Règles de scolarisation des familles non sédentaires : une décision du Conseil d'État permet de faire le point
Dans sa décision du 8 décembre 2023, le Conseil d'État annule la décision du maire de Ris-Orangis de scolariser des enfants de familles d'origine rom dans un lieu spécialement aménagé en raison de leur origine ethnique. Le Conseil d'État condamne non seulement la commune mais aussi l'État et ses services académiques à indemniser une famille et ses enfants. Cette décision permet de faire point sur les règles de scolarisation des familles non sédentaires et sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales.
Dans sa décision du 8 décembre 2023 n°438289, le Conseil d'État annule la décision du maire de Ris-Orangis de scolariser, selon des familles d'origine rom, les "12 enfants des familles requérantes dans un lieu spécialisé en raison de leur origine ethnique à compter du 21 janvier 2013". Le maire n'est pas parvenu à convaincre la juridiction administrative que "la décision contestée concerne l'accueil effectif des enfants sous l’autorité des enseignants affectés par l’Éducation nationale au sein d’un dispositif transitoire et ad hoc [et] relève de la compétence de l'Éducation nationale et non de celle de la commune". Cette décision a été considérée fautive et le Conseil d'État a condamné non seulement la commune mais aussi l’État et ses services académiques à indemniser une famille concernée et ses enfants.
"Scolarisés" dans un local attenant à un gymnase municipal
Dans le courant de l’année 2012, des familles roumaines d'origine rom se sont installées sans autorisation sur un terrain situé sur la commune de Ris-Orangis. En septembre, le maire a refusé d’inscrire 12 enfants, âgés de 5 à 12 ans, sur la liste des enfants à scolariser. Par la suite, à compter du 21 janvier 2013, ils ont été "scolarisés" dans un local attenant à un gymnase municipal. Des échanges ont eu lieu auparavant entre le maire et la Dasen de l'Essonne qui a confirmé le 15 janvier 2013 la mise à disposition d’un enseignant spécialisé et a pris acte de ce que le lieu dédié disposait de sanitaires, de mobiliers adaptés et de matériels scolaires.
Tous ces éléments ont été décrits dans une lettre du Défenseur des droits du 5 février 2013 adressée au maire. Cette lettre a permis de révéler que le local aménagé en salle de classe l'était au moyen d’équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l’écart des autres enfants de la commune. Elle indiquait aussi que les écoles de la commune disposaient de places disponibles depuis la rentrée 2011. Après la réquisition effectuée par le préfet de l’Essonne, les enfants ont été scolarisés dans les écoles de la commune à compter du 19 février 2013. Les familles ont alors mené un combat contentieux pendant 10 ans afin d'obtenir d'une part l'annulation de la décision de scolariser leurs enfants dans ce local et d’autre part la réparation de leurs préjudices. L'ensemble de ces décisions juridictionnelles permettent de faire le point sur les règles de scolarisation des familles non sédentaires et sur la répartition des compétences entre les pouvoirs publics.
Droit à l'éducation
Tout d'abord, de nombreuses dispositions juridiques rappellent que nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction : le Préambule de la Constitution de 1958, le Protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (art. 2), le code de l’éducation. Ce dernier (art. L. 111-2) dispose que "tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son éducation" et que (art. L. art. L. 131-1) "l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre trois ans et seize ans". Les enfants om devaient donc être scolarisés. En l'occurrence, la question juridique importante était de savoir quelles autorités prennent la décision de la scolarisation des enfants.
Qui de l'État ou de la commune décide ?
Le Conseil d’État rappelle que le maire doit dresser chaque année la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l’obligation scolaire (C. éduc., art. L. 131-6). À ce titre, il décide au nom de l’État. A contrario, il agit au nom de la commune lorsqu’il décide l’inscription d’un enfant dans une école de la commune en tenant compte de la sectorisation définie par le conseil municipal (C. éduc., art. L. 212-7) ; il doit délivrer au nom de la commune le certificat d’inscription sur la liste scolaire qui précise l’école d’affectation (C. éduc., art. L. 131-5).
Le Conseil d’État confirme que la décision de scolarisation dans le local méconnaît le principe d’égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine, et l’annule. Toutefois, dans le contentieux précédent de l'annulation examiné par le tribunal administratif (TA) et la cour administrative d'appel (CAA) de Versailles, ces juridictions avaient jugé que la décision avait été prise par le maire au nom de la commune. Le Conseil d’État a cassé les solutions des juges du fond sur ce point. Il considère que la décision a été prise par la maire agissant au nom de la commune mais aussi par le maire conjointement avec la Dasen, tous deux agissant au nom de l'État.
Préjudice indemnisable direct et certain
Le Conseil d’État poursuit pour dire que la décision illégale est bien constitutive d'une faute de la commune comme de l'État et que cette faute a été à l’origine d’un préjudice indemnisable direct et certain. Le Défenseur des droits et le préfet de l’Essonne ont démontré que les enfants n'ont pu, pendant 4 semaines, bénéficier que d’une forme dégradée de scolarisation délivrée dans un cadre inapproprié, hors de tout établissement scolaire et à l’écart des autres enfants de la commune, donc sans pouvoir accéder au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles de la commune. Le Conseil d’État condamne donc définitivement et solidairement la commune et l’État à verser à la famille et à leurs enfants 800 euros.