Environnement - Notre-Dame-des-Landes : l'annonce d'un référendum local suscite beaucoup d'interrogations
François Hollande a annoncé le 11 février lors de son interview diffusée sur TF1 et France 2 la tenue d'un référendum local sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une proposition qui avait déjà été avancée par Ségolène Royal en mars 2015.
"Nos compatriotes se demandent ce qui se passe là-bas, a argumenté le président de la République. Les dossiers ont été parfaitement traités. Il y a des recours, nombreux, ils ne sont pas tous éteints et il y a un blocage. Il y a des élus totalement mobilisés pour que cet aéroport se fasse et d'autres, élus ou pas élus, le plus souvent associatifs, des occupants parfois sans titre, ou avec titre, qui veulent que cet aéroport ne se fasse pas. A un moment, il faut prendre une décision", a déclaré le chef de l’État. Il demande donc au "gouvernement, avec les élus locaux d’organiser un référendum local", d’ici octobre, date où doivent commencer les travaux, "pour savoir ce que veut la population". "Si c’est oui et que la population veut cet aéroport, alors tout le monde devra accepter cette décision. Et si c’est non, vous savez que c’est un projet porté par l’État, l’État en tirera les conséquences."
Ce référendum "sera défini à l'initiative des collectivités locales", ont annoncé les services de Manuel Valls le 12 février, ajoutant qu'il "pourrait correspondre au département de la Loire-Atlantique". "Le périmètre de la consultation correspondra aux territoires concernés par le projet", a indiqué Matignon, sans plus de précision.
Le chef de l'Etat a assuré qu’il "n’y a pas eu de négociations avec Emmanuelle Cosse", ce qu'a confirmé au micro de France Inter le 12 février l'ancienne secrétaire nationale d'Europe Ecologie nommée ministre du Logement, tout en réitérant son opposition au projet. "Des élus locaux m’avaient saisi" sur ce sujet, a ajouté François Hollande, "la maire de Nantes, des parlementaires". "Jean-Marc Ayrault est dans ce gouvernement, vous savez combien il est attaché à cet aéroport".
François Hollande a dressé un parallèle avec un projet de gare à Stuttgart, en Allemagne, "sur lequel personne n’était d’accord" et qui a finalement été tranché après l’organisation d’un référendum local qui s’est soldé par une réponse affirmative. Lors de la conférence environnementale de 2014, un mois après le décès de Rémi Fraisse sur le site du projet de barrage de Sivens, François Hollande avait déjà évoqué le référendum local comme solution aux blocages constatés sur certains projets. "N’ayons pas peur du vote. Pour débloquer une situation, le recours à un référendum local vaut toujours mieux que le fait accompli ou l’enlisement", avait-il alors déclaré.
Perplexité générale
Mais ni les opposants, ni les partisans du projet de transfert de l'aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes ne semblent véritablement satisfaits de l'annonce du référendum. "J'ai toujours défendu le principe d'un référendum donc c'est une bonne nouvelle", a déclaré à l'AFP Ronan Dantec, sénateur EELV de Loire-Atlantique. Mais, a-t-il nuancé, "il y a des conditions : il faut se donner les moyens de trouver une règle du jeu commune entre les pour et les contre". Il a cité les questions du calendrier de ce référendum, de son périmètre et de la finalisation des études en cours pour que les électeurs soient parfaitement informés.
Conseillère régionale des Pays-de-la-Loire, Sophie Bringuy (EELV) a regretté que le président n'ait pas franchi le pas d'un "abandon" pur et simple. "Il faudra un débat public et que le référendum ait les garanties nécessaires pour qu'il soit légitime", estime Sophie Bringuy, conseillère régionale EELV et tête de liste écologiste aux dernières régionales. "Il nécessite une remise à plat de toutes les informations sur ce dossier (notamment celles avancées par les opposants, ndlr) (...) et d'avoir une étude sérieuse, indépendante sur l'optimisation de Nantes-Atlantique (actuel aéroport)". "Le référendum, sans ces conditions, ce sera une gabegie démocratique", assène-t-elle. "C'est une solution qui n'a jamais été portée par les opposants".
