Titres d'identité - Passeports biométriques : les maires demandent au gouvernement de revoir le volet financier de son projet
Beaucoup d'élus ont été échaudés par la mise en oeuvre du service minimum à l'école et la réduction de la présence des services publics de l'Etat, sans concertation selon eux. Or, à la demande du gouvernement, les communes les plus importantes devront demain instruire les demandes de passeports biométriques. En effet, l'Etat qui a investi dans l'achat de 4.000 machines permettant de numériser la photo de l'usager et quatre de ses empreintes digitales, a décidé de les répartir dans 2.000 mairies d'ici fin juin 2009, date butoir fixée par l'Union européenne. Mais les conditions de la mise en oeuvre de cette décision mécontentent fortement les élus pour qui un nouveau front s'est ouvert.
Première conséquence des orientations prises par le gouvernement : les Français qui auront besoin d'un passeport devront parcourir parfois de nombreux kilomètres pour déposer leur demande, en particulier en milieu rural. Les maires de Corrèze font aussi remarquer que "pour la première fois dans l'histoire de la République, un service ne sera pas proposé par l'ensemble des communes". Ils demandent que lorsque le passeport sera prêt, il soit transmis à la mairie du lieu de résidence de l'usager, pour que celui-ci n'ait plus qu'à venir le chercher à cet endroit. Pour les maires des petites communes, il ne s'agit pas seulement de rendre service à l'usager. Cet aspect revêt aussi une charge symbolique. "C'est important de remettre en main propre le passeport, indique l'association des maires de Corrèze. Cela participe du lien avec l'habitant."
L'association des maires de Meurthe-et-Moselle qui, lors de son assemblée générale du 18 octobre, a adopté une motion en ce sens, considère que "le dispositif arrêté par le gouvernement porte atteinte à la qualité du service public". Et cela en dépit du fait que chaque département sera équipé au moins d'une station mobile pour répondre aux besoins des personnes à mobilité réduite.
Un contexte encore flou
Le déploiement des machines a connu dès ses débuts quelques ratés qui n'ont pas arrangé les choses. Leur réalisation a été confiée fin juin au consortium Atos Origin/Sagem Sécurité, au terme d'un appel d'offres qui a pris plusieurs mois de retard. Du coup, l'expérimentation des machines dans cinq départements qui étaient prévue dès le premier semestre de l'année n'a véritablement débuté que durant l'été. En outre, selon certains, les tests auraient démontré l'existence de nombreux défauts sur les premières versions des machines.
Côté juridique ensuite, on reste sans nouvelles du projet de loi sur la protection de l'identité, qui doit conférer aux communes une compétence législative indispensable à l'instruction des demandes de passeports. Or, le texte ne passera pas devant le Parlement avant début 2009. En l'absence de loi, le président de l'Association des maires de France a souligné récemment à la ministre de l'Intérieur que les communes s'engageraient dans l'instruction des demandes de passeports uniquement sur la base du volontariat. C'est dans cet esprit qu'une dizaine de communes de Meurthe-et-Moselle ont répondu au préfet qu'elles ne feraient connaître leur réponse que lorsqu'elles connaîtraient les résultats des expérimentations - et ce, même si cela les oblige à "subir des pressions de la part de l'Etat", soulignent-elles.
Dans ce contexte encore flou, les interrogations des communes demeurent nombreuses. Vont-elles devoir aménager leurs locaux pour accueillir les nouveaux usagers, sachant qu'ils seront libres de déposer leur demande de passeport dans n'importe quelle des 2.000 mairies ? Quelles seront les normes d'accessibilité aux handicapés ? Qu'arrivera-t-il si la machine tombe en panne ? Et est-on sûr que la liaison informatique soit bien sécurisée ?
Une tâche chronophage
Pour être renseignés sur ces différents points, les maires et leurs personnels attendent beaucoup des expérimentations engagées dans cinq départements (Aube, Gironde, Loire-Atlantique, Nord et Oise). A partir des résultats qu'elles fourniront, ils espèrent en particulier évaluer le temps nécessaire au traitement des demandes et le nombre des usagers supplémentaires que leurs services devront accueillir. Ce sujet est loin d'être anecdotique. On touche là en réalité au coeur du problème. Car le gouvernement a proposé d'indemniser les communes uniquement pour les frais qu'elles engageront pour les usagers qui ne résident pas sur leur territoire. Il a fixé cette indemnité à 3.200 euros par machine et par an et cela "sans aucune concertation avec les élus", souligne l'Association des maires de France.
Ce montant a fait bondir les intéressés, qui le jugent bien inférieur aux frais qui devront réellement être engagés.
Du fait des nouvelles exigences en matière de biométrie, la mairie de Besançon calcule en effet que pour instruire une demande de passeport, il lui faudra 6 à 20 minutes de plus que maintenant et qu'elle enregistrera 30% de demandes supplémentaires. De plus, certaines mairies s'attendent à d'importantes files d'attentes et craignent de devoir acheter des machines supplémentaires sur leurs deniers personnels. Autre problème pointé par la directrice des maires de Meurthe-et-Moselle, Anne-Mathilde Coulomb, "les mairies seront obligées de relever les empreintes des usagers une nouvelle fois lorsque ceux-ci viendront chercher leurs passeports". A Vandoeuvre-lès-Nancy, on estime de ce fait qu'"il faudra bloquer une des deux machines pour s'acquitter de cette tâche".
Le premier passeport biométrique remis par Michèle Alliot-Marie
Pour les élus, il est donc impératif que le gouvernement revoie le montant de l'indemnité inscrite à l'article 58 du projet de loi de finances pour 2009 qui sera examiné en première lecture à l'Assemblée nationale dans moins de deux semaines. Jean-Louis Fousseret, maire de Besançon et vice-président de l'Association des maires de grandes villes de France, demande que l'Etat reverse aux villes concernées 15 euros par document émis - et ce, quel que soit le lieu de résidence de l'usager. Cela n'aurait rien d'anormal selon lui. L'élu rappelle que le prix des passeports augmentera "fortement" le 1er janvier prochain (de 60 euros à 89 euros pour les adultes). Un amendement rédigé sur cette base vient d'être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale par Roland Blum, député des Bouches-du-Rhône.
Deux annonces du directeur de l'Agence nationale des titres sécurisés, Raphaël Bartold, ont un peu soulagé les maires de grandes villes qui s'étaient réunis le 29 octobre à Paris pour évoquer le sujet. Le préfet leur a indiqué que l'agence mettrait des machines supplémentaires à la disposition des communes et qu'elle financerait des projets d'accessibilité des mairies dans la limite de 4.000 euros par projet.
En dépit des craintes exprimées par les élus, la ministre de l'Intérieur a remis le 31 octobre à Chantilly le premier passeport biométrique à un habitant de la ville. Elle a souligné que le nouveau titre d'identité et son mode de délivrance représentaient "plus de rapidité, de facilité et de sécurité".
Thomas Beurey / Projets publics