Pôles de compétitivité - Opération séduction pour les PME du Sud-Est
C'est devenu une antienne : lorsqu'il est question d'innovation en France, on commence par brosser un tableau plutôt sombre de la situation. Le chef du service Industries manufacturières de la Direction générale des entreprises, Emmanuel Caquot, n'a pas dérogé à la règle, mercredi 23 octobre, lors de la première rencontre "Entreprises régionales et pôles de compétitivité" organisée par la CCI du Vaucluse, au palais des Papes d'Avignon. "La rentabilité économique des entreprises françaises ne représente que 76% de la moyenne pondérée des entreprises américaines", a-t-il souligné, lors de cette manifestation encore baptisée Mission 432, comme quatre pôles de compétitivité issus de trois régions (Paca, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon) et de deux filières (agroalimentaire et cosmétique). "Entre 1998 et 2003, seules la France, la Pologne et la Slovaquie ont vu le niveau de leur recherche et développement privée diminuer", a-t-il déploré. Autre grief souvent formulé à l'encontre de la France : la petite taille des PME, trop fragiles dans le contexte de la mondialisation. Autant de handicaps que les 71 pôles de compétitivité lancés en 2005 sont censés juguler, mais la locomotive est longue à se mettre en route. Une étude du cabinet Ernst and Young vient en effet de montrer que 72% des financements des pôles sont concentrés sur les seize "pôles mondiaux". Autrement dit, l'essentiel de l'argent va dans les poches de grands groupes. "77% des 6.568 entreprises participant aux pôles sont des PME", a toutefois tenu à nuancer Emmanuel Paquot.
Cité de l'agroalimentaire
La Mission 432 avait précisément pour but de mettre en relation les dirigeants d'entreprises de l'agroalimentaire et de la cosmétique avec leurs interlocuteurs des quatre pôles : PEIFL (pôle européen innovation fruits et légumes), Pass (Parfums, arômes, senteurs et saveurs), Q@ali-Méditerranée et Trimatec. Sur le principe d'une convention d'affaires, une centaine de chefs d'entreprise ont ainsi fait le déplacement pour des entretiens personnalisés d'une demi-heure. Et les pôles du Sud-Est ont de sérieux atours à faire valoir : plus de visibilité à l'international, mises en relation, coopération plutôt que concurrence stérile, etc. Selon Gilbert Davergny, président de Trimatec, le rôle d'un pôle n'est pas de supplanter les grands projets d'investissements comme celui de Tricastin qui bénéficie d'un financement de 4 milliards d'euros. "Les 43 projets labellisés au sein de Trimatec bénéficient de financements allant de 10.000 à 20 millions d'euros, on est donc sur des échelles très larges laissant beaucoup de place aux petites entreprises", a-t-il insisté. Chacun des quatre pôles a créé ses propres outils pour attirer les PME. Situé dans la région de Grasse, Pass a par exemple monté un "observatoire mondial du naturel" pour fournir aux entreprises locales les éléments d'informations techniques et réglementaires dont elles ont besoin. De son côté, Avignon inaugurera le 5 novembre une "cité de l'agroalimentaire", sorte de maison commune aux entreprises du PEIFL. La cité comprendra un laboratoire d'analyse sensoriel et un "épicurium" ouvert aux écoles. "La vraie dynamique du pôle provient de son rôle d'animation. Certaines PME n'avaient pas envie de travailler entre elles, on les a convaincues qu'elles seraient plus fortes unies", explique Yves Baron de Noyer, le président du PEIFL.
Evaluation prématurée
Même analyse en Languedoc-Roussillon : "Les entreprises se croient concurrentes sur un territoire, mais elles se trompent d'échelle, nous avons ainsi amené des distilleries à travailler ensemble pour faire face à la concurrence chinoise", a déclaré Guislain Grévy, directeur de Q@alid-Méditerranée. Les pôles sont également une bonne occasion de mettre en place des formations adaptées, voire inédites. Pass a ainsi fait labelliser un projet de formation sur la sécurité des produits. De son côté, Trimatec a lancé une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences). A Avignon, une école d'ingénieurs spécialisée dans l'agroalimentaire sera délocalisée depuis Lyon. C'est l'ensemble de ces atouts qui a récemment conduit la société américaine Campbell, leader mondial de la transformation des légumes, à s'implanter sur le site avec une trentaine de chercheurs.
Reste que l'intérêt premier pour une PME est l'aspect financier. L'an dernier, les 665 projets de recherche retenus ont bénéficié de 537 millions d'euros. Mais le dispositif s'avère complexe. Entre l'Etat qui intervient à travers le fonds de compétitivité économique (aussi appelé fonds unique interministériel), Oséo, l'Agence nationale de la recherche et les collectivités, les acteurs sont nombreux. Pour les présidents de pôle, si le FCE se montre assez réactif, avec des délais de paiements de cinq mois environ à partir du montage des dossiers et trois appels à projets par an, on ne peut pas en dire autant des collectivités, souvent novices en la matière. "Certaines aides sont arrivées très vite, d'autres sont toujours en attente au bout d'un an, a ainsi témoigné un patron de PME, l'entreprise a donc été obligée de mettre les fonds nécessaires pour pouvoir démarrer, ce qui peut être pénalisant." Des défauts qui devraient être corrigés avec le temps et l'expérience. Du temps, c'est aussi ce que demandent les représentants de pôles pour qui l'évaluation prévue à l'été 2008 est prématurée.
Michel Tendil