Pour Philippe Le Grand et Antoine Darodes, la sécurisation des réseaux télécoms demandera une péréquation
Une étude Infranum / Banque des Territoires publiée ce mardi 4 juillet 2023 établit pour la première fois une géographie des risques auxquels sont soumis les nouveaux réseaux en fibre optique. Philippe Le Grand, président d'Infranum, et Antoine Darodes, directeur des investissements transition numériques et télécommunications à la Banque des Territoires, en décryptent les enjeux en exclusivité pour Localtis.
Localtis - Comment peut-on définir la résilience ?
Philippe Le Grand - La résilience c'est la capacité des réseaux de télécommunication à résister à des crises comme la pandémie de 2020 ou encore des événements climatiques extrêmes comme la tempête Alex en 2020. Elle se traduit par des redondances ou le fait d'enterrer les réseaux. C'est un sujet qui concerne tous les Français, car les risques vont s'amplifier dans les années à venir et il s'agit de préparer les réseaux à les supporter.
Antoine Darodes - L'enjeu est de maintenir un service au regard de l'infrastructure en place et de penser à des "itinéraires bis", comme le mobile ou le satellite, si l'infrastructure de référence tombe. Or le service comme l'infrastructure de référence ont évolué. Avant, avec le cuivre, il n'y avait que le téléphone. Une panne de deux jours où l'on ne pouvait pas téléphoner n'était pas dramatique. Désormais, avec la fibre, il faut assurer la continuité d'une multitude de services parmi lesquels d'aussi critiques que la télémédecine ou le maintien à domicile pour lesquels la tolérance à la panne est de quelques heures.
Pourquoi n'y a-t-on pas pensé plus tôt ?
Antoine Darodes - L'objectif du plan France très haut débit pour tous lancé il y a 10 ans était de déployer la fibre optique le plus rapidement possible en réutilisant le plus possible les infrastructures existantes. C'est pour cette raison qu'en Bretagne les déploiements sont, par exemple, majoritairement en aérien alors que c'est une région particulièrement soumise aux tempêtes. Mais enterrer de la fibre dans du granit coûte très cher. Il s'agit désormais de durcir ce qui a été construit avec un plan d'investissement étalé dans le temps. La plupart des réseaux FTTH sont publics, s'ils ne fonctionnent pas, c'est vers les élus que l'on se tournera, il est donc essentiel de se préoccuper de leur résilience.
Qu'apporte cette nouvelle étude ?
Philippe Le Grand - Nous avons publié une première étude il y a un an définissant la résilience. Nous avons souhaité aller plus loin en posant les bases d'un plan de résilience opérationnel. À l'aide de données ouvertes, des cartes ont été élaborées pour identifier les départements soumis aux aléas climatiques : inondation, neige, vent, glissements de terrain… Sans surprise, on retrouve une concentration des risques sur la trentaine de départements situés sur le littoral et dans les massifs montagneux. Nous avons aussi identifié des risques qui affectent davantage les zones urbaines comme les accidents de la route ou les actes de malveillance… Derrière chaque catégorie de risque, nous proposons des pistes d'action comme le fait d'enterrer les réseaux, de sécuriser l'accès aux nœuds de raccordement ou de déplacer des points de mutualisation en dehors des zones inondables.
Antoine Darodes - Tous les territoires ne sont pas soumis aux mêmes risques, pour certains, les risques sont cumulatifs. Au-delà de cette étude nationale qui constitue une première approche, il faut un diagnostic fin et spécifique à chaque territoire pour éclairer les élus et leur permettre d'établir un plan d'actions. À l'évidence, le chemin vers la résilience ne sera ensuite pas le même pour tous les territoires.
Comment financer ce chantier qui se chiffre à plusieurs milliards d'euros ?
Philippe Le Grand - Cette étude établit plusieurs scénarios avec un chiffrage – sur 10 ans – qui va de 16,9 milliards d'euros pour le plus ambitieux à 6,9 milliards d'euros, en passant par un scénario intermédiaire de 9,9 milliards d'euros. Mais la question centrale est celle de la péréquation car il y a de fortes disparités géographiques dans l'exposition aux risques. Il faut que l'État aide chaque territoire à se saisir du sujet car c'est aux élus de décider. Concernant le financement ensuite, il n'est pas normal que la fiscalité sur le numérique, telle que l'Ifer [imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux] qui croît de manière exponentielle, ne bénéficie pas au numérique. On pourrait l'affecter au financement des réseaux. J'ajoute que ce chantier va créer des emplois, entre 2.300 et 5.600 selon nos estimations, ce n'est pas négligeable !
Antoine Darodes - J'insiste moi aussi sur la péréquation : si un département montagnard très exposé aux risques doit financer tout seul sa résilience, ça va être un obstacle considérable. Cette péréquation n'est cependant pas hors de portée. Pour mémoire, en 1996 on consacrait 1,5 milliard en équivalents euros à la péréquation tarifaire sur le réseau cuivre. C'est aux politiques de placer le curseur et de définir le niveau de solidarité territoriale.