"Il est évident que ce référendum est le prix d'un marchandage pour l'entrée des écologistes au gouvernement", a commenté le président de la région Bruno Retailleau (LR), pour qui le président "refuse de décider", "alors que toutes les procédures ont été scrupuleusement respectées et que la justice s'est prononcée favorablement sur le transfert de l'aéroport, à travers plus de 150 décisions".
Le président du département de Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet (PS), la maire de Nantes Johanna Rolland (PS), et le président de Nantes Métropole David Samzun (PS), tout en soulignant que ce référendum n'était pas leur "option", annoncent qu'ils s'engageront en faveur du "Oui" au projet d'aéroport.
"Ce que nous réclamons, c'est d'abord l'évacuation de la Zad", - Zone d'aménagement différé (Zad) rebaptisée "Zone à défendre" par les opposants anti-capitalistes installés depuis 2009 -, a expliqué André Tameza pour l'association pro aéroport "Les Ailes pour l'Ouest", qui qualifie le référendum de "déni de démocratie". A Notre-Dame-des-Landes, "beaucoup en ont marre de la Zad et de la non prise de décision", explique aussi le maire de ce village de 2.000 habitants, Jean-Paul Naud (sans étiquette), pourtant lui-même engagé dans la lutte contre le projet mais, "uniquement par les moyens juridiques". Pour lui, si l'issue du référendum était la victoire du "non", "on ne sait pas du tout si cela refermerait définitivement le dossier et si le résultat engagerait le gouvernement suivant en cas d'alternance aux présidentielles". Et si le oui l'emportait, "du côté des zadistes, je ne pense pas qu'ils partiraient. On se retrouverait dans la même situation qu'aujourd'hui: pour faire les travaux il faudrait évacuer la Zad par la force".
Pour le porte-Parole de l'Acipa, principale association d'opposants, Julien Durand, le référendum "vient trop tard, le dossier est trop avancé". La ministre de l'Écologie, Ségolène Royal, qui a annoncé le 31 janvier qu'un rapport serait réalisé dans les deux mois pour évaluer les projets "alternatifs ou complémentaires" au transfert d'aéroport, et Julien Durant estiment que ce rapport doit "d'abord être terminé". "Si, après, un référendum est organisé, il faut que ses modalités soient acceptées par tout le monde", ajoute-t-il.
Denez L'Hostis, président de France Nature Environnement (FNE), première fédération environnementale de France (3.000 associations), n'est "pas favorable" à ce type de consultation. "C'est plus piégeux qu'autre chose", a-t-il réagi. "Pour le moins, il faudrait élargir le périmètre du référendum à la Bretagne - qui a elle-même des aéroports dont elle ne sait que faire. Et quelle sera la question posée ? Trop souvent, les gens ne répondent pas à la question, ils vont se prononcer pour ou contre le gouvernement, ou bien pour ou contre les élus locaux", a-t-il commenté, se préoccupant des risques "de manipulations".
"Les modalités du référendum devront obligatoirement être définies en accord avec l'ensemble des parties prenantes", prévient la Fondation Nicolas Hulot (FNH), qui accueille l'annonce faite à la télévision par le président François Hollande "avec une grande prudence". La FNH réclame notamment l'implication des régions Bretagne et Pays de la Loire et la mise à disposition auprès du public d'une nouvelle étude sérieuse des alternatives possibles.
"Sans un consensus sur son périmètre, sur la question posée et le contenu du dossier d'information, l'exercice souffrira des mêmes problèmes de légitimité que le projet existant", relève-t-elle dans un communiqué. Dans une interview à l'AFP fin janvier, Nicolas Hulot, opposé au projet, avait estimé que, si le gouvernement ne renonçait pas à cet aéroport, il pouvait au moins envisager une consultation pour tenter de sortir de l'impasse. "Un référendum, oui il est encore temps de le proposer", avait-il dit.
