Aménagement numérique - Plan Très Haut Débit : la Cour des comptes s'interroge sur la stratégie et le financement
La Cour des comptes vient de rendre public le référé (1) sur "le financement et le pilotage des investissements liés au très haut débit" qu'elle avait adressé au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 8 février 2013 au regard de l'importance des fonds mobilisés et des enjeux de politique publique. Ce référé pointe les "obstacles auxquels se heurte la mise en œuvre du programme national THD" et formule une série de recommandations destinées à une "utilisation plus efficiente de l'argent public".
Le très faible niveau des crédits engagés au titre du fonds national pour la société numérique - 18,7% - a conduit la Cour des comptes à se pencher sur la pertinence des choix et du mode de pilotage retenu par le plan national Très Haut Débit (PNTHD). Les magistrats de la Cour constatent une série de faiblesses susceptibles de fragiliser le plan national, des faiblesses déjà identifiées par ailleurs, mais en apportant un éclairage propre à cette juridiction.
La Cour invite à plus de prudence dans le déploiement
La Cour des comptes s'inquiète de la faiblesse des investissement privés, qu'elle attribue aux "incertitudes qui pèsent sur le modèle économique" : horizon d'amortissement des opérateurs plus court que celui du plan, partage de l'opérateur historique entre la nécessité d'investir dans la fibre pour maintenir sa position et celle de conserver la boucle locale de cuivre…
S'interrogeant, justement, sur la faisabilité et les conditions de l'extinction progressive du réseau cuivre, indispensable pour sécuriser le modèle économique, elle évoque les limites de l'expérimentation de Palaiseau - "un territoire qui n'est pas représentatif des zones les moins denses" - et invite à plus de prudence dans le calendrier de déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP).
Les risques financiers et techniques liés au déploiement des réseaux publics ne sont pas oubliés. La Cour fait référence aux résultats de l'étude Datar, réalisée en 2010, établissant à 22 milliards d'euros le coût prévisionnel de couverture en fibre optique des réseaux publics, un chiffre qui dépasse assez largement les 20 milliards d'euros annoncés pour l'ensemble du pan et qui met peut-être en lumière une sous-estimation des coûts. Les collectivités territoriales sont également mentionnées lorsque la Cour s'inquiète des risques d'incohérence des RIP liés à leur "petite taille" ou encore à la qualité "hétérogène" des dossiers. Elle s'interroge enfin sur la capacité de pilotage national "considérablement affaiblie en dépit de la volonté de redonner à l'Etat un rôle d'initiative". L'absence d'une structure capable de coordonner les acteurs et de garantir la cohérence des déploiements y contribue assez largement.
Plaidoyer en faveur d'une stratégie nationale
Aussi la Cour des comptes formule-t-elle trois recommandations. Elle invite le gouvernement à définir une stratégie nationale ne se cantonnant pas à la seule fibre optique mais tenant compte "des possibilités technologiques existantes" de montée en débit ou de l'existence d'une infrastructure de réseaux câblés. Sur ce dernier point, elle regrette que le PNTHD "n'intègre pas actuellement cette infrastructure" alors même que sa transformation "en réseaux ouverts et accessibles pourrait être explorée". Elle va même plus loin dans le commentaire : "Ne pas tenir compte de l'existence des réseaux câblés dans le cadre de la couverture du territoire en THD apparaît sous-optimal en zone Amii) et serait injustifiable en zone d'initiative publique".
Sans revenir sur le découpage en trois zones, la Cour appelle à une meilleure articulation entre initiatives publiques et privées en préconisant la généralisation des conventions et la publication de l'état des déploiements réalisés par les opérateurs, conformément à leurs engagements. Au niveau national, elle préconise la création d'une structure nationale de pilotage du PNTHD "dotée de la légitimité et des compétences techniques nécessaires".
Jean Marc Ayrault confirme les orientations de la feuille de route
Dans une lettre datée du 8 avril, le Premier ministre répond aux interrogations formulées par la Cour des comptes : la stratégie nationale a bien été définie par la feuille de route présentée fin février par le gouvernement. Elle intègre "une étape de montée en débit à court terme pour les foyers les moins bien connectés" rappelle le Premier ministre. Sur l'articulation des initiatives publiques et privées, la signature de conventions locales tripartites sera généralisée et les engagements pris feront l'objet d'un suivi par l'observatoire des déploiements dont la première publication aura lieu fin 2013. Quant au rôle de planification et de pilotage il est déjà confié à la mission Très Haut Débit, créée en fin d'année 2012 et dirigée par Antoine Darodes qui a vocation à devenir d'ici 2014 "une structure de pilotage pérenne".
Philippe Parmantier / EVS
(1) Le premier président de la Cour des comptes adresse des référés au Premier ministre ou aux ministres concernés pour leur faire connaître les observations et les recommandations formulées par la Cour sur la gestion des services de l'Etat et des autres organismes publics. Le premier président a décidé de rendre publics les référés avec les réponses reçues des destinataires.
(2) Zones intermédiaires, de densité de population moyenne, créées à partir des déclarations d'intention d'investissement des fournisseurs d'accès internet.