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Périssol, Besson, Robien, Borloo, Scellier, Duflot, Pinel... Coûteux et inefficaces, tranche la Cour des comptes

La Cour des comptes a publié le 10 avril un sévère référé sur la politique fiscale menée depuis plus de 20 ans en faveur de l'investissement locatif des ménages. Elle observe un "coût élevé" de ces aides, "au regard de leur faible efficacité mesurable". Elle recommande de mettre en œuvre "une sortie progressive et sécurisée des dispositifs récemment reconduits" et de renforcer la place des investisseurs institutionnels dans la construction et la location de logements privés.

1,7 milliard d'euros. C'est la dépense fiscale consentie en 2015 pour l'ensemble des dispositifs en faveur de l'investissement locatif des ménages, dont le plus ancien a été institué en 1996. Il s'agissait alors du "Périssol". Et puis il y a eu le "Périssol neuf et ancien" (1999-2002), le "Robien" et le "Robien recentré" (2003-2008), le "Borloo" neuf et ancien (2006-2008), le "Scellier" et "Scellier intermédiaire" (2009-2012), le "Duflot" (2012) et le "Pinel" (2014, prolongé et recentré en 2018). Le montant annuel des réductions d'impôt était de 606 millions d'euros en 2009 et montait déjà à 1,1 milliard d'euros en 2012. C'est beaucoup, juge la Cour des comptes dans un référé publié le 10 avril 2018*, qu'elle conclut par deux recommandations : "Mettre en oeuvre des dispositions transitoires permettant une sortie progressive et sécurisée des dispositifs récemment reconduits" et "mettre en place des mesures visant à renforcer la place des investisseurs institutionnels dans la construction et la location de logements privés".

Un coût générationnel

Au-delà de la hausse continue de ces montants annuels, la Cour des comptes invite à apprécier les dispositifs à l'aune de leur "coût générationnel" sachant que leur avantage fiscal dure de 6 à 15 ans selon les cas. "A l'échéance de 2024, le coût générationnel des dépenses liées aux logements acquis ou construits en 2009 sous le régime Scellier devrait atteindre 3,9 milliards d'euros", s'inquiète ainsi la Cour. "Celui des logements acquis ou construits en 2017 sous le régime Pinel est estimé, à ce même horizon, à 1,6 milliard d'euros" et "la prorogation de quatre ans de ce dispositif à l’horizon de 2035, inscrite dans le projet de loi de finances pour 2018, devrait porter son coût à 7,4 milliards d'euros, en dépit du recentrage envisagé sur des zones plus restreintes".

Un effet relatif sur l'activité du secteur de la construction

Pourquoi pas, après tout, si ces dépenses permettaient de faire effet levier sur le marché du logement locatif. Or, selon la Cour des comptes, ce n'est sans doute pas le cas. "L’impact économique de ces aides s’avère limité et leur efficacité en termes d’accroissement du nombre de logements locatifs accessibles est faible", estime-t-elle, mis à part durant la crise immobilière de 2009 et 2010. Durant cette période, où le volume des logements locatifs aidés progressait alors que le nombre total de logements construits chutait fortement, ces aides fiscales ont en effet pu "exercer un effet contracyclique" en soutenant l'activité de construction.
Mais hormis ce cas particulier, aucune étude économique ne permettrait de "distinguer l'effet de ces aides fiscales de celui de la conjoncture", ce qui "interdit toute conclusion quant à la portée, voire à la réalité de l'effet déclencheur de ces aides".
En revanche, la Cour soupçonne "l'existence d'effets d'aubaine ou de simple anticipation de décisions d'investissement déjà programmés"**. Elle parle même de "phénomène d'accoutumance, voire d'addiction" des opérateurs-constructeurs, promoteurs et banques qui "ont désormais intégré la pérennité de ces aides dans leur stratégie".

Pas de pression sur les loyers de marché

Au-delà du plafonnement légal des loyers des logements aidés, l’augmentation de l’offre locative attendue de ces aides fiscales était "censée exercer un effet modérateur sur les loyers de marché", rappelle la Cour avant d'avancer que, là encore, l'effet serait limité.
D'abord, le volume des logements aidés produits chaque année serait "faible" au regard du parc locatif existant ("de 30.000 à 50.000 pour un parc de plus de 5,8 millions d’unités, soit entre 0,5% et 0,8%", précise la Cour). Le référé souligne également "la faible présence de ces logements aidés dans les zones les plus tendues" et "l’écart, parfois incohérent, entre loyers plafonds liés aux aides fiscales et loyers de marché, les premiers pouvant, dans certaines zones, être supérieurs aux seconds" (c'est le cas du Scellier en 2010 et du Pinel où l'écart peut atteindre "de 10% à 20% en zone B2 et de 5% à 15% en zone B1).

