Bornes de recharge électrique : attention à la fracture territoriale, alerte l’Autorité de la concurrence

Afin de résorber une fracture territoriale qui va croissant en matière de déploiement de bornes de recharge de véhicules électriques, l’Autorité de la concurrence dresse plusieurs recommandations, dont certaines visent directement les collectivités territoriales – comme le fait de rendre obligatoire la mise en place de schémas directeurs. Elle attire également l’attention sur les risques concurrentiels particulièrement aigus dans le résidentiel collectif.

Dans un substantiel avis relatif au secteur des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE) mis en ligne ce 11 juin, l’Autorité de la concurrence dresse plusieurs recommandations pour résorber la fracture territoriale observée dans le déploiement des bornes accessibles au public d’une part, et prévenir les risques concurrentiels existant dans le déploiement des bornes dans le résidentiel collectif d’autre part. 

Bornes de recharge accessibles au public : "persistance de disparités territoriales"

"En dépit d’une action volontariste des pouvoirs publics matérialisée notamment par la multiplication des dispositifs d’aides publiques pour l’implantation des IRVE, l’Autorité constate que les zones rurales et périurbaines pâtissent de la faiblesse, voire de la carence de l’initiative privée". Pis, l’Autorité estime que cette "persistance de disparités territoriales" dans le déploiement des bornes accessibles au public devrait perdurer. "Les zones denses devraient continuer à attirer prioritairement les opérateurs de recharge, compte tenu de leur rentabilité et ce, jusqu’à ce qu’elles soient toutes dotées, potentiellement pour des durées assez longues. La marge de manœuvre des détenteurs du foncier pour associer, au sein des appels d’offres, des zones attractives et peu attractives risque ainsi d’être considérablement réduite dans les prochaines années, ce qui devrait accentuer la faible attractivité, pour les opérateurs de recharge, des zones à faible densité, rurales ou périphériques et accroître in fine la fracture territoriale", juge-t-elle. Un risque récemment pointé par Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux, co-président de la commission transports de l’Association des maires de France (voir notre article du 27 octobre 2023).

Recentrer les aides et mutualiser les investissements

Aussi l’Autorité formule plusieurs recommandations pour conjurer ce spectre, en commençant par "une identification plus fine des zones carencées […] et un recentrage des aides publiques […]  dans les zones les plus déficitaires", naguère suggéré par la Cour des comptes européennes (voir notre article du 16 avril 2021). Elle y ajoute la création d’un organe interministériel dédié, afin de renforcer la coordination entre les différents donneurs d’ordres et la planification au niveau national". Considérant en outre que la persistance de ces zones à très faible densité est "assimilable à une défaillance du marché", et jugeant "mutatis mutandis pertinente l’analogie avec les solutions mises en œuvre pour assurer le déploiement de la fibre optique en dehors des zones très denses", elle invite les opérateurs de recharge "qui réfléchiraient à une mutualisation de leurs investissements (...) dans ces zones à très faible densité à engager un dialogue informel avec l’Autorité sur les accords envisagés".

La Banque des Territoires s'engage pour le déploiement des bornes de recharge

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Le rôle "essentiel" des collectivités

• Mettant en exergue le "rôle essentiel" joué par les collectivités "dans le déploiement d’une offre de recharge accessible au public de proximité", elle plaide par ailleurs pour rendre obligatoire la mise en place des schémas directeurs pour les IRVE. Les directions interdépartementales des routes devraient être en outre associées à l’élaboration de ces schémas et ce, "afin d’assurer une cohérence dans le déploiement entre le réseau routier national non-concédé et les zones à proximité". Constatant au passage que les opérateurs de recharge ne communiquent pas leurs plans de déploiement, l’Autorité préconise la mise en place d’amendes administratives en cas de défaut de transmission de ces informations. 

• L’Autorité recommande également de renforcer la phase de diagnostic de ces schémas, en proposant d’y intégrer "une évaluation spécifique des besoins en termes de maillage territorial afin d’apporter une réponse adaptée aux besoins différenciés selon les zones", évaluation qui par ailleurs "devra tenir compte de l’existence de bornes privées".

