’ont été pour des faits commis dans leur commune de résidence, l’autre moitié ayant principalement usé d’un véhicule particulier (36%), de ses pieds (30%) ou de transports en commun (5%) pour propager le mouvement.
Un passage à l’acte peu lié au décès de Nahel
Si l’interpellation mortelle de Nanterre a été l’élément déclencheur, l’étude note que "les circonstances et les conséquences du contrôle du jeune Nahel sont peu revendiquées" par les protagonistes. Elles sont invoquées dans moins de 8% des cas, et plutôt par les auteurs résidant à Nanterre ou en région parisienne. L’étude indique d’une manière générale que "les motivations sont peu affirmées". Singulièrement la contestation de l’action des forces de l’ordre ou la volonté de destruction, "pourtant présentées comme un leitmotiv dans les séquences vidéo ou audio interceptées sur les réseaux sociaux ou enregistrées dans les mémoires des téléphones". L’étude relativise toutefois le constat, y voyant une conséquence d’une "stratégie de défense avant exercice de poursuites puis à l’audience". Une analyse confortée par des acteurs judiciaires franciliens, qui décèlent "un ressentiment ancien à l’égard des forces de l’ordre".
L’élément d’opportunisme (41%) est ainsi la première explication fournie par les mis en cause (singulièrement pour les vols, infraction majoritaire), devant l’influence du groupe (29%), la curiosité (sic) et recherche d’adrénaline (23%). Les motivations idéologiques et politiques sont elles aussi peu exprimées (0,3%). L’étude dépeint des "auteurs peu sensibles aux tentatives de récupération", mais souligne la présence d’activistes d’ultra-gauche dans les salles d’audience – dont certaines ont dû être évacuées – ou encore le fait que des "vecteurs de communications de certains groupes ou partis politiquement engagés, contestant l’action des forces de sécurité intérieure, a pu contribuer ou à légitimer l’emploi de la violence contre toute représentation des institutions". Est également pointé le fait que les mineurs ou jeunes majeurs "apparaissent souvent sous influence de messages audiovisuels et musicaux vantant les trafics de stupéfiants, banalisant la violence et très hostiles aux forces de sécurité intérieure".
Une décrue du phénomène presqu’aussi soudaine que son émergence
La décrue du phénomène insurrectionnel fut presqu’aussi soudaine que son émergence. Elle est expliquée par différents facteurs : l’efficacité de la stratégie de rétablissement de l’ordre consistant à "vider la rue" ; une réponse judiciaire "rapide, cohérente et forte" (voir infra), avec des chefs de juridiction qui n’ont "pas hésité à communiquer", ou encore l’arrêt prématuré des transports en commun et les contrôles d’identité systématiques en centre-ville. Sans exclure le fait que "les munitions" (mortiers) ont manqué dans certains ressorts, "la fatigue, la lassitude des auteurs et la perspective des départs en vacances" ou encore "l’action des organisateurs des trafics de stupéfiants, soucieux de voir reprendre leurs activités".
Un nombre d’infractions "considérable", vols en tête
In fine, 58.297 infractions ont été enregistrées en France métropolitaine pendant les émeutes (12.233 mis en cause), donnant lieu à 3.354 interpellations. Un chiffre considérable, d’autant plus que l’étude souligne qu’au début des violences – d’une acuité à laquelle les forces de l’ordre n’ont souvent jamais été confrontées, certains commissariats étant comparés à Fort Alamo –, l’objectif prioritaire a été, "pour des raisons évidentes", la sauvegarde des personnes et des biens, objectif qui a "pris le pas sur la judiciarisation des faits".
Les vols aggravés représentent plus de la moitié des infractions constatées, devant les dégradations de biens privés (près de 25%), elles-mêmes bien plus nombreuses que les dégradations de biens publics (moins de 5%). Les auteurs de l’étude estiment néanmoins qu’ "à l’évidence, la volonté des auteurs de violences urbaines de porter atteinte à tout ce qui représente l’autorité publique a été prépondérante", en précisant qu’ "il s’agit là d’une constante dans les épisodes de violences urbaines". Les atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ont représenté 1.973 faits et les violences à l’encontre des élus et personnes chargées de mission de service public 684 faits.
En un mois, les parquets ont été saisis de 4.164 auteurs, pour un total de 5.832 infractions. 3.847 ont fait l’objet d’une réponse pénale, les parquets privilégiant les procédures rapides. Sur les 2.519 majeurs (65%) poursuivis devant une juridiction de jugement au 31 juillet, 1.249 ont été jugés et condamnés, dont un peu plus de 60% à une peine d’emprisonnement ferme (d’une durée moyenne de 8,9 mois). L’étude pointe le fait qu’un "certain nombre de procédures n’étaient pas suffisamment étayées pour permettre au parquet d’engager des poursuites sans risque d’aboutir à des situations de relaxe".
Un profil sociodémographique "habituel", un profil judiciaire "contrasté"
L’analyse des 395 dossiers examinés révèle que 75% des personnes condamnées sont nées en France. "Une grande majorité des émeutiers interpellés sont des jeunes individus de nationalité française, mais originaires de l’immigration (deuxième ou troisième génération), principalement du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne", précise la préfecture de police pour sa zone de compétence. 91% des mis en cause sont des hommes, avec un âge moyen de 23 ans (29% ne sont pas majeurs et seuls 27% sont âgés de 25 ans ou plus). Sur l’échantillon, 87% se déclarent célibataires sans enfant à charge, majoritairement hébergés au domicile parental. 18% sont lycéens ou étudiants, 40% sont employés, 25% se déclarent inactifs, 14% sont chômeurs et 3% auto-entrepreneurs. Par ailleurs, 29% ne détiennent aucun diplôme et 38% sont titulaires d’un diplôme inférieur au baccalauréat (BEP, CAP, brevet des collèges).
57% de l’échantillon n’ont pas d’antécédent judiciaire. Pour les autres, "dont le casier judiciaire comporte une ou plusieurs mentions", les condamnations sont récentes, non sans logique vu l’âge des protagonistes. L’étude souligne toutefois que "les investigations en cours sont susceptibles de révéler des profils de délinquants plus chevronnés", qui ont pu constituer le noyau dur le plus déterminé parmi les participants et jouer le rôle d’organisateur, meneur ou instigateur.
Elle relève encore que "de nombreux mineurs impliqués étaient souvent sans aucun lien avec les services sociaux et étaient inconnus des travailleurs sociaux implantés dans les quartiers".