Développement des territoires - Politique de la montagne : un "enterrement de première classe" ?
La situation de nos vertes prairies et blanches vallées n'est plus au déclin. Le bilan dressé par cinq inspecteurs* sur la loi Montagne du 9 janvier 1985 dirait presque le contraire. Les auteurs de ce rapport, daté d'octobre 2010 mais qui, curieusement, vient tout juste d'être transmis à la commission permanente du Conseil national de la montagne (CNM), voient de nombreux progrès accomplis en 25 ans. Démographiques tout d'abord : "Après des décennies d'exode rural, l'ensemble des massifs bénéficie aujourd'hui, à quelques exceptions près, d'une inversion démographique." Environnementaux aussi : l'essentiel des territoires de montagnes sont aujourd'hui protégés avec 21 parcs naturels régionaux sur les 46 et 6 parcs nationaux sur 9. Ces territoires ont aussi pu se préserver avec les procédures d'autorisations plus drastiques imposées aux implantations d'unités touristiques nouvelles (UTN). Enfin, selon ce bilan commandé par le Premier ministre lorsqu'il a réactivé le CNM en novembre 2009, la déprise agricole serait moins rapide qu'ailleurs. "Le poids relatif de l'agriculture a considérablement diminué dans les massifs en 25 ans, mais le nombre d'exploitations agricoles professionnelles diminue moins vite en montagne (-25% entre 1988 et 2000) qu'en plaine (-31%), et la déprise n'y est pas significative sauf dans les Vosges", constatent les auteurs, reconnaissant que la situation reste très fragile.
Des évolutions qui ne sont pas forcément imputables à la loi Montagne. Mais qui font dire aux auteurs du rapport que les objectifs de cette loi - qui consacre la spécificité de ces territoires en raison de leurs handicaps naturels - "n'ont plus de ce fait aujourd'hui la même acuité ni la même priorité".
Disparition de l'Etat aménageur
Prenant acte de la "montée en puissance des régions" et de la "disparition de l'Etat aménageur", le rapport penche pour un nouveau "pacte" entre la nation et ses massifs... Il semble privilégier un scénario régional où les régions seraient "seules 'maîtresses' des politiques d'aménagement et de développement économique, social et environnemental sur leur territoire montagnard ou non, en coopération avec les régions voisines, nationales ou étrangères, dans des formes qu'elles déterminent ensemble"...
Cette politique de massifs devrait faire les affaires des régions qui revendiquent la maîtrise de l'aménagement du territoire, mais pas celles des élus de montagne qui restent attachés à l'intervention de l'Etat pour maintenir une cohérence d'ensemble. Même si l'Association nationale des élus de montagne (Anem) ne prendra une position officielle qu'à la rentrée, les premiers retours sont "extrêmement réservés". "C'est un enterrement de première classe de la politique de la montagne", estime même Pierre Bretel, le délégué général de l'association. "Le Massif central, par exemple, couvre six régions, illustre-t-il. Il est clair que si les régions gèrent chacune leur bout de massif, la cohérence va y perdre car certaines régions sont plus volontaristes que d'autres."
Manque d'imagination
Des réserves qui tiennent aussi au ton souvent véhément du rapport vis-à-vis des élus. Les inspecteurs pointent notamment leur manque d'imagination alors que la loi leur conférait un véritable pouvoir d'expérimentation. "Seule l'émergence progressive des régions (qui n'étaient pas même citées dans la loi) a permis, inégalement, un début d'approche stratégique", souligne le rapport. Des élus accusés de n'avoir pas su inventer une nouveau modèle après l'eldorado de l'or blanc. Quant à la solidarité, elle est encore balbutiante, estiment les rapporteurs. "Les intercommunalités n'y sont pas plus développées, voire plutôt moins, qu'en plaine, les schémas de cohérence territoriale (Scot) peu nombreux, les projets de vallées amont-aval encore balbutiants et chaque massif ignore largement son voisin." Une critique qui a le don d'irriter l'Anem. "Les élus de montagne font la promotion de l'intercommunalité depuis l'origine [c'est même là qu'elle fut inventée avec les escartons, ndlr)] mais il est vrai qu'en montagne, elle est plus difficile à mettre en oeuvre qu'ailleurs, le seuil des 5.000 habitants par exemple n'y est pas applicable."
Ce rapport n'a pas fini de faire parler de lui. Il remet sur la table la question récurrente du financement du secours en montagne. "Une révision générale des dispositifs (coordination, formation et financement…) relatifs aux secours en montagne semble souhaitable", estiment les auteurs de façon laconique.
A la rentrée, la commission permanente du CNM se réunira à nouveau, avant la réunion du CNM prévue à l'automne. François Fillon, célèbre amateur de montagne, arbitrera en conséquence.
Michel Tendil
*Inspection générale des finances, Inspection générale de l'administration, Conseil général de l'environnement et du développement durable, Conseil de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux et Inspection générale de la jeunesse et des sports.