Fonds européens - Politique régionale : partition compliquée pour le commissaire Hahn

La Commission cherche à orienter l'affectation des aides régionales vers les secteurs qu'elle juge stratégiques. Un carcan que la plupart des Etats membres refusent.

La politique régionale, combien de divisions ? Beaucoup, à en juger par les propos des ministres européens, réunis le 16 décembre à Bruxelles. Pour l'immense majorité d'entre eux, la réforme qui se profile sur la période 2014-2020 cadenasserait trop la finalité des fonds régionaux. Afin de lutter contre le saupoudrage des dépenses, la Commission européenne a souhaité recentrer la politique de cohésion sur des thématiques prioritaires. Résultat, dans les territoires avancés, 80% de l'enveloppe nationale du Fonds européen de développement économique régional seraient consacrés aux PME, aux énergies renouvelables, à l'efficacité énergétique, à la recherche et à l'innovation.
Un système jugé trop rigide à bien des égards. "Les Etats membres et les régions veulent développer des solutions sur-mesure", a indiqué Bernhard Heitzer, secrétaire d'Etat allemand en charge de l'économie et des technologies. Un constat partagé par une vingtaine de collectivités signataires d'une tribune en faveur des territoires dits "en transition", dont le PIB par habitant est compris entre 75% et 90% de la moyenne communautaire. "S'agissant de la concentration thématique imposée pour l'utilisation des fonds, nous déplorons le fait que nos régions continuent à être traitées de la même manière que les régions les plus développées, bien que toutes les conditions structurelles pour la mise en place d'une croissance intelligente, durable et inclusive n'y soient pas encore réunies", écrivent-elles. Pour d'autres acteurs, cette spécialisation accrue est difficilement compatible avec la coopération transfrontalière, qui mobilise "un nombre plus important de secteurs" et insiste sur la "connaissance mutuelle des populations", rappelle la mission opérationnelle transfrontalière.
S'ils restent minoritaires, les alliés de la Commission comptent un pays stratégique, le Danemark, qui assurera la présidence de l'UE dès janvier. La proposition offre "la souplesse suffisante pour embrasser les spécificités des régions", a tenu à souligner le ministre danois des Affaires européennes, Nicolai Halby Wammen.

L'Italie isolée

La France se montre elle aussi attachée à la concentration des ressources sur un nombre réduit de domaines, mais le pays insiste sur le maintien de crédits dédiés "aux infrastructures et à l'agenda numérique". En outre, Paris ne tient pas - comme la plupart de ses partenaires européens -, à ce que les recommandations de réforme adressées chaque année par la Commission aux Etats conditionnent l'attribution des aides. En juin dernier, Bruxelles avait ainsi estimé que le Smic était un frein à la compétitivité française…
Un autre motif de contestation coalise la quasi-unanimité des Etats contre la Commission. D'ici un mois environ, le commissaire Johannes Hahn précisera la future architecture de la politique régionale, déclinée dans un "cadre stratégique commun". L'un des enjeux repose sur l'usage combiné de fonds (Feder, FSE pour l'emploi, Fonds de cohésion pour les transports, Feader pour la ruralité, Fonds pour la pêche) aujourd'hui trop compartimentés pour être utilisés facilement au service d'un même projet.
Sans s'opposer à cette évolution, les gouvernements réagissent vivement à la méthode retenue par la Commission, qui privilégie la formule rapide de "l'acte délégué" à l'adoption longue et fastidieuse d'un règlement, mais qui offre au Parlement et au Conseil le loisir d'amender le texte. En guise de compromis, les gouvernements suggèrent d'annexer le cadre stratégique commun au règlement général sur la politique de cohésion.

Fracture

Isolée, l'Italie interprète la situation différemment. "N'y a-t-il pas un malentendu ?", s'est étonné Fabrizio Barca, désigné ministre de la Cohésion territoriale avec l'avènement du gouvernement Monti. Inutile, pour ce spécialiste reconnu de la politique régionale de l'UE, de s'enliser dans un combat législatif sur un texte qui n'aura qu'un "caractère méthodologique".
Des lignes de fracture apparaissent également sur la suspension des aides régionales européennes venant sanctionner les Etats en déficit excessif. Le couple franco-allemand est devenu la cheville ouvrière du projet, mais d'autres Etats, dont le poids politique est certes plus modeste, ont exprimé leur désaccord profond avec cette approche. L'Irlande a ainsi fait part de ses "fortes réserves", pendant que la Roumanie et Malte ont dénoncé le caractère discriminatoire des sanctions, qui visent exclusivement la politique de cohésion, épargnant ainsi les subventions agricoles.
Ce premier débat d'orientation ne s'est en revanche pas attardé sur le sort des régions intermédiaires. Le commissaire Hahn et François Fillon semblent avoir abordé le sujet la semaine dernière, mais le contenu de leurs échanges n'a pas vraiment filtré. Conscient du risque de détricotage de ses propositions, Johannes Hahn mise sur la mobilisation des collectivités locales : "Ne relâchez pas la pression", a-t-il lancé la semaine dernière aux représentants des bureaux régionaux à Bruxelles.