Environnement / Risques - Nucléaire : la France n'est pas prête à faire face à un accident comme celui de Fukushima, estime l'Anccli
Premier pays nucléaire d'Europe avec 126 sites sensibles dont 58 réacteurs produisant de l'électricité dans 19 centrales, la France est-elle prête à faire face à un accident majeur du type de celui qui s'est produit à Fukushima il y a cinq ans ? C'est la question que s'est posée l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli), qui associe des représentants des 36 commissions locales d'information (CLI) créées autour des sites nucléaires. Formées d'élus locaux, d'associations de protection de l'environnement, de syndicalistes, d'experts et de personnalités qualifiées, ces CLI ont pour double mission d'informer la population sur les activités nucléaires et d'assurer un suivi permanent de l'impact des installations nucléaires.
Leur association a présenté le 5 avril les conclusions de deux rapports sur la mise en œuvre des mesures d'urgence en cas d'accident nucléaire en France, l'un émanant de son propre comité scientifique, l'autre de l'Acro (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest). "Sur le papier, tout semble en ordre. Dans les faits, on est très loin du compte", a déclaré à la presse Jean-Claude Delalonde, président de l'Anccli, tout en se défendant de faire du "catastrophisme". "Je pense que tout le monde est d'accord aujourd'hui pour dire qu'un accident nucléaire peut arriver en France. La question est de savoir si le jour où il se produira, tout est bien prévu", a prévenu cet ancien maire de Loon-Plage, commune située près de la centrale nucléaire de Gravelines.
Un plan national qui attend ses déclinaisons territoriales
"La France a tiré de grandes leçons" de Tchernobyl et de Fukushima mais dans les faits "il n'y a pas beaucoup de changements", estime Jean-Claude Delalonde. Suite à la catastrophe survenue à la centrale japonaise en 2011, un plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur a été rendu public en France en février 2014. Ce plan doit être décliné à présent dans les plans particuliers d'intervention (PPI) qui concernent chaque site nucléaire et doivent être réactualisés par les préfets. Ce sont ces plans qui prévoient les modalités de l'alerte et l'organisation des services en cas d'accident ou de risque d'accident susceptible d'avoir une incidence sur la population et l'environnement à l'extérieur du site concerné. Mais "deux ans après, les préfets ne se sont toujours pas mis en ordre de marche pour appliquer au niveau territorial ce que le plan national prévoit et les services du ministre de l'Intérieur ne nous entendent pas", déplore Jean-Claude Delalonde. "Il est temps de se mettre à travailler, en concertation avec la société civile. Cela ne pourra pas se faire d'un coup de baguette magique."
Les CLI demandent donc à être associées à la réactualisation des PPI. "Nous voulons faire des propositions. Et si elles ne sont pas retenues, nous voulons qu'on nous dise pourquoi", ajoute le président de l'Anccli. "Trop d'interrogations demeurent" sur l'âge des centrales nucléaires - 28 ans en moyenne - et leur niveau de sécurité, sur l'information des populations, leur mise à l'abri en cas d'accident, la distribution d'iode, le temps d'évacuation, les lieux d'accueil possibles, déclare Jean-Claude Delalonde. "Beaucoup de choses ont été faites en France en matière de sûreté nucléaire, contrairement à d'autres pays et on dit bravo pour cela." "Mais nous devons aussi pointer du doigt ce qui ne va pas", ajoute-t-il.
