Le sentiment d'abandon territorial partagé par près d'un Français sur trois
28% des Français éprouvent le sentiment d'un "délaissement territorial", selon une enquête du Crédoc. A choisir, ils préféreraient rester dans leur département plutôt que d'aller chercher du travail ailleurs, comme on les y invite parfois.
Quand on perd son travail à La Souterraine (Creuse), il suffirait d’aller pointer à la fonderie d’Ussel (Corrèze) située à 140 km de là… On se souvient de la polémique suscitée le mois dernier par le conseil adressé par le président de la République et le ministre de l’Intérieur aux salariés licenciés de GM&S. "Il y a des endroits où on ferme les usines, mais des endroits où on crée des emplois, et ces emplois ne sont pas pourvus. Pourquoi ils ne sont pas pourvus ?", s’était interrogé Gérard Collomb, laissant entendre que les licenciés devaient se rendre "mobiles" pour retrouver un emploi. Mobile dans l’élément mobile, comme le capitaine Nemo. L’anecdote illustre deux façons d’appréhender la lutte contre le chômage, alors que de nombreuses offres ne trouvent effectivement pas preneurs. D’un côté, les tenants de la "mobilité résidentielle", de l’autre ceux favorables au renforcement de l’attractivité des territoires en déclin. Deux visions ramassées dans une étude du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) publiée cet été, au titre un brin provocateur : "Soutenir les territoires en crise ou bien aider leurs habitants à s'installer ailleurs ?" (voir ci-dessous notre article du 1er septembre 2017).
Pour en savoir plus sur les aspirations des intéressés, le CGET a demandé au Crédoc la réalisation d’une enquête nationale. Menée auprès de 2.000 personnes, cette enquête montre tout d’abord que le sentiment de "délaissement territorial" est partagé par 28% des Français. Et ce, alors même que neuf Français sur dix sont satisfaits de leur cadre de vie quotidien. Ce sentiment d’abandon est à la fois géographique et social. Il est prégnant dans les territoires situés "en dehors des grandes aires urbaines". Il est aussi fortement lié aux conditions sociales : les plus pauvres (36%), les non-diplômés (33%) et les chômeurs (39%) y sont plus sujets, même lorsqu’ils vivent dans la sphère d’influence d’une grande métropole. Paradoxalement, ce sentiment d'abandon est assez peu répandu dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, sans doute en raison des efforts qui y sont déployés (programme Anru...).
Qui plus est, les Français se montrent de fieffés sédentaires avec peu d’appétence pour le nomadisme triomphant. "A choisir, les Français se prononcent dans leur grande majorité en faveur d’un développement du territoire permettant à chacun de réaliser ses projets de vie là où ils résident", souligne le Crédoc. Ce qui est vrai pour les trois quarts des Français, l’est encore plus pour les laissés-pour-compte, les "délaissé territoriaux" (77%). Quant à la sacro-sainte mobilité, elle relève en partie d’une vue de l’esprit. "Si, au bout d’un an, on observe davantage de retours à l’emploi chez les chômeurs qui ont changé de département, cela est surtout lié au fait que les plus mobiles sont ceux qui présentent le plus d’atouts pour réintégrer le marché du travail, notamment un niveau de diplôme élevé." Certes, les délaissés considèrent plus que d’autres qu’ils auraient avantage à tenter leur chance dans un autre département, mais ils ne le souhaitent pas pour deux raisons : d’abord leur fort attachement à leur territoire (72%) et aussi les difficultés que cela représenterait pour eux. Souvent, ils ne disposent pas de l’épargne nécessaire à un tel changement de vie : au coût du déménagement s’ajoutent la caution du futur logement, le garde-meuble éventuel… Ils anticipent de surcroît "l’impossibilité de s’appuyer sur un réseau relationnel" dans le territoire d’accueil. Seuls un quart des sondés se disent favorables à des aides à la mobilité ! Ce qu’ils attendent surtout des pouvoirs publics, c’est de l’emploi "via l’installation de nouvelles entreprises", mais aussi des services publics : offre de santé, des transports, des services administratifs (mairie, Pôle emploi, CAF). Une vision finalement proche de celle défendue par les Nouvelles Ruralités depuis deux ans. Celle d’un développement "endogène" à chaque territoire.