Marketing territorial - Nom de collectivité : une guerre à couteaux tirés
Les mesures proposées par le gouvernement pour renforcer la protection des noms de collectivités sont "assez faibles", juge le député UMP de l'Aveyron Yves Censi. Le projet de loi sur la consommation présenté le 2 mai en Conseil des ministres "ne va pas assez loin", a-t-il déclaré, mercredi 22 mai, lors d'une rencontre organisée par le Forum pour la gestion des villes et l'agence Clai sur le thème "Les territoires, des marques comme les autres ?".
Ce texte prévoit de mieux informer les collectivités des dépôts de marque contenant leur nom grâce à un système d'alerte sur demande formulée auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Il leur permet en outre de s'opposer à l'enregistrement d'une marque dès lors que celle-ci "porte atteinte à leur nom, à leur image ou à leur renommée mais également au profit des indications géographiques".
Si, en élargissant les indications géographiques aux produits manufacturés, le texte du gouvernement reprend pour l'essentiel les dispositions d'une proposition de loi UMP déposée cet automne, il est en revanche en recul par rapport à cette même proposition en ce qui concerne la protection des noms de collectivités. "Il y a des résistances très fortes", a témoigné Yves Censi, l'un des co-auteurs de cette proposition de loi rejetée par l'Assemblée le 28 novembre.
Suite aux déboires de la commune de Laguiole, empêchée de protéger son nom déposé par un industriel en 1993, les députés UMP proposaient, eux, que les collectivités territoriales bénéficient d'une "disponibilité pleine et entière" de leur nom et qu'elles puissent en user librement "dans le cadre de l'exercice des missions de service public qu'elles assurent". La majorité avait alors argué que ce principe risquait d'être jugé inconstitutionnel et que, de plus, il serait de portée nationale alors que les contentieux ont une nature européenne voire internationale…
Laguiole ne peut pas bouger
"Aujourd'hui, Laguiole ne peut pas bouger", s'est insurgé Yves Censi, pour qui le dispositif prévu par le gouvernement, reposant sur l'information des communes, va être "très compliqué" à être mis en œuvre. Et, selon lui, le salut ne pourra venir de l'Europe. "La réponse est toujours la même : on ne peut pas porter atteinte à ceux qui avaient déjà déposé la marque." "Le droit européen est un peu tordu car il est sous l'influence du droit anglosaxon. Si on laisse aller c'est la dimension commerciale qui va primer", a-t-il déclaré.
Avec le système actuel, le premier arrivé est le premier servi. N'importe qui peut donc déposer une marque portant un nom géographique et en tirer profit. "Une ville ne peut pas empêcher d'utiliser son nom, sauf si l'on porte atteinte à son nom, sa renommée ou à sa réputation", rappelle l'avocat Pierre Deprez.
En déposant leur marque, certaines communes ont alors mis en place de véritables stratégies pour se prémunir de déconvenues et contrôler l'usage de leur image. C'est le cas de Deauville, ville pionnière dans ce domaine, qui a déposé sa marque dès 1988. "Nous ne voulons pas apparaître comme une ville bling bling, mais comme une ville de savoir-faire et d'élégance", a souligné Pascal Leblanc, maire adjoint chargé de la protection des marques, intervenant lors de cette journée. Toute entreprise qui veut utiliser son nom doit passer un contrat de licence avec la commune, en vertu duquel elle s'engage à lui verser un pourcentage de son chiffre d'affaires (en général 3 à 4%). Un comité de marque est chargé d'examiner les demandes. Deauville a ainsi passé des contrats avec les marinières Armor Lux ou les sacs Longchamp. Ce sera bientôt le cas pour une célèbre marque de lunettes. Et attention à ceux qui ne respecteraient pas les règles : la municipalité est actuellement en litige avec la société Honda (voir ci-contre notre article du 14 septembre 2012).
300.000 euros de redevance
De l'autre côté de la France, Saint-Tropez conduit la même politique. Ici, la marque a été déposée en 1992. La municipalité a installé un cabinet de surveillance de la marque qui alerte la direction juridique de la ville en cas d'atteinte à son image. "Nous prononçons une vingtaine d'oppositions par an. Les terrains les plus solides pour se défendre sont l'atteinte à l'image et l'ambiguïté sur la provenance des produits", témoigne Evelyne Serdjenian, adjointe au maire de Saint-Tropez, chargée des marques et de la communication. Une bière ("Dirty blonde of Saint-Tropez") a ainsi fait l'objet d'un refus. Mais parfois, l'affaire se termine devant les tribunaux. La ville a ainsi fait interdire le nom d'un film X "Week-end à Saint-Tropez". A l'inverse, la ville peut passer de juteux contrats avec des marques célèbres, c'est le cas avec la collection de prêt-à-porter "les Voiles de Saint-Tropez" de Kappa, ou du contrat passé avec le groupe Latécoère pour le show aérien "les Ailes de Saint-Tropez"… De quoi rembourser les frais que toute cette organisation nécessite. "En 2012, nous avons perçu 300.000 euros de redevances, on commence à être bénéficiaire", indique l'élue.
"Tout n'est pas qu'une question d'argent, mais il est parfois un peu pénible de voir des entreprises qui se gavent, pardonnez-moi l'expression [...]. On n'est pas là pour faire du profit mais il faut que ça s'équilibre", explique pour sa part Pascal Leblanc.