Pesticides : un rapport de Générations futures pointe à nouveau l’insuffisance des distances de sécurité près des habitations
L’efficacité des zones de non traitement (ZNT) - de 5 et 10 mètres - pour réduire l’exposition des riverains aux pesticides pulvérisés en agriculture est à nouveau remise en question dans une enquête exploratoire conduite par l’ONG Générations futures et dévoilée ce 22 février.
Dans son nouveau rapport sur l’exposition des riverains aux pesticides agricoles, rendu public ce 22 février, Générations futures - à l’origine, aux côtés d’autres ONG, de plusieurs recours victorieux contre les textes encadrant l’usage des produits chimiques de synthèse à proximité des habitations - réitère sa demande de mise en place de zones de non traitement (ZNT) significatives "d’au moins 100 mètres".
La publication, qui rend compte de quatre mois de prélèvements, montre que même une distance supérieure à 30 mètres "ne réduit même pas de moitié" l’exposition aérienne aux pesticides constatée en limite de champ sur l’ensemble de la période d’échantillonnage, observe François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Or, pour rappel, la réglementation arrêtée sur la base d’un avis de l’Anses de juin 2019 ne retient que des zones non traitées de 10 m (cultures hautes) et 5 m (cultures basses), avec la possibilité d’y déroger notamment avec des buses anti-dérives. Des distances déjà questionnées dans un premier rapport publié en novembre dernier (lire notre article du 26 novembre 2021) à partir de méthodes simples de prélèvement par lingettes sur les vitres d’une soixantaine de foyers.
A 30 mètres l'exposition n’est réduite que de moitié
Pour évaluer l’efficacité des ZNT censées protéger les riverains, l’ONG a opté dans sa nouvelle enquête exploratoire pour un protocole plus robuste utilisant des capteurs passifs équipés de mousses en polyuréthane pour fixer les polluants volatiles présents dans l’air. Un champ de pommes de terre situé dans le département du Nord a ainsi été équipé de deux capteurs : l’un au ras du champ à moins d’un mètre, l’autre situé à environ 33 mètres. La campagne qui s’est déroulée sur 18 semaines, du 16 mai au 18 septembre 2021, a représenté six périodes d’échantillonnage consécutives de 3 semaines, et mobilisé le laboratoire spécialisé Ianesco pour rechercher 77 molécules différentes (toutes incluses dans la liste des 90 substances prioritaires à surveiller définie par l’Anses).
Résultat : pas moins de 20 pesticides ont été détectés et quantifiés au moins une fois dans le capteur 1 en bordure du champ (15 dans le capteur 2 situé à 33 m). Et jusqu’à 14 molécules différentes par période ont été piégées par le capteur 1 (contre maxi 10 pour le capteur 2), avec sans surprise un pic au printemps. Dans 5 périodes sur 6, les quantités de pesticides piégées dans le capteur 2 le plus proche du champ sont supérieures à celles piégées dans le capteur 1 le plus éloigné (25502,9 ng contre 13490,8 ng).
Mais au total, sur l’ensemble de la campagne de mesures, la quantité de pesticides piégés à 33 m du bord du champ est encore supérieure à la moitié (soit 52,9%) de celle observée en bordure de champ. C’est d’ailleurs "la principale conclusion de l’enquête", relève François Veillerette, attestant que les quantités de pesticides retrouvés à une trentaine de mètres des champs "sont donc loin d’être négligeables". Pour Générations futures, la démonstration est faite, les ZNT actuellement prévues - de 5 et 10m - "sont clairement insuffisantes pour diminuer de manière efficace l’exposition des riverains aux pesticides pulvérisés en agriculture". Un constat jugé "d’autant plus préoccupant" par l’ONG que beaucoup des molécules quantifiées dans l’étude "ne sont pas anodines" mais suspectées d’être des perturbateurs endocriniens ou des CMR (cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction).
Des investigations à poursuivre
L’exercice rencontre toutefois ses propres limites… Les prélèvements et mesures réalisés dans le cadre de ce rapport "demanderaient à être multipliés afin de rendre les données plus robustes", reconnaît ainsi l’ONG, sachant que la période d’échantillonnage ne comprend pas mars et avril, mois pendant lesquels sont pratiqués l’essentiel des traitements. Les capteurs passifs utilisant des mousses PUF sont en outre" mal adaptés" au prélèvement du glyphosate. Afin de pouvoir le rechercher, un nouveau type de préleveurs passifs "à deux étages" sera utilisé dans une nouvelle campagne en 2022, ajoutant un étage de filtre en polyester.
Un autre rapport est également attendu, "probablement au mois d’avril", à partir de mesures effectuées en zone de culture de la vigne, particulièrement consommatrice de pesticides. L’ONG a par ailleurs confirmé préparer un nouveau recours dirigé contre les textes réglementaires modificatifs relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation des pesticides publiés en janvier dernier (lire notre article du 27 janvier 2022) qui ne répondent toujours pas à ses yeux aux exigences de la décision du Conseil d’État.