Extension des plans d'urgence
A la lumière des deux rapports qu'elle a commandés et de retours d'expérience à l'étranger, l'Anccli formule donc plusieurs recommandations à l'attention des pouvoirs publics. Elle juge ainsi nécessaire d'intégrer des mesures de restriction de la consommation d'aliments dans les mesures d'urgence existantes, qui sont, dans l'ordre chronologique, la mise à l'abri, la prophylaxie à l'iode et, éventuellement, l'évacuation. Il faut également "tester en amont les différents moyens de communication existants" et "travailler sur la compréhension des messages", insiste-t-elle. Elle propose aussi une révision en profondeur des périmètres des PPI, suggérant même une extension des plans d'urgence à un rayon de 80 km. Selon elle, si l'on se fonde sur ce qui s'est passé à Fukushima, avec un rayon de 10 km, les plans actuels de secours sont "inadaptés", l'impact des accidents graves allant "bien au-delà". Elle propose donc d'avoir une réflexion à l'échelle du bassin de vie de la population autour de chaque installation nucléaire. "En France, les communautés de communes [sic] de Bordeaux et Cherbourg-Octeville ont voté et adopté des motions en ce sens", souligne l'association. "Le rapport Athlet des autorités de sûreté nucléaire compétentes en radioprotection européennes recommande de se préparer à évacuer jusqu'à 20 km, protéger la thyroïde et se mettre à l'abri jusqu'à 100 km", rappelle David Boilley, président de l'Acro et membre de la CLI de la Manche. De telles distances peuvent impliquer beaucoup plus d'habitants qu'autour des centrales de Tchernobyl et de Fukushima : il y a ainsi plus d'un million d'habitants dans un rayon de 30 km autour des centrales de Fessenheim et du Bugey.
Plus de coopération transfrontalière
Autre nécessité selon l'Anccli : "renforcer la coopération transfrontalière afin d'aller vers une harmonisation des pratiques en prenant en compte les mesures les plus protectrices". A quelques kilomètres de distance, il existe aujourd'hui des différences flagrantes d'un pays à l'autre. Ainsi, la mise à l'abri des populations débute à partir de 5 mSv (millisieverts) en Belgique, mais 10 mSv en France. La limite pour les sauveteurs est de 250 mSv en Belgique, mais de 10 à 100 mSv en France, en fonction des catégories. Et, "en cas d'accident, il n'est pas prévu de communication directe avec les médias du pays voisin !", pointe David Boilley. Il y a aussi fort à faire pour harmoniser la distribution des comprimés d'iode à un niveau européen. "La Suisse a étendu la pré-distribution d'iode à 50 km autour de ses centrales nucléaires, illustre le président de l'Acro. En Belgique, le conseil supérieur de la santé a préconisé d'adopter des recommandations du rapport Athlet. En Allemagne, la commission de radioprotection recommande aussi d'étendre les PPI jusqu'à 100 km".
David Boilley regrette également qu'en France "les PPI n'indiquent rien sur les lieux prévus pour les évacuations", quand en Inde ces mêmes plans indiquent "les quantités de nourriture, et même le nombre de saris à prévoir", souligne-t-il. Il ajoute qu'en France "les plans d'urgence n'ont pas été évalués scientifiquement" tandis qu'en Amérique du Nord "une évaluation des temps d'évacuation est obligatoire". L'Anccli juge donc urgent de recenser les lieux d'accueil et les moyens d'évacuation. "Ces réflexions doivent être menées avec les acteurs locaux et peuvent conduire à un recensement dans les plans d'urgence du nombre d'hôpitaux et des capacités d'accueil dans un rayon de 30 à 80 km autour de l'installation nucléaire", avance l'association.
Financement pérenne pour les CLI
Elle propose en outre d'"élargir les compétences de l'ASN [Autorité de sûreté nucléaire, ndlr], en renforçant la coordination des questions de sûreté et de sécurité nucléaires pour obtenir une meilleure transparence et une information sur les intrusions, malveillance et ou agressions extérieures". L'Anccli réclame aussi une adoption de la politique du "pollueur payeur" à l'égard des commissions locales. Si "la France est l'un des rares pays à avoir institutionnalisé l'information sur le nucléaire" via les CLI, celles-ci ne disposent toujours pas d'un financement pérenne, rappelle en effet Jean-Claude Delalonde. Le prélèvement d'1% de la taxe sur les installations nucléaires de base prévu par la loi TSN de 2006 qui les a instituées et qui devait les financer n'est "pas appliqué à ce jour", souligne le président de l'Anccli. Selon lui, les 36 CLI disposent actuellement d'un budget "inférieur à 1 million d'euros".
Enfin, l'Anccli s'intéresse aussi à la gestion de crise post-accidentelle. Elle compte faire des propositions à ce sujet et préciser le rôle des CLI en la matière dans un livre blanc destiné aux élus et à la population qui devrait paraître au deuxième semestre 2016. Pour Jean-Claude Delalonde, président de l'Anccli, "aucune réponse à une situation d'urgence ne peut être efficace s'il n'y a pas eu planification au préalable".