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Culture - Numérisation du patrimoine : le grand emprunt change la donne

Frédéric Mitterrand a finalement gagné son pari : comme Localtis l'indiquait dans son article ci-contre du 24 novembre 2009, le ministre de la Culture a profité du flou qui régnait, dans le rapport de la commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard, sur l'utilisation de l'enveloppe de 4,5 milliards d'euros consacrée à "l'investissement dans la société numérique" pour faire avancer son projet de numérisation du patrimoine. Celui-ci bénéficiera donc d'une enveloppe conséquente de 750 millions d'euros. Le dossier de présentation du grand emprunt précise que cette enveloppe sera "consacrée au co-financement de la numérisation des contenus culturels, dans une logique de co-investissement et de partenariat public-privé, avec le souci de maximiser l'effet de levier des fonds publics et d'utiliser les compétences du secteur privé dans l'indexation et la mise à disposition des contenus auprès du grand public".
Cette formulation alambiquée vise clairement la question des opérateurs de la numérisation du patrimoine écrit (même si la numérisation concerne aussi le patrimoine cinématographique et muséal) et, pour être plus précis, la question de la place laissée à Google. Un certain nombre de villes - dont Lyon pour ses bibliothèques municipales - se sont déjà laissé séduire par l'offre de Google. L'Etat se montrait jusqu'à présent beaucoup plus réticent à l'intervention du géant américain. Dans sa conférence de presse pour présenter le grand emprunt, Nicolas Sarkozy a d'ailleurs fait une allusion au fait que le patrimoine est "aussi un problème d'identité, et notamment d'identité nationale". De son côté, Frédéric Mitterrand - comme ses prédécesseurs - pousse le projet Gallica de la Bibliothèque nationale de France (900.000 documents en ligne) et le projet de bibliothèque numérique Europeana (6 millions de documents accessibles dont près de 50% de contenus de provenance française). Dans un communiqué du 3 décembre, le ministre de la Culture s'est ainsi réjoui du ralliement de l'Allemagne au projet Europeana. Celle-ci doit en effet créer au sein d'Europeana, d'ici à 2011, une bibliothèque virtuelle allemande.
Paradoxalement, le grand emprunt devrait aussi bénéficier... à Google. Le renforcement de la position - et des moyens financiers - de la France et de l'Europe pourrait en effet conduire à mettre un bémol sur la diabolisation de Google. En capacité de traiter d'égal à égal avec la firme américaine, la France se montrerait plus ouverte à la recherche de collaborations. Le rapport que doit rendre dans les tout prochains jours la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques - mise en place par Frédéric Mitterrand en octobre dernier (voir notre article ci-contre du 21 octobre 2009) - devrait d'ailleurs aller dans ce sens. Selon une note d'étape publiée par quotidien La Tribune du 14 décembre, la commission se montrerait très favorable à un retour de Google dans le jeu. Une position fondée sur le fait qu'il n'existe pas réellement d'alternative privée crédible en France et en Europe et que les programmes publics de numérisation sont trop lents pour répondre aux besoins. Il restera toutefois à surmonter de délicats problèmes juridiques, comme ceux du respect du droit d'auteur et de la durée de l'exclusivité. A défaut de compromis, les 750 millions d'euros du grand emprunt pourraient bien servir à faire émerger une solution alternative, avec les risques techniques et commerciaux inhérents.
 

Jean-Noël Escudié / PCA