Un rapport pour rendre visibles les exclus de la scolarité
Auteure d'un rapport portant sur la non-scolarisation des enfants en grande précarité, la députée Sandrine Mörch met en avant la méconnaissance du sujet, pointe le rôle des maires dans le respect du droit à la scolarisation et appelle à développer le nombre d'acteurs de terrain.
Pour mettre les enfants les plus précaires sur le chemin de l'école, il faut avant tout "les rendre visibles". C'est la méthode que prône la députée de Haute-Garonne Sandrine Mörch, auteure d'un rapport intitulé "Scolarisation et grande précarité : lever les obstacles pour que tous les enfants aillent à l'école". Commandé par Jean Castex en juillet 2021 et remis en décembre dernier, il a été examiné mercredi 26 janvier par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l’Assemblée nationale.
Le but de ce rapport ? Comprendre les obstacles qui s'opposent encore à l'éducation de tous les enfants jusqu'à dix-huit ans. La lettre de mission demandait, d'une part, d'établir un état des lieux des freins à l'accès au système scolaire et les facteurs qui y concourent et, d'autre part, de formuler des préconisations pour lever ces différentes barrières.
La demande était donc claire. La réponse ne peut pas l'être. Et pour cause. : présenter un état des lieux impose de pouvoir calculer l'ampleur de la situation de "ces enfants et ces jeunes qui vivent à la périphérie de nos villes et de notre système scolaire". "Or le premier écueil de taille que nous n'avons pas réussi à surmonter, et ce sera le travail de la prochaine mandature, c'est de quantifier ces enfants. Combien sont-ils ? Personne ne le sait réellement car personne ne calcule de la même manière", a regretté Sandrine Mörch. Sa première préconisation découle de cette méconnaissance : elle demande une enquête de l'Insee pour déterminer si ces enfants sont "30.000 ou 100.000. Il nous faut des chiffres fiables si l'on veut amener efficacement des enfants à faire leur rentrée à l'école".
Un décret mal appliqué par les maires
Autre constat : si le nomadisme de certains enfants rend impossible leur scolarisation ou la pérennisation de leur scolarité, la parlementaire a pu "constater la méconnaissance ou la non-application fréquente du décret de simplification administrative de 2020 par les mairies pour l'inscription des enfants à l'école". Elle rappelle donc que l'inscription à l'école nécessite un document justifiant de l'identité de l'enfant, un autre justifiant du domicile et un troisième justifiant de l'identité des personnes responsables de l'enfant. À propos du justificatif de domicile, elle a souligné qu'il pouvait être fourni par tous les moyens, y compris l'attestation sur l'honneur. "C'est l'une des clés, a-t-elle martelé. Il faut désormais s'assurer que le décret est bien appliqué uniformément sur le territoire, ce qui n'est actuellement pas le cas, pour qu'aucun maire ne puisse plus refuser l'école [à un enfant] au prétexte qu'il habite dans un bidonville, un squat, dans une voiture ou à la rue." Toutefois, l'élue de Haute-Garonne a estimé que c'était "souvent notre méconnaissance qui fait un frein artificiel. Il faut qu'agents et élus puissent mieux appréhender et accueillir ces publics, et vice versa, que ces publics sachent à la porte de quelles structures ils vont devoir frapper".
Au chapitre réglementaire toujours, Sandrine Mörch a préconisé de "faire respecter l'instruction du 25 janvier 2018 visant à la résorption des bidonvilles en effectuant une évaluation sociale avant l'expulsion et non pas pendant, en se préoccupant d'un hébergement en adéquation avec [la localisation de] l'école de l'enfant, en travaillant en concertation avec les ministères de l'Éducation nationale et du Logement". Une mesure nécessaire car, "pour chaque famille expulsée, c'est en moyenne six mois de déscolarisation [pour les enfants]". Et pour donner à cette mesure "une portée plus contraignante, donc réellement obligatoire pour ses destinataires et opposable pour ses bénéficiaires", elle a demandé que l'instruction soit transformée en décret.
Doubler le nombre de médiateurs scolaires
Au-delà des institutions et des textes, Sandrine Mörch a appuyé l'idée d'un "travail beaucoup plus collaboratif avec les associations engagées dans les interventions sociales ou médicales". En particulier sur un point : la "clé de voûte de la réussite" est d'augmenter fortement le nombre de médiateurs scolaires. Grâce à eux, "80% des enfants qui vivent en bidonville sont scolarisés, alors qu'ils ne sont que 20% quand le poste de médiateur n'existe pas", a déclaré la députée, pour qui leur rôle, qui consiste à identifier les enfants, sensibiliser les familles à l'enjeu scolaire, faciliter les démarches d'inscription et d'accueil dans les établissements et soutenir la persévérance scolaire, est "structurant" et "dépasse le cadre de la scolarisation". Alors que ces médiateurs scolaires associatifs ne sont actuellement que trente-six pour tout le territoire, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) estime pouvoir couvrir les besoins des 5 à 6.000 enfants qui vivraient dans des squats ou bidonvilles si elle obtenait le financement et la formation de 80 médiateurs scolaires, a rapporté la députée.
Mobiliser les solutions de droit commun
Parmi les autres propositions de Sandrine Mörch, on note l'instauration d'une "trêve scolaire, quand cela est possible et quand cela est réfléchi conjointement avec les préfectures, pour limiter les expulsions pendant les moments cruciaux de l'année scolaire", le renforcement des UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) et de la lutte contre le harcèlement à l'école – "grande cause de décrochage chez ces enfants très stigmatisés", a souligné la députée –, ou encore une aide à la compréhension du système scolaire français pour les parents, par exemple en s'appuyant sur des "femmes-relais" qui, issues de mêmes milieux, ont bénéficié d'une scolarité.
Enfin, Sandrine Mörch a souhaité "mobiliser les solutions de droit commun" qui ne sont pas utilisées "dans ces endroits-là". Elle a cité l'expérimentation dans l'académie de Toulouse autour des dispositifs Devoirs faits et Vacances apprenantes. Et en a appelé à ce que les départements, les CCAS, la PMI, les missions locales fassent leur travail social. Sans oublier la justice : "Elle doit aussi être mobilisée en vue d'un moratoire sur certaines décisions d'expulsion quand il n'y a ni urgence ni problème de sécurité afin de ne pas casser la dynamique que très souvent l'Éducation nationale met en place avec des professeurs motivés et motivants, les associations et les parents." "Nos préconisations ne sont pas révolutionnaires mais très accessibles pour la rentrée prochaine", a conclu Sandrine Mörch.