Pour Agir pour l'environnement, la question de ce projet d'aéroport dépasse désormais le seul cadre local, par son ambition, ses implications politiques et écologiques, et devrait même donner lieu à une consultation nationale. Dans un communiqué, l'association "s'interroge sur les raisons ayant conduit le chef de l'Etat à choisir une consultation locale, et l'appelle à élargir le cadre territorial afin de permettre une expression démocratique la plus large possible".
Questions sur le cadre légal
Interrogé sur France Info le 12 février, Arnaud Gossement, avocat spécialiste des questions d'environnement, estime pour sa part que dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, "le cadre légal n'existe pas" pour un référendum local. Selon lui, "on ne peut pas organiser de référendum local, parce qu'une collectivité territoriale ne peut consulter les électeurs que sur une question qui relève de sa compétence, or, Notre-Dame-des-Landes, c'est la compétence de l'Etat. Elle ne pourrait pas non plus organiser une consultation, juste demander un simple avis, parce que, même chose, une collectivité locale ne peut consulter que sur un domaine qui relève de sa compétence".
Arnaud Gossement insiste aussi sur la difficulté qu'il y aurait à mettre en place un référendum, et à en assumer le résultat : "Si jamais référendum il y avait, et, encore une fois, le droit ne le permet pas aujourd'hui, il faudrait choisir quels sont les électeurs qui seront consultés. C'est évidemment crucial, puisque la réponse peut varier en fonction du nombre d'électeurs que vous consultez. Si la réponse est "non", il n'en reste pas moins que, derrière, il y a eu des contrats signés et des autorisations qui ont été délivrées, il va falloir que l'Etat re-déboucle ce qu'il a autorisé, et il ne peut pas le faire rien qu'avec un référendum. Là aussi, je pense que tous les instruments juridiques n'ont pas été forgés."
Anne Lenormand avec AFP
Référendum local : un cadre fixé en 2003
Les référendums locaux à valeur décisionnelle et organisés par les collectivités locales découlent de la réforme constitutionnelle sur la décentralisation de mars 2003. Les règles précises ont été fixées par la loi organique du 1er août 2003. Auparavant, et depuis une loi de février 1995, n'étaient autorisés que des référendums locaux consultatifs.
Les collectivités territoriales autorisées à organiser un référendum local sont les communes, les départements, les régions et les collectivités à statut particulier (collectivité territoriale de Corse et Ville de Paris). Un taux minimum de participation de 50% des électeurs inscrits est exigé pour que la consultation ait une valeur décisionnelle. Le champ d'application de ce référendum local comprend tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de la collectivité territoriale, et tout projet d'acte relevant des attributions de son exécutif, à l'exception notable des actes de portée individuelle, tels que des nominations ou la délivrance de permis de construire.
Le référendum consultatif s'appuie sur le code des collectivités territoriales qui prévoit qu'"un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales peuvent saisir le Conseil municipal en vue de l'organisation d'une consultation sur une opération d'aménagement relevant de la décision des autorités municipales (...). Cette consultation n'est qu'une demande d'avis". L'un des derniers référendums locaux organisés en France était consultatif et concernait, en septembre 2015 dans la ville de Beauvais (Oise), l'armement de la police municipale. Autre exemple, en novembre 2011, le maire de la commune de Nérac (Lot-et-Garonne) avait renoncé à installer un dispositif de vidéosurveillance dans sa commune après un vote défavorable lors d'un référendum local.
Souvent évoqué par les responsables politiques, ce dispositif reste relativement peu utilisé. L'organisation de référendums locaux ont été évoqués par le passé pour le barrage de Sivens (Tarn) ou la création d'une police municipale à Paris. Dans ce dernier exemple il s'agissait d'une proposition de la présidente du groupe Les Républicains au Conseil de Paris Nathalie Kosciusko-Morizet en mars 2015.
A.L. avec AFP