Non-scolarisation des enfants : un phénomène bien réel toujours aussi méconnu
Un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme pointe le phénomène de la non-scolarisation des enfants. Si aucun chiffre officiel n'est connu, la CNCDH met en avant quelques explications et avance plusieurs recommandations.
Combien d'enfants en âge d'être scolarisés ne vont pas à l'école en France, sans suivre pour autant une instruction en famille ? Personne ne le sait. Le phénomène est cependant assez préoccupant pour que la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) se soit penchée sur la question dans une première synthèse sur la non-scolarisation en France. Son avis, publié courant octobre 2024, fait état de plusieurs constats : un manque de données sur le nombre d'enfants empêchés d'aller à l'école, un manque de moyens permettant de garantir l'accès à l'école, et, enfin, une coordination insuffisante entre les acteurs permettant la scolarisation et la continuité scolaire.
Alors que la scolarité est, depuis 2019, obligatoire de 3 à 16 ans, et prolongée par une obligation de formation de 16 à 18 ans, la CNCDH s'étonne que "les statistiques officielles de l'Éducation nationale et de l'Insee ne fassent pas état de la situation de non-scolarisation totale ou partielle, ni des phénomènes d'abandon scolaire". Ce manque de visibilité n'est pourtant pas nouveau. Il y a près de trois ans, la députée de Haute-Garonne Sandrine Mörch le pointait déjà comme un enjeu majeur (lire notre article du 1er février 2022).
Des données lacunaires
Des chiffres, partiels ou approximatifs existent toutefois. Selon le Défenseur des enfants, 31.000 enfants vivent dans des hôtels sociaux et plus de 2.000 à la rue, autant de situations qui mettent "de fait à mal la scolarisation et la continuité de la scolarisation". De son côté, la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) comptabilisait en 2019 6.000 mineurs vivant en bidonville et estimait que près de 70% d'entre eux souffraient de problèmes de non-scolarisation, de scolarisation discontinue ou de grand décrochage scolaire.
Des données plus précises émanent de territoires particuliers. Selon une étude de l'Université Paris-Nanterre de 2023, à Mayotte, la non-scolarisation concerne, a minima, entre 5.379 et 9.575 enfants âgés de 3 à 15 ans révolus. D'après une étude de l'Insee de 2020, mise en avant dans une étude récente de la Fondation Jean-Jaurès, ils seraient 6.200 en Guyane, soit 7% des enfants d'âge scolaire. Autres chiffres fiables : les 700 à 800 dossiers reçus chaque année par le Défenseur des enfants en raison des discriminations à l'accès à l'éducation touchant des enfants porteurs d'un handicap.
À tous ces publics particulièrement à risque (enfants vivant en situation de grande précarité ou en territoires isolés, enfants de voyageurs, allophones, malades, en situation de handicap, mineurs non-accompagnés, etc.), on pourrait ajouter les 14.000 élèves non affectés en seconde au 26 juillet 2024 ou les 50.000 élèves de 16 ans en situation de décrochage scolaire.
Pour un observatoire de la non-scolarisation
Pour la CNCDH, ces exemples montrent "que la non-scolarisation totale ou partielle frappe des dizaines de milliers de jeunes sans que des statistiques officielles objectivent le phénomène, l'analysent et permettent de mettre en œuvre une politique publique adaptée et efficace". Sa première recommandation porte donc sur la création d'un observatoire de la non-scolarisation, coordonné par un délégué interministériel et mobilisant les ressources des différents acteurs (ministère de l'Éducation nationale, Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, collectivités territoriales, associations, Défenseur des enfants, parents d'élèves…). Cet observatoire permettrait, entre autres, l'articulation des acteurs centraux et territoriaux assurant l'effectivité du recensement des élèves non scolarisés – une obligation légale pour chaque mairie –, mais aussi l'évaluation précise du phénomène de non-scolarisation à l'échelon communal, départemental, régional avec une remontée au niveau central.
Parmi les raisons les plus fréquentes qui empêchent la scolarisation, la CNCDH pointe d'abord le manque de moyens humains, qu'il s'agisse des enseignants pour la Guyane et Mayotte et pour les enfants privés de liberté, ou encore d'accompagnants d'enfants en situation de handicap (AESH). Mais aussi le manque d'établissements scolaires ou d'internats, de nouveau en Guyane et à Mayotte. Enfin, le défaut d'évaluation du niveau de langue par les rectorats, préalable indispensable à la scolarisation, est un obstacle majeur à la scolarisation des enfants allophones ou mineurs non accompagnés.
"Complexité des dispositifs"
Pour la CNCDH, ces exemples "sont révélateurs d'une carence dans la continuité des enseignements, [...] montrent la complexité des dispositifs, [et] reflètent aussi les difficultés d'articulation entre les différents acteurs permettant l'éducation, qui dépendent des collectivités territoriales, des ministères de l'Éducation nationale, du Travail, de la Santé et des Solidarités (protection de l'enfance), de celui de la Justice, d'associations ayant ou non délégation de service public". Sa seconde recommandation vise alors "la mise en place d'une déclinaison territoriale de l'observatoire". Les directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (Dasen) pourraient être chargés d'assurer la mise en commun des compétences des acteurs : parents, enseignants, autres personnels de l'Éducation nationale, collectivités territoriales, etc.
Parmi les autres recommandations de la CNCDH, on note l'augmentation des moyens dédiés à la scolarisation des enfants en situation de handicap – y compris durant les temps péri et extrascolaires –, le renforcement des relations famille-école –à travers la poursuite du déploiement de médiateurs sociaux sur l'ensemble du territoire – et le renforcement de la politique de soutien à la parentalité.