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Mobilité résidentielle des Français : souvent... mais pas très loin et selon affinités socioculturelles

Le "Rapport sur les mobilités résidentielles en France" que vient de produire l'Observatoire des territoires du CGET s'intéresse à la façon dont ces mouvements contribuent à "recomposer les territoires"… et, plus précisément, à accroître les disparités territoriales. Les mobilités restent majoritairement des déménagements de proximité. Surtout si l'on est peu diplômé. La crise les a plutôt freinées. Les cartes montrent quels sont les territoires gagnants, et contredisent parfois certaines idées reçues. Une chose apparaît clairement : parce que "qui se ressemble s'assemble", les mobilités résidentielles "renforcent les contrastes de répartition des différents groupes sociaux".

L'Observatoire des territoires, émanation du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), publie l'édition 2018 - la septième - de son "Rapport sur les mobilités résidentielles en France". Cette livraison, basée sur des données de 2014, se consacre plus spécialement à l'étude des impacts territoriaux des mobilités résidentielles. En plein débat consécutif au mouvement des gilets jaunes, elle constate que "les mouvements résidentiels continuent aujourd'hui de recomposer les territoires, notamment en accroissant la séparation spatiale entre les différents groupes sociaux, principalement dans et autour des plus grands pôles urbains" et estime que "ces effets sont particulièrement préoccupants", dans la mesure où "cet accroissement des disparités territoriales par les mobilités résidentielles présente un risque pour la cohésion sociale et territoriale du pays".

Un taux de mobilité résidentielle supérieur à la moyenne européenne…

Contrairement à une idée reçue, les Français bougent. En 2014, 11% d'entre eux ont ainsi changé de logement, contre une moyenne européenne de 9%. Parmi ces 11%, 4% sont restés dans la même commune, 4,1% ont changé de commune dans le même département, 1,2% ont changé de département dans la même région, 1,6% ont changé de région et 0,4% sont arrivés de l'étranger. Conclusion de l'Observatoire : la majeure partie des mobilités résidentielles sont des déménagements de proximité. Au final, la mobilité s'est néanmoins accrue depuis cinquante ans : aujourd'hui, seul un Français sur deux vit dans le département où il est né, contre 61% il y a cinquante ans.

Autre constat : les cadres vont plus loin que les ouvriers. Les premiers sont plus nombreux (deux sur cinq) à quitter leur département, essentiellement pour rejoindre des métropoles. A l'inverse, seul un ouvrier sur cinq (21%) qui déménage quitte son département (et, dans ce cas, le plus souvent pour s'installer dans un département voisin). Enfin, les retraités sont moins nombreux à déménager, mais choisissent alors un lieu proche de leur résidence antérieure ou choisissent au contraire de migrer vers les façades littorales. Pour l'Observatoire, "moins on est diplômé, moins on déménage loin".

... mais qui tend à se ralentir

Si la mobilité résidentielle est assez élevée en France, elle a cependant tendance à baisser depuis le début des années 2000 et plus encore depuis la crise de 2008, montrant ainsi une dépendance à la conjoncture économique. Ainsi, la part des ménages ayant changé de logement a diminué de plus de quatre points entre les périodes 2002-2006 et 2009-2013, avec en outre une tendance à la diminution des déménagements de longue distance (34% des déménagements au-delà des frontières départementales au début des années 1990 contre 31% aujourd'hui).

Le lien entre conjoncture et mobilité résidentielle s'est ainsi progressivement inversé. Dans les années 70 (comme aux Etats-Unis dans les années 30), la crise poussait à quitter son logement pour chercher du travail ailleurs, alors qu'aujourd'hui, la crise semble avoir l'effet inverse et freiner au contraire la mobilité résidentielle. Pour l'Observatoire, "l'instabilité généralisée du marché du travail aurait pour conséquence de 'fixer' les individus, du fait d'une diminution de leurs revenus ou de l'incertitude quant à leur pérennité".

Et le gagnant est…

En termes de territoires - et sans grande surprise -, le rapport de l'Observatoire confirme que les mobilités résidentielles creusent les disparités entre Nord-Est, DOM et Sud-Ouest. A l'exode rural massif, arrivé à son terme au début des années 70, a succédé un contraste urbain/rural beaucoup moins prononcé, remplacé par une fracture géographique séparant la France le long d'une ligne Caen-Grenoble. Au nord-est de cette ligne, de nombreux territoires en déficit migratoire (à ne pas confondre nécessairement avec une baisse de la population). Au sud-ouest, des territoires affichant un solde migratoire positif, avec de fortes poussées sur les côtes de l'Atlantique et de la Méditerranée.

