Pour pouvoir recruter massivement, l'ESS a encore du travail
Avec 700.000 départs à la retraite d'ici à 2025, l'économie sociale et solidaire va recruter dans les prochaines années, en particulier dans le secteur social et médico-social. Pour cela, ses entreprises vont devoir s'attaquer à des défis importants : visibilité et attractivité des parcours professionnels, qualité de vie au travail, diversification des activités et des ressources financières, impact du numérique… L'Udes a fait le point le 9 mars 2017 sur ces enjeux et signé une convention de partenariat avec Pôle emploi.
L'Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire (Udes) a tenu le 9 mars 2017 à Paris une conférence intitulée "L'ESS, des emplois pour demain – Stratégie et propositions pour changer d'échelle".
L'occasion de renouveler sa convention de partenariat avec Pôle emploi pour la période 2017-2020 autour de deux axes : le renforcement de la visibilité et de l'attractivité des métiers de l'ESS auprès des demandeurs d'emploi et des prescripteurs et l'accompagnement des employeurs de l'ESS dans leurs opérations de recrutement. Outre le développement du portail de l'emploi animé par l'Udes, une expérimentation sera prochainement conduite sur un territoire afin de tester les effets d'une "relation intense entre agences de Pôle emploi et environnement ESS", a précisé Jean Bassères, directeur général de l'opérateur du service public de l'emploi.
Avant cela, la matinée avait permis à l'Udes de mettre l'accent sur les principaux défis qui se posent au monde de l'ESS. Dans son rapport "Les métiers en 2022" d'avril 2015, France Stratégie mettait en avant le scénario probable de 484.000 créations nettes d'emploi dans les métiers de la santé et de l'action sociale, culturelle et sportive entre 2012 et 2022, auxquelles s'ajouteraient 174.000 créations nettes de postes d'aides à domicile. Des métiers qui sont largement exercés aujourd'hui dans des structures de l'ESS. Dans l'environnement mutualiste et coopératif, "un tiers de l'encadrement est à renouveler", a ajouté Hugues Vidor, président de l'Udes. Pour ce dernier, qui évoque le chiffre de 700.000 départs à la retraite d'ici à 2025 (1), les opportunités d'emplois dans l'ESS ne concerneront pas tous les secteurs, avec une "raréfaction" du travail pour certains d'entre eux.
Un enjeu crucial de formation
Le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) a récemment dévoilé les résultats de son étude sur l'impact de l'automatisation et de la numérisation sur l'emploi. Globalement dans l'économie française, le COE estime que 10% des emplois actuels pourraient être menacés, tandis que la moitié des emplois actuels seraient "significativement transformés". Selon Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du COE, les perspectives de l'ESS sont proches de celles de l'économie en général : les emplois "les plus exposés" seraient "les moins qualifiés" et les métiers "susceptibles d'évoluer" concerneraient différents niveaux de qualification. Il y a ainsi, selon elle, "un enjeu extrêmement profond de formation, d'acquisition de compétences". La présidente du COE estime par exemple que "le métier d'aide à domicile va se transformer complètement", en particulier "dans le sens d'une meilleure personnalisation". "Pensez aux nouveaux services que vous pouvez proposer grâce à la numérisation et l'automatisation", a-t-elle conseillé aux employeurs de l'ESS.
Sur le terrain de l'innovation, "nous n'avons pas suffisamment expérimenté", a regretté Myriam El Khomri en ouverture de la conférence. La ministre du Travail a toutefois cité les contrats à impact social, "l’intégration de tout un écosystème de start-ups de l'ESS qui participent de plus en plus à l’élaboration et la mise en œuvre de nos politiques, tel Emmaus Connect ou Bayes Impact", ainsi que l'expérimentation "Territoires zéro chômeur de longue durée".
Diversifier l'offre de services
D'après les témoignages de plusieurs dirigeants, les entreprises de l'ESS se renouvèlent régulièrement, mais ces évolutions semblent moins concerner les métiers en eux-mêmes que l'environnement de travail. Avec toujours l'idée que la démarche collective offre des solutions. Contrainte de quitter le centre-ville de Beauvais pour s'installer dans une zone industrielle, la Ligue de l'enseignement de l'Oise y a finalement décelé une opportunité de projet. En partenariat avec des artisans du secteur, l'association a monté "la maison de Ther" composée d'une crèche et d'une conciergerie inter-entreprises pour les salariés du secteur.
De la même façon, suite aux difficultés qui ont affecté l'ensemble du secteur de l'aide à domicile en 2012, l'ADMR de l'Aube "a pris conscience qu'[elle] ne pouvait pas être dépendante du principal financeur", le département. L'association d'aide à domicile a ainsi "mutualisé" et "développé des activités pour les personnes actives" - ménage, bricolage, jardinage, garde d'enfants à des horaires atypiques… -, précise Pauline Steigner, sa présidente.
Certaines activités conduites dans le contexte de l'ESS peuvent aussi être perçues comme des innovations qui ont du mal à percer. Ainsi des centres de santé mutualistes dans le Var ont bien du mal à recruter des médecins, notamment des chirurgiens-dentistes. Selon Marie-Christine Guiseppi, qui dirige le groupement Ugosmut, il y a "un enjeu culturel, très difficile à dépasser" - puisque les professionnels de santé sont salariés lorsqu'ils travaillent dans le cadre mutualiste salariés -, alors même que les conditions seraient avantageuses et que le gouvernement cherche à développer les maisons de santé. "Une barrière est tombée, nous allons pouvoir devenir maître de stage", nuance la dirigeante qui espère ainsi sensibiliser des internes aux atouts de l'exercice en milieu mutualiste.
Visibilité, attractivité et qualité des conditions de travail
Pour les employeurs de l'ESS, il est donc urgent de faire connaître les opportunités qui existent dans leurs différents secteurs. Et, pour renforcer l'attractivité de ces métiers, ils sont conscients d'avoir encore des efforts à déployer sur les conditions de travail.
Le dernier baromètre de la Mutuelle Chorum sur la qualité de vie au travail "souligne le fort niveau de satisfaction des salariés à l’égard des conditions de travail et leur fierté d’appartenir à une entreprise de l’ESS, mais nous alerte aussi sur la nécessité de rester extrêmement vigilants dans ce domaine", a estimé Martine Pinville, secrétaire d'Etat en charge de l'ESS, venue clore la matinée d'échange. Selon ce baromètre, 49% des salariés et 34% des dirigeants ressentent actuellement une "dégradation de leur qualité de travail", du fait principalement des changements d'organisations pour les salariés et des relations avec les pouvoirs publics et les financeurs pour les dirigeants.
L'Udes a commencé à s'attaquer à ce vaste chantier en négociant un accord-cadre sur l'égalité hommes-femmes. Déléguée interministérielle à l'ESS, Odile Kirchner rappelle que le "guide d'amélioration des bonnes pratiques des entreprises de l'ESS" propose des pistes en la matière. Selon elle, les employeurs doivent avoir aussi à coeur de mettre en avant des perspectives d'évolution de carrières. Odile Kirchner suggère enfin à tous les acteurs de l'emploi de "construire par territoire des espaces de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences".
(1) Chiffre mis en avant par l'Observatoire national de l'ESS, porté par le Conseil national des chambres régionales de l'ESS (CNCRESS), dans un rapport de novembre 2016 intitulé "Départs à la retraite et opportunités d'emploi dans l'économie sociale et solidaire". L'Observatoire entend "mettre à disposition des acteurs des données précises, afin d’anticiper leurs besoins qui peuvent être de plusieurs ordres : formation, communication, management, GPEC, attractivité de l’emploi".