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Aménagement du territoire - Notaires : la carte de la discorde

L'Autorité de la concurrence identifie 247 "zones d'installation libre" dans lesquelles 1.650 nouveaux notaires pourront s'installer d'ici à 2018. C'est dans les grandes agglomérations que les besoins sont les plus importants, selon elle. Mais pour la profession, ces calculs sont "déconnectés des réalités". Si les offices ruraux semblent préservés par cette carte, ils pourraient subir les conséquences de la baisse des tarifs...

"Une proposition maximaliste, déconnectée des réalités du terrain." Le Conseil supérieur du notariat (CNS) n'a pas tardé à réagir à l'avis de l'Autorité de la concurrence rendu jeudi 9 juin, qui propose d'augmenter de 20% le nombre de notaires d'ici 2018. En application de la loi Macron du 6 août 2015, qui a introduit le principe de la "libre installation régulée" des notaires, le gendarme de la concurrence a en effet été chargé de proposer une carte d'implantation de nouveaux offices. Celle-ci devra encore être validée par les ministres de la Justice et de l'Economie. L'Autorité préconise ainsi l'installation de 1.650 notaires d'ici deux ans répartis en fonction des besoins. Le nombre de titulaires ou associés passerait de 8.600 à 10.250, un chiffre qui, selon l'Autorité, reste inférieur aux 12.000 pour lesquels le Conseil supérieur du notariat s'était engagé en 2015...
Pour ses calculs, l'Autorité s'est appuyée sur les zones d'emploi de l'Insee. Elle y a passé au crible le nombre d'offices ramenés à la population, les chiffres d'affaires réalisés par chacun d'eux. Elle a retenu un seuil de 450.000 euros de chiffre d'affaires, en dessous duquel aucun besoin n'a été identifié. L'Autorité rappelle au passage que les notaires libéraux génèrent un chiffre d'affaires de 760.000 euros en moyenne, leur assurant un résultat de 231.000 euros annuels, ce qui équivaut à un revenu brut de 19.000 euros par mois.

247 "zones d'installation libre"

Le territoire a ainsi été quadrillé en 307 zones. Tout d'abord, 247 "zones d'installation libre" où le nombre d'offices est jugé insuffisant, en particulier dans les grandes agglomérations (Paris, Toulouse, Bordeaux, Lille, Rouen, Rennes, Nantes, Lyon, Montpellier, Marseille) et sur le littoral. C'est là que se concentreront les 1.650 places. Les 60 zones restantes sont des "zones d'installation contrôlée" où, pour l'heure, il n'est pas envisagé de nouvelles créations. Il s'agit essentiellement de territoires ruraux pour lesquels l'autorité n'a pas identifié de besoins particuliers, tels que Commercy, Guimgamp ou Guéret, et des territoires d'Outre-mer. Ce qui ne veut pas dire que les créations y seront interdites. Mais chaque candidature sera soumise à "une étude locale approfondie pour s'assurer ex-ante que les offices existants ne verront pas leurs conditions d'exercice bouleversées par l'arrivée d'un concurrent", précise l'Autorité. A noter que les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ne sont pas concernés car il y existe un régime dérogatoire, même si l'Autorité s'étonne de la persistance de cette particularité.

Politique "malthusienne"

Cette carte vise aussi bien à répondre aux besoins de la population et des entreprises qu'à un problème de démographie des notaires, justifie l'avis. Jusqu'ici, pour pouvoir s'installer, les nouveaux titulaires devaient soit être présentés par leur prédécesseur dans un office existant soit être sélectionnés sur concours pour les nouveaux offices ou les offices laissés vacants, la décision revenant au ministère de la Justice. Une politique d'installation jugée "malthusienne" par l'Autorité, car elle s'est traduite par un vieillissement de la profession et un maillage territorial inadapté. Entre 2005 et 2015, le nombre de diplômés a augmenté de 12.285. Or dans le même temps seulement 67 offices ont été créés et seulement 1.500 nouveaux notaires ont été recensés. Un rythme bien insuffisant pour absorber les nouveaux diplômés. Dans les dix années qui viennent, le renouvellement des générations libérera 1.800 places. Ce qui fait que plus de "8.000 notaires diplômés" devront exercer d'autres fonctions (notaires assistants, clercs) ou carrément une autre activité, d'après l'avis.
Si la présence notariale est plus forte en zones urbaines, en termes de densité en revanche, elle est plus importante en milieu rural, en particulier dans le Sud-Ouest, la Normandie ou les Alpes, souligne-t-il par ailleurs. A titre de comparaison, on compte 21 notaires pour 100.000 habitants dans l'Aveyron contre 5 pour 100.000 en Seine-Saint-Denis.

Les offices ruraux menacés par les nouveaux barèmes, d'après le CSN

Cependant, ces calculs à la serpe ne sont pas du goût du CSN pour lequel, l'Autorité de la concurrence a été "trop inspirée par son expérience en matière de grandes surfaces commerciales, en l'espèce inadaptées à la réalité du travail et à l'économie des offices notariaux". Le conseil prend à témoin le garde des Sceaux, chargé d'arbitrer, qui lors du 11e Congrès de la profession à Nantes, le 6 juin, est "venu restaurer la confiance" d'une profession toujours très remontée par cette réforme Macron.
A l'occasion de ce même congrès, le président du CSN, Pierre-Luc Vogel, s'est livré à une charge contre l'atlantisme de la Commission européenne et du gouvernement français inspiré, selon lui, par le droit anglo-saxon. Il s'en est pris au mode de calcul de l'Autorité de la concurrence "usant du compas pour circonscrire des zones de chalandises, comme si le citoyen fréquentait son notaire toutes les semaines alors qu'il y a recours pour les moments importants de son existence". Si les offices ruraux semblent préservés par la cartographie de l'Autorité, ils pourraient être menacés par les nouveaux barèmes des tarifs de notaires entrés en vigueur au mois de mai 2016 (selon un décret d'application de la loi Macron), qui limitent à 10% les frais des petites transactions immobilières, avec un plancher de 90 euros. "Voulez-vous donc que les chefs-lieux de canton dans lesquels nous sommes encore implantés voient leur office fermer, comme ils ont vu fermer les autres services de proximité ?", avait lancé Pierre-Luc Vogel. Selon lui, il n'y a pas de manque d'offices en France.