A ce jeu des gagnants, l'Ouest et le Sud-Ouest l'emportent toutefois désormais sur le Sud-Est : "A périmètre constant, la région Nouvelle-Aquitaine gagne aujourd'hui quatre fois plus d'habitants par an qu'au début de la décennie 1970, les Pays de la Loire et la Bretagne trois fois plus et l'Occitanie deux fois plus (en tenant uniquement compte du solde migratoire et non du solde naturel). On observe en parallèle une diminution rapide de la balance migratoire de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à qui les mobilités résidentielles interrégionales font désormais gagner chaque année huit fois moins d'habitants qu'il y a un demi-siècle".

Dans cet ensemble, l'Ile-de-France constitue un cas très particulier : elle perd aujourd'hui 51.000 habitants par an (deux fois plus que les Hauts-de-France et le Grand Est réunis), quand elle en gagnait 15.000 au début des années 70, mais elle reste attractive pour certains profils qui sont au cœur du développement économique et de la mondialisation (notamment les jeunes et les cadres). Les départs de l'Ile-de-France profitent aux régions limitrophes (surtout le Centre-Val de Loire), mais aussi à celles de l'Ouest et du Sud.

A qui perd gagne…

Si l'on zoome à l'échelle locale, l'Observatoire constate que "les mobilités résidentielles ont tendance à réduire les contrastes de dynamisme migratoire entre les territoires urbains, périurbains et ruraux, sous l'effet d'une tendance au desserrement de la population". En d'autres termes, le mouvement de périurbanisation, très prononcé dans les années 70, s'est étendu à l'ensemble des espaces situés en dehors des pôles urbains. Contrairement à une autre idée reçue, ces derniers connaissent une croissance inférieure à la moyenne, voire un déficit migratoire dans les grands pôles. A l'inverse les communes dites multipolarisées et isolées - autrement dit situées le plus loin de l'influence des pôles - "ont vu leur balance migratoire devenir tendanciellement de plus en plus excédentaire au cours des dernières décennies, jusqu'à rattraper la dynamique des couronnes des grands pôles urbains". Conséquence : "Les espaces ruraux, qui étaient les plus déficitaires au jeu des mobilités résidentielles il y a cinquante ans, étaient, dans les années 2000, en passe de devenir ceux qui y gagnaient le plus". Ce cycle pourrait toutefois toucher à sa fin avec la récente baisse de la mobilité résidentielle, qui affecte tous les espaces excédentaires.

L'Observatoire rappelle toutefois que le solde migratoire ne fait pas, à lui seul, la démographie. Les territoires ruraux connaissent en effet souvent un solde naturel négatif que le solde migratoire ne suffit pas à compenser - d'où une baisse de la population -, alors que les communes situées dans l'espace périurbain des grandes aires urbaines maintiennent leur croissance démographique, malgré la récente baisse du solde migratoire.

Mobilités résidentielles et montée de "l'entre-soi"

La combinaison de ces différentes évolutions fait que le profil des nouveaux arrivants diffère nettement selon les territoires. L'Observatoire relève ainsi que, lorsqu'ils déménagent, les jeunes adultes, les étudiants et les cadres se dirigent vers les pôles urbains. Pour leur part, les trentenaires - plutôt cadres et professions intermédiaires - s'orientent vers les couronnes des principaux pôles urbains. Les ouvriers et les employés se dirigent plutôt vers certaines couronnes périurbaines (couronnes des pôles urbains de taille moyenne et une partie des couronnes des métropoles), les ouvriers ayant des enfants s'orientant davantage vers des zones peu denses, visant ainsi l'accès à la propriété d'une maison individuelle à un coût moindre. Les retraités privilégient, pour leurs mobilités résidentielles, les littoraux et les espaces peu denses du centre (Massif central, Bourgogne). Enfin, les espaces ruraux de la moitié sud attirent une population diversifiée, mais plutôt âgée.

Pour l'Observatoire, "cette forte différenciation du profil des nouveaux arrivants a tendance à renforcer les contrastes existants" et tend à "séparer les groupes sociaux dans l'espace". Ainsi, "à l'échelle nationale, toutes les catégories d'individus ont tendance à emménager dans les intercommunalités où le groupe social auquel ils appartiennent est déjà fortement présent : ils y renforcent ainsi leur proportion. Symétriquement, ils quittent les endroits où leur groupe social est peu représenté, et y diminuent encore leur part".