Normes d’émissions de CO2 pour 2025 : l’Alliance des régions automobiles exhorte la Commission européenne à revoir sa copie

Dans une "déclaration de Monza" adoptée ce 29 novembre, l’Alliance des régions automobiles – dont la vice-présidence vient d’être confiée à la région Grand Est – exhorte à son tour la Commission européenne à revoir le règlement sur les normes d’émissions de CO2 qui, en l’état, devrait se traduire par des "amendes gigantesques" pour les constructeurs européens. "Une balle dans le pied" de constructeurs déjà menacés de sortie de route.

Alors que pour l’industrie automobile européenne le mur du 0 émission se rapproche à grande vitesse, l’Alliance des régions automobiles (ARA), initiative du Comité européen des régions, implore Bruxelles de lever le pied. Dans une "déclaration de Monza" adoptée ce 29 novembre, l’ARA "exhorte la Commission européenne à adopter une approche plus progressive et à envisager une révision anticipée [du règlement fixant les normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et camionnettes] (…) afin de donner aux constructeurs automobiles européens suffisamment de temps pour s’adapter à la transition". Elle lui demande en outre la création d’un groupe de travail en vue du rapport d’étape lié à cette révision. Une déclaration adoptée "dans une ambiance lourde", précise à Localtis, Valérie Debord, vice-présidente de la région Grand Est, laquelle a pris à Monza (Lombardie) la vice-présidence de cette alliance. L’élue rappelle que dans sa région, "120.000 emplois directs sont en jeu", en soulignant la nécessité de "conserver toute cette chaine de valeur sur notre territoire". Une analyse de l’Oref Grand Est d’octobre 2023 évoque une étude Syndex/Cfdt/FN estimant que "la prolongation des tendances actuelles se traduit par une baisse de 70% des effectifs d’ici 2050 et pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France".

Une balle dans le pied… à la hauteur du genou

En l’état, ce règlement oblige par ricochet les constructeurs à commercialiser un certain quota de voitures à émissions nulles ou faibles, avec de lourdes amendes à la clé à défaut. Lesquelles se profilent grandement avec la chute de la demande de voitures électriques. "Les ventes ne décollent plus", constate Valérie Debord. Début septembre, le directeur général du groupe Renault, favorable au report des obligations*, agitait la menace de "15 milliards d’euros d’amendes pour l’industrie européenne" (voir l’encadré de notre article du 10 septembre 2024). "Une balle dans le pied", déplorait le ministre de l’Économie Antoine Armand au Figaro le 3 novembre dernier : "Si nous devons infliger des amendes gigantesques aux constructeurs parce qu'ils ne sont pas allés assez vite, la première conséquence sera d'affaiblir l'investissement et surtout de renforcer nos concurrents asiatiques", plaidait-il. Il tente depuis de convaincre Bruxelles de revoir sa copie (un exercice périlleux ; voir encadré). Une balle dans le pied à la hauteur du genou, serait-on tenté de préciser, tant l’industrie européenne est confrontée depuis plusieurs mois à une singulière chute de puissance, qui fait redouter la casse moteur. 

Quand les employés de l’automobile allemands débrayent

Les premières turbulences d’un "tsunami" naguère annoncé se font en effet déjà ressentir. Dans sa déclaration, l’Alliance met ainsi en relief "les impacts importants de la transition [climatique] sur l’emploi ainsi que sur la cohésion sociale et territoriale désormais tangibles". Quand bien même nombre d’entre eux restent à mesurer. L’ARA exige ainsi que la Commission européenne mette en place un système de suivi "efficace" pour mieux les appréhender. Outre-Rhin, l’impensable se fait réalité, avec la prochaine fermeture d’usines par Volkswagen sur son propre sol. Du jamais vu. "Les licenciements et les fermetures d’usine sont inévitables", prévient pourtant son président, Thomas Schäfer, dans un entretien accordé au journal Welt Am Sonntag le 23 novembre dernier. Pour conjurer le sort, après des "grèves d’avertissement" organisées ce lundi 2 décembre, le syndicat IG Metall agite la menace d’un mouvement social "comme le pays n’en a pas connu depuis des décennies". Dans un entretien à la fondation Hans-Böckler, Thorsten Gröger, chef de district de ce syndicat en Basse-Saxe/Saxe/Anhalt – qui vante au passage le "leasing social" français, mort en bas-âge, et plaide pour un prix de l’électricité avantageux pour le secteur – ne conteste par la nécessité de "réduire les surcapacités". Mais il entend que tous les employés du constructeur "aient un avenir". Pour l’heure chaque jour plus sombre. 

Des fonds pour inciter à l’achat et dépasser les bornes 

Poussés par la réglementation, la plupart des constructeurs européens ont appuyé à fond sur la pédale d’accélérateur électrique, qui se mue aujourd’hui en pédale de frein, faute d’acheteurs. 

D’une part, l’insuffisant déploiement des bornes de recharge ("au soutien de la mobilité propre", la Commission a proposé ce 29 novembre une nouvelle directive "technique" afin de modifier, entre autres, les exigences de mesure pour les stations de recharge pour véhicules électriques ou hydrogènes) et le retrait des aides gouvernementales à la conversion enrayent le passage à la vitesse supérieure. L’Alliance demande ainsi à Bruxelles de nouveaux financements dans ces deux domaines. 