Un logement Pinel coûte deux fois plus aux finances publiques qu'un logement très social (PLAI)

La Cour observe que "d’autres dépenses publiques, en comparaison, permettaient, à volume égal, d’augmenter plus durablement le parc de logements locatifs". Elle a ainsi calculé que le coût annuel pour les finances publiques d’un logement de 190.000 euros bénéficiant de l’avantage Pinel était, toutes choses égales par ailleurs, trois fois plus élevé que celui d’un logement social comparable, financé par un prêt locatif social (PLS), ou deux fois plus élevé que celui d’un logement financé par un prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), "alors même que la durée des locations est, dans ces derniers cas, bien supérieure (40 ans)", précise le référé.

Une concentration en dehors des zones où les besoins sont les plus élevés

La Cour reconnaît que, pour corriger les risques de surproduction en zone détendue, les aides fiscales ont été progressivement limitées à certains secteurs. "Cela a, certes, concentré la production de logements aidés sur des zones plus tendues mais pas nécessairement sur celles où la tension entre offre et demande de logements est la plus forte". Entre 2013 et 2015, un tiers seulement des logements aidés ont été construits en zone "très tendue" (30% en zone A et 3% en zone Abis) contre 50% en zone "tendue" (B) et 15% en zone "relativement détendue" (B2). D'une manière générale, la Cour observe que "ces dispositifs rencontrent leur plus forte limite dans ces zones très tendues, où l’accès au logement locatif des classes moyennes est le plus difficile". Ce qui s'explique facilement par le fait que "les ménages bénéficiaires des aides fiscales ont une moindre propension à investir dans ces zones car la rentabilité locative espérée y est plus faible, en raison de coûts d’acquisition élevés et du plafonnement des loyers imposés en contrepartie de l’avantage fiscal".

Une gestion qui repose sur des données insuffisantes

La Cour déplore que les données dont dispose l'administration fiscale (communiquées par les bailleurs qui demandent à bénéficier de l'avantage fiscal) ne soient pas partagées avec l'administration chargée de piloter ces dispositifs pour le compte du ministère de la Cohésion des territoires (en l'occurrence, la DHUP).
"En fait, ces régimes accordant des avantages fiscaux sont reconduits ou modifiés sur le fondement d’hypothèses faites par l’administration, voire par des groupes d’intérêt sectoriels, et non à partir d’une évaluation fiable et objective de leur efficacité comparée à d’autres modes d’intervention", accuse le référé. Lequel souligne également que les avantages fiscaux accordés ne font pas l'objet d'un contrôle "satisfaisant".
La Cour regrette en conclusion (et sans entrer dans le détail) que "l’appel aux investisseurs institutionnels n’a jamais été véritablement envisagé comme une alternative à ces dispositifs pour soutenir le financement de la construction de logements locatifs privés, en dépit de la moindre complexité que cette orientation représenterait pour mieux gérer et contrôler les effets des aides de l’Etat".
Un rapport parlementaire de 2013 parvenait déjà aux mêmes conclusions (voir notre article ci-dessous du 5 novembre 2013 PLF 2014 - Robien, Borloo, Scellier : toute la lumière sur ce que coûtent ces dispositifs éteints). Un autre tout récent doute de l'intérêt des investisseurs institutionnels à revenir sur le marché locatif résidentiel français au vu de sa faible rentabilité actuelle (voir notre article du 9 janvier 2018 Pour le Sénat, les investisseurs institutionnels ne sont pas prêts de revenir dans le logement locatif).
 

* Le courrier adressé le 17 janvier au Premier ministre Edouard Philippe est resté à ce jour sans réponse, a indiqué la Cour des comptes à Localtis.

** Les bénéficiaires de ces réductions d'impôt sont "principalement des ménages dont les revenus sont relativement élevés", dont on peut penser qu'une bonne partie aurait investi dans la pierre sans ces aides. La Cour note ainsi que "45% des ménages bénéficiaires se situaient en 2013 dans la tranche d’imposition comprise entre 27.000 euros et 71.000 euros ; près du quart appartenait à la tranche comprise entre 71.000 euros et 151.000 euros, qui ne représentait alors que 2,3 % des foyers imposés".