• Estimant par ailleurs que les collectivités "devraient veiller à susciter une animation concurrentielle au niveau local, de façon à privilégier la présence de plusieurs opérateurs de recharge", elle invite ces dernières à "étudier systématiquement les impacts concurrentiels associés au choix du mode de gestion". Dans le détail, elle suggère :

- de limiter l’inclusion des clauses d’exclusivité au profit de l’opérateur de recharge concernant la gestion du service ; 

- de prévoir si possible plusieurs lots, mixant zones attractives et moins attractives (alors qu’elle souligne, voir supra, que la marge de manœuvre pour ce faire est réduite) afin de sélectionner plusieurs opérateurs ; 

- de fixer une durée des contrats corrélée à la nature et au montant des investissements de l’opérateur de recharge ; 

- si possible, de prévoir des modalités de contrôle (et de sanction) de ces opérateurs, notamment sur les tarifs et la qualité du service (taux de disponibilité, délai d’intervention pour la maintenance et la réparation, etc.).

Toujours à propos de ces bornes accessibles au public, l’Autorité émet par ailleurs plusieurs préconisations afin d’améliorer l’information du consommateur sur le prix de recharge, alors qu’elle juge que "l’expérience de recharge demeure complexe et la tarification opaque".

Bornes de recharge dans les immeubles collectifs : attention aux monopoles 

2%. Tel est le taux d’équipement en bornes de recharge des copropriétés, relève l’Autorité. Faible recours au "droit à la prise", barrières financières, techniques et réglementaires expliqueraient selon elle ce résultat. Si la directive relative à la performance énergétique des bâtiments récemment révisée devrait apporter quelques remèdes, l’Autorité relève que les spécificités techniques inhérentes au déploiement des bornes dans ce type d’habitat ne sont pas sans créer des difficultés singulières sur le fonctionnement du marché. Ces installations nécessitent en effet une infrastructure collective – confrontant le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires, côté demande, avec des opérateurs privés ou le gestionnaire de réseau de distribution, côté offre – et des infrastructures privatives – avec chaque propriétaire ou locataire dans l’immeuble, côté demande, et des opérateurs privés de recharge et des installateurs, côté offre.

Or l’Autorité relève d’un côté que l’intervention du gestionnaire de réseau de distribution dans le domaine concurrentiel peut entraîner une asymétrie des délais de raccordement (pour lequel le gestionnaire dispose d’un monopole légal) de l’infrastructure collective suivant la solution, publique ou privée, retenue par le propriétaire, la potentielle promotion par le gestionnaire de sa propre solution lors du raccordement ou encore l’éventuelle utilisation croisée d’informations commerciales et techniques entre ses structures. Cette solution présente en revanche l’avantage de préserver le libre choix de l’utilisateur final en aval. À l’inverse, elle observe que dans le cas où un opérateur privé est sélectionné pour installer l’infrastructure collective, ce dernier est susceptible d’empêcher la concurrence pour les installations privatives, en exigeant contractuellement d’être l’unique opérateur pour ces dernières.

Affecter prioritairement le préfinancement par le Turpe aux parkings extérieurs des bâtiments collectifs

L’autorité indique n’avoir pas vocation à recommander un schéma particulier. Elle préconise toutefois de "réaffirmer l’affectation prioritaire du mécanisme de préfinancement par le Turpe à l’installation d’infrastructures collectives au sein des zones dans lesquelles une carence de l’initiative privée est identifiée, soit principalement les parkings extérieurs des immeubles collectifs". Elle juge que "ce recentrage du dispositif serait de nature à rattacher l’intervention du gestionnaire de réseau de distribution à ses missions de service public et à mettre fin à son intervention dans un domaine concurrentiel". Elle formule par ailleurs diverses recommandations pour éviter les restrictions de concurrence en aval en cas d’installation collective réalisée par un opérateur privé.