D’autre part, la concurrence chinoise – qui bénéficie de coûts de production (batteries, énergie, main d’œuvre…) sans équivalent, voire de subventions déloyales, mais aussi parfois d’une réelle avance technologique – empoche progressivement la mise. L’ARA prie en conséquence la Commission de remettre au pot : "Il faut augmenter les fonds de la R&D pour rattraper le retard technologique, notamment dans les batteries, et pour la transformation des compétences", insiste Valérie Debord. Une "course aux batteries" que l’Europe est en train de perdre, alertait l’an passé la Cour des comptes européenne. L’élue invoque également la nécessité de barrières douanières (voir notre article du 13 juin), que la Commission a d’ailleurs récemment renforcées : "Il nous faut du temps pour parfaire notre R&D et pendant ce temps-là protéger nos filières afin de ne pas les voir disparaitre. Et il faut recréer la réalité du prix face à une concurrence parfaitement déloyale, notamment des pays asiatiques." Si elle évoque "un consensus chez tous les élus présents" sur ces droits de douane, la déclaration n’en fait toutefois pas état. Plus largement, la mesure reste discutée, singulièrement en Allemagne. Thorsten Gröger précise ainsi qu’IG Metall n’est pas favorable aux droits de douane "anti-Chine" : "Les fabricants allemands gagnent beaucoup d'argent sur les marchés internationaux. La fermeture de notre marché (…) n’a aucun sens et comporte de grands dangers", juge-t-il.

Le totem du tout électrique remis en cause

L’Alliance invite par ailleurs la Commission à ne pas miser sur le tout électrique pour atteindre la neutralité carbone. Dans sa déclaration, elle salue d’emblée "l’accent mis par la présidente de la Commission européenne [dans ses orientations politiques pour la prochaine Commission] sur la neutralité technologique pour atteindre l’objectif de mobilité routière à zéro émission". Orientations dans laquelle Ursula von der Leyen indique notamment que les carburants de synthèse, chers à son pays d’origine (voir notre article du 29 mars 2023), "auront un rôle à jouer". 

Plus encore, l’Alliance "réaffirme le besoin de recourir à la méthodologie [dite] de l’analyse du cycle de vie pour évaluer les technologies à utiliser pour atteindre les objectifs climatiques". Une méthode – promue par le président de Transdev, Thierry Mallet (voir notre article du 10 juin 2022) – qui vise, pour le secteur automobile, à mesurer l’impact de cette dernière a minima "du puits à la roue", et pas seulement "du réservoir à la roue". Et qui est susceptible de remettre en cause le tout électrique compte tenu du coût environnemental de certains de ses éléments, batterie en tête, mais aussi du risque de voir émerger des véhicules électriques  "jetables" récemment pointé par l’association Halte à l’obsolescence programmée.

Dans l’attente du "dialogue stratégique"

À la Commission, le message semble avoir été entendu. Il est vrai qu’il est fortement relayé. Dernièrement, Mario Draghi prenait dans son rapport le secteur comme "exemple clé du manque de planification de l’UE, appliquant une politique climatique sans politique industrielle". Le jour même de sa nouvelle "intronisation", Ursula von der Leyen annonçait ainsi le prochain lancement d’un "dialogue stratégique sur l’automobile", favorablement accueilli par l’Alliance dans sa déclaration. Reste à savoir ce qu’il en sortira. Et, peut-être plus encore, quand. "Nous attendons des décisions, c’est-à-dire des moyens", souligne Valérie Debord, qui entend bien ne pas relâcher la pression sur la Commission : "Nous sommes extrêmement déterminés." Elle prévoit d’organiser la prochaine réunion de l’Alliance à Strasbourg en avril, avec la volonté de recevoir la commissaire Teresa Ribera Rodríguez, première vice-présidente exécutive pour une Transition propre, juste et compétitive. 

* Report auquel le PDG de Stellantis, "démissionné" ce 1er décembre, était opposé. Dans une conférence téléphonique aux analystes de février dernier rapportée par le Wall Street Journal, il faisait même part de sa volonté de "mettre le pied sur l’accélérateur" de l’électrique, au moment même où ses concurrents appuyaient sur le frein. Il prédisait alors que seul cinq constructeurs internationaux survivraient à la transition vers l’électrique. Dont Stellantis.

 

Modifier la réglementation, un art délicat

L’enfer est pavé de bonnes intentions. En témoigne le report d’un an de la date d’application du règlement du 31 mai 2023 relatif à la déforestation et la dégradation des forêts (voir notre article du 29 novembre 2021), voté par le Parlement européen le 14 novembre dernier, après que le Conseil a fait de même en octobre (les deux se sont accordés ce 3 décembre). Une décision proposée par la Commission européenne "en réponse aux préoccupations exprimées par les États membres, les pays tiers, les négociants et les opérateurs qui craignent de ne pas être en mesure de se conformer pleinement aux règles si elles étaient appliquées fin 2024", qui n’est pas sans impacter négativement le (bon) élève Michelin. Car lui était en ordre de marche. "Depuis juin 2023, le groupe a déployé des moyens humains et financiers considérables pour géolocaliser des millions de parcelles d’hévéas afin de garantir la conformité de ses produits en fin d’année (…). Ceci en dépit d’une complexité administrative que Michelin n’a cessé de pointer", vantait ainsi le groupe dans un communiqué du 18 octobre dernier. Il y déplore surtout "une certaine forme d’improvisation dans la mise en œuvre d’une réglementation aussi lourde", qui "pénalise l’ensemble de la filière hévéicole, dont les planteurs villageois, ainsi que la compétitivité des grandes entreprises européennes". Pour le groupe, le montant de la facture est estimé par son président, Florent Menegaux, entre 150 et 200 millions d’euros annuels. "Mais aucun de nos concurrents respectera cette réglementation, et aucun contrôle ne sera fait", se désolait-il dans un entretien au journal Les Échos, le 5 novembre dernier. Le jour même où il annonçait la fermeture de ses usines de Vannes et de Cholet, avec 1.250 suppressions de postes à la clé.