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Investissement - Plan Juncker : quelle carte à jouer pour les collectivités ?

Le plan Juncker devrait officiellement démarrer en septembre. Mais dans l'attente de la parution du code de conduite, les collectivités se posent pas mal de questions. Un séminaire organisé le 7 mai à Paris à l'initiative de trois associations d'élus a permis d'éclaircir certains points. Notamment la notion de "plateforme" : vu le ticket d'entrée (le montant minimum des prêts sera de 25 millions d'euros), il est recommandé de se regrouper autour de projets communs.

Objet de critiques récurrentes sur les lenteurs de sa tuyauterie, la Commission veut prouver qu'avec le "plan Juncker", elle est capable de répondre à l'urgence réclamée par la chute de l'investissement public et privé en Europe. Un déficit d'investissement estimé à 300 milliards d'euros par an, essentiellement dû à des pays comme l'Espagne et l'Italie et, dans une moindre mesure, la France.
Depuis le démarrage du chantier en novembre, déjà beaucoup de chemin a été parcouru. "D'un point de vue européen, cela va incroyablement vite", s'est presque étonné Guillaume Roty, attaché économique à la représentation de la Commission en France, jeudi 7 mai, lors d'un séminaire organisé par trois associations d'élus (AMGVF, ADCF et Acuf) sur la place des collectivités dans ce plan de 315 milliards d'euros entre 2015 et 2017 qui repose sur une garantie européenne de 21 milliards d'euros. L'occasion d'éclaircir certains points. Car, malgré les contacts noués avec le vice-président de la Commission Jyrki Katainen depuis quelques semaines, les associations d'élus n'y voient toujours pas très clair.

Code de conduite

Sur le calendrier tout d'abord. L'objectif est que le fonds européen d'investissements stratégiques (FEIS), nom officiel du plan Juncker, soit opérationnel "en septembre", a rappelé Guillaume Roty. Encore faut-il au préalable que le Parlement et les Etats parviennent à un compromis. La date de mise en route n'engendrera pas d'effet couperet : le fonds sera en service pendant trois ans, jusqu'en 2017, avec une possibilité de pérennisation en cas de succès. Les porteurs de projets auront donc trois ans pour déposer leurs dossiers, même s'il est préférable de ne pas trop tarder car, au vu des sommes en jeu, on évoque environ 600 dossiers à l'échelle européenne.
Si le flou domine encore, c'est que les "lignes directrices", sorte de code de conduite du plan, ne sont pas encore sorties. Le travail doit être mené par un comité de surveillance, l'enjeu étant de fixer des règles du jeu dérogatoires au régime européen sur les aides d'Etat qui, sauf exception, empêche les aides qui fausseraient le marché.
Le comité d'investissement, chargé de la sélection des projets, sera installé dans la foulée. Cette instance sera "complètement indépendante" assure le représentant de la Commission. Il n'y aura "aucune pré-allocation géographique ou sectorielle". Le sujet a d'ailleurs fait l'objet d'un bras de fer entre la Commission et le Parlement qui aurait voulu réserver une part à la transition énergétique…
A ces instances s'ajoute une "plateforme" de conseil en investissement qui apportera une assistance technique au montage des projets.

Cinq critères de sélection

La sélection des projets reposera sur cinq critères : la viabilité économique du projet (ce qui écarte d'office les projets purement publics), l'additionnalité (le dispositif vient combler les carences du circuit bancaire classique), la contribution aux grands objectifs de l'Union européenne (énergie, numérique, transport et innovation), la maturité des projets en question (qui doivent pouvoir démarrer dans les trois ans) et, enfin, la taille minimum requise. Là, la Commission a mis la barre haut : les demandes de prêts devront être de 25 millions d'euros minimum… Compte tenu de l'effet levier attendu, on est donc sur des montants de l'ordre de 100 millions d'euros !
Dès lors se pose la question de la place des collectivités dans le dispositif, à côté des grands groupes (on n'évoque pas ici la part du plan réservée au financement des PME innovantes). "Il ne faut pas se tromper sur la nature du plan, ce n'est pas un dispositif de soutien à l'investissement au sens où on l'entend habituellement, c'est juste une façon de donner accès à une banque [la BEI, ndlr] qui va prendre plus de risques que les autres dans la période actuelle", a pris soin de préciser Laurent Ménard, directeur Stratégie de l'investissement et financement européen au Commissariat général à l'investissement (CGI). La garantie apportée par l'Union européenne va permettre à la BEI se porter le risque des projets. En tant que telles, "les collectivités seront très difficilement éligibles", insiste Laurent Ménard qui rappelle cependant qu'elles peuvent avoir accès aux financements classiques de la BEI qui ont par exemple permis de financer le tramway de Paris… En revanche, les "structures satellites" des collectivités comme les sociétés d'économie mixte pourront se positionner. On pense aux délégations de service public, aux contrats de concession, aux partenariats public-privé, aux baux… Mais pour atteindre la taille critique, la Commission recommande de se regrouper au sein de "plateformes". "La difficulté n'est pas technique, le vrai problème est de mettre les gens d'accord", assure Laurent Ménard. Et de citer l'exemple de la société publique locale Oser qui associe la région Rhône-Alpes à dix autres collectivités du territoire autour de la rénovation énergétique des bâtiments publics. Le CGI, qui fait office de courroie de transmission en France, a déjà une liste de projets pilotes à proposer à la BEI. Y figurerait également le Service public de l'efficacité énergétique (SPEE) en Picardie, la société Mégalis pour le très haut débit en Bretagne, la SEM Energies Posit'If en Ile-de-France… "Ce sont quelques exemples sur lesquels on réfléchit", a indiqué Stéphane Viallon, responsable Secteur public auprès de la BEI.

Déjà quatre projets sélectionnés

L'idée de ces plateformes pourrait aussi permettre de regrouper des projets de méthaniseurs au sein de sociétés de projets. "Les plateformes ne sont pas juste faites pour aller chercher des financements mais aussi pour répandre rapidement les meilleurs pratiques", ajoute Laurent Ménard. A noter que si le CGI est chargé de présenter une liste de projets pilotes à la BEI, il ne sera pas le passage obligé par la suite. "Ma porte est ouverte, mais vous n'êtes pas obligés, je n'ai pas le rôle de filtre, de tampon, de label", a précisé Laurent Ménard.
Afin d'offrir une vitrine des projets susceptibles d'être retenus, la BEI a d'ores et déjà approuvé, le 21 avril (et ce, avant même que les instruments soient mis en place), l'octroi de 300 millions d'euros de prêts pour quatre projets (voir ci-contre notre article du 23 avril 2015) : l'agrandissement de l'aéroport de Dubrovnik en Croatie, la réalisation de 14 centres de soin en Irlande, la modernisation d'une usine d'acier en Italie et un projet de recherche dans la santé en Espagne. Le volume total des investissements se monterait à 850 millions d'euros. Mais alors que le risque est présenté comme le critère clé, il n'est pas sûr que celui lié à l'agrandissement d'un aéroport soit clair pour tout le monde.