Pesticides : le Conseil constitutionnel censure le dispositif des chartes d'engagements départementales
La décision d’inconstitutionnalité, rendue ce 19 mars, dans le cadre d’une QPC, met un coup d’arrêt au dispositif des chartes d'engagements départementales censées encadrer les pratiques d'épandage à proximité des habitations, faute de satisfaire aux exigences de participation du public.
Alors que la fronde des maires anti-pesticides ne faiblit pas en régions comme en Ile-de-France, le gouvernement vient de subir un sérieux revers devant le Conseil constitutionnel, ce 19 mars, dans ce feuilleton qui occupe cours et tribunaux depuis plusieurs années. Pas la bonne méthode, tranche-t-il en substance. En cause les modalités retenues pour l'élaboration des chartes d'engagements départementales censées encadrer les pratiques d'épandage à proximité des habitations.
Les Sages avaient été saisis le 4 janvier dernier par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’aune de l'article 7 de la Charte de l’environnement, soulevée par huit ONG en appui de leur requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation. Et coup de théâtre : les juges de la rue de Montpensier viennent de donner gain de cause aux associations écologistes mobilisées - dont Générations futures, France Nature Environnement ou UFC-Que Choisir - qui critiquent depuis le départ une consultation au rabais des riverains.
A peine lancé, cet outil, qui doit a minima intégrer des mesures d'information des résidents, les distances de sécurité et prévoir des modalités de dialogue et de conciliation entre utilisateurs et habitants concernés, s’était attiré les critiques, y compris d'élus locaux qui ne sont d’ailleurs pas conviés à l’élaboration des chartes. "Résultat sur le terrain : le dialogue ne s’est pas fait réellement et les récits de concertations 'biaisées' ont été légion aux quatre coins de la France", rapporte le collectif d’associations dans un communiqué commun.
Edifice juridique mis à mal
Faute de prévoir des modalités suffisantes de participation du public, c’est un élément central du dispositif prévu par la loi Egalim de 2018 (codifié à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime) que le Conseil constitutionnel vient de retoquer. Ces chartes élaborées par les utilisateurs permettent notamment de procéder à des épandages à proximité des habitations, en réduisant les distances de sécurité minimales fixées par le décret et l’arrêté du 27 décembre 2019. Pour produire leurs effets juridiques, elles doivent faire l’objet d’une approbation par le préfet, après concertation publique.
Le Conseil constitutionnel reconnaît tout d’abord dans sa décision que les chartes "ont une incidence directe et significative sur l’environnement", dès lors qu'elles régissent les conditions d'utilisation à proximité des habitations des pesticides, "lesquels ont des conséquences sur la biodiversité et la santé humaine". Il retient par ailleurs les griefs relatifs aux modalités de concertation préalable à l'élaboration des chartes. Les dispositions contestées "se bornent à indiquer que la concertation se déroule à l'échelon départemental, sans définir aucune autre des conditions et limites dans lesquelles s'exerce le droit de participation du public à l'élaboration des chartes d’engagements", relève-t-il. En outre, il considère que le fait de permettre que la concertation ne se tienne qu'avec "les seuls représentants des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées", et non pas chacun des riverains en cause, comme le contestaient les ONG, "ne satisfait pas les exigences d'une participation 'de toute personne' qu'impose l'article 7 de la Charte de l’environnement".
"Ce n'est pas comme ça qu'on gère les relations entre le monde agricole et les riverains des cultures, il faut prendre en compte la parole de tous les citoyens", a déclaré à l’AFP, François Veillerette, porte-parole de Générations futures, dénonçant des chartes d'engagement "aux mains des chambres d’agriculture". Cette décision est donc "un soulagement" pour le collectif d’associations, qui se dit néanmoins toujours près "à échanger, partager, construire" et à " appuyer les initiatives locales de dialogue qui ne rogneraient pas sur les mesures nationales de protection".
Copie à revoir pour le gouvernement
Des chartes d’engagement auraient été instaurées à ce jour dans 80 départements, selon le gouvernement, sans qu’une liste précise ne soit disponible à ce jour. La décision d'inconstitutionnalité impose aux autorités d’en tirer les conséquences immédiatement, y compris dans toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. Le gouvernement est à nouveau au pied du mur. En 2019, la décision du Conseil d’Etat épinglant le précédent arrêté de 2017 l’avait déjà contraint à revoir sa copie au motif que ce dispositif ne protégeait pas suffisamment la santé publique et l’environnement.