Missions de service public des fédérations de chasseurs : la Cour des comptes dénonce le manque de contrôle de l'Etat
Dans un rapport paru ce 13 juillet, la Cour des comptes pointe du doigt le manque de transparence des fédérations de chasseurs et le manque de contrôle de l'Etat dans l'accomplissement des missions de service public qui leur incombent et dans l'utilisation des fonds qui leur sont alloués.
"Les fédérations ne sont pas seulement des associations représentant les intérêts des chasseurs", elles sont également "chargées de missions de service public déterminantes pour l'organisation et l'encadrement de la chasse", rappelle en introduction le rapport que la Cour des comptes a publié ce 13 juillet sur les soutiens publics aux fédérations de chasseurs. Au-delà d’être un loisir, la pratique de la chasse doit en effet "participer à la gestion durable de la faune et de ses habitats et contribuer à l’équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines", ajoute-t-elle.
Davantage de missions à contrôler
Structurées en 94 fédérations départementales, 13 fédérations régionales et une fédération nationale (FNC) - chacune d'entre elles étant une association autonome -, les fédérations de chasseurs ont pour principales missions de service public définies aux articles L.421-5 et R.421-39 du code de l’environnement, l'action en faveur de la protection et de la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats, l'élaboration du schéma départemental de gestion cynégétique, la préparation à l'examen du permis de chasser et la contribution à sa validation, les actions de prévention des dégâts de gibier et l'indemnisation des dégâts de grand gibier aux cultures, la conduite d’actions pour surveiller les dangers sanitaires impliquant le gibier, ainsi que, depuis 2019, la gestion des associations communales et intercommunales de chasse agréées et la coordination de leurs actions, la mise en œuvre du plan de chasse arrêté par le préfet par l’attribution des plans de chasse individuels et la conduite d’actions concourant directement à la protection et à la reconquête de la biodiversité. Or, "l’État ne s’est pas doté des moyens de contrôler le bon exercice de ces missions", relève la Cour dans son rapport, réalisé à la suite d'une consultation citoyenne menée en 2022.
"Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires doit donc soutenir les services déconcentrés dans leur mission de contrôle", estime la Cour. Elle juge aussi que la police de la chasse étant avant tout une prérogative régalienne, l’Office français de la biodiversité doit lui aussi disposer des moyens suffisants pour son plein exercice, et veiller à renforcer la coopération avec les fédérations, notamment au moyen d’un accès aux données établies par ces dernières dans le cadre de leur mission de service public.
Elle invite aussi le gouvernement à proposer au Parlement de "revoir le cadre juridique relatif aux schémas départementaux de gestion cynégétique, pour éviter des situations d’absence de règles encadrant la pratique de la chasse, notamment en matière de sécurité".
Plus de transparence attendue de la part des fédérations
La Cour épingle également les fédérations qui selon elle "respectent insuffisamment leurs obligations de rendre compte, définies par la loi (publication de leurs documents statutaires annuels : rapport moral, comptes, rapport du commissaire aux comptes et procès-verbaux des assemblées générales)". "En conséquence, l’État doit veiller à ce que les fédérations nationale, régionales et départementales respectent leurs obligations de transparence et imposer la publication par chaque fédération d’un rapport annuel sur la réalisation de ses missions de service public, y compris la mise en œuvre du schéma départemental de gestion cynégétique", soutient-elle.
Réformé en 2019, le financement des fédérations se traduit en outre par des dépenses annuelles supplémentaires pour l'Etat avoisinant les 40 millions d'euros, constate la Cour. L’exercice des missions de service public des fédérations est majoritairement financé par les cotisations obligatoires versées par les chasseurs aux fédérations départementales (plus de 100 millions d'euros par an), auxquelles s'ajoutent les redevances cynégétiques et une partie des droits de timbre, reversées aux agences de l’eau qui sont le principal financeur de l’Office français de la biodiversité (OFB). La réforme de 2019, qui visait à mieux organiser la chasse pour réduire les dégâts de gibier et contribuer à la préservation de la biodiversité, a modifié les flux financiers entre fédérations et permis une augmentation de 11,5 millions d'euros des recettes de cotisations perçues par la fédération nationale. La diminution du prix du permis national a en effet attiré plus de 374.000 chasseurs, aux dépens du permis départemental, note la Cour.
Autre objectif important : des projets en faveur de la biodiversité portés par l’ensemble des fédérations ont été financés à hauteur de 31 millions depuis 2019, dont deux tiers par l’État et un tiers par le réseau fédéral. En outre, en contrepartie du transfert de nouvelles missions, l’État verse depuis 2020 à la FNC une compensation annuelle de 9 millions d'euros jusqu’en 2024. La FNC reverse ensuite aux fédérations départementales un solde annuel de 6,9 millions d'euros, sans justification des coûts compensés par fédération. En plus de ces financements, les subventions versées par l’État aux fédérations se sont élevées à 600.000 euros en 2021, et celles versées par les collectivités territoriales, provenant essentiellement des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine à 6,1 millions d'euros. Enfin, des crédits supplémentaires (18,6 millions d'euros) ont été ouverts fin 2022 au profit des fédérations départementales, pour indemniser les agriculteurs du surcoût des dégâts de grand gibier, dans le contexte d’augmentation des cours des produits agricoles consécutive à la guerre en Ukraine.
Maîtrise des populations de grand gibier : un "défi majeur"
Par ailleurs, les Sages de la rue Cambon estiment que la mission de protection et de gestion de la faune sauvage à laquelle les fédérations doivent contribuer est "entravée par l’insuffisance des données" et "l’absence de mesure de l’efficacité des dispositifs de régulation" entravent la mission essentielle de protection et de gestion de la faune sauvage. Les données sont jugées "hétérogènes, lacunaires et insuffisamment partagées". "Pour le grand gibier, en surpopulation, l’information sur les prélèvements existe, mais pas toujours en temps réel, et les tailles de population ne sont pas suffisamment connues", note la Cour. "Face au désengagement de l’État dans la maîtrise de ces données", elle recommande donc que la FNC et l’OFB, en lien avec le ministère chargé de la chasse, assurent le cadrage et le contrôle des modalités de collecte et de transmission des données relatives à la faune sauvage.
Le rapport pointe également "le défi majeur de la maîtrise des populations de grand gibier". Le coût de la mission de prévention et d’indemnisation des dégâts de grand gibier aux cultures des fédérations départementales s’élève en moyenne depuis 2017 à 72 millions d'euros annuels, rappelle la Cour. "Sans analyse préalable de la situation financière des fédérations, l’État s’est engagé en mars 2023 à leur allouer 60 millions d'euros complémentaires sur trois ans afin de financer notamment des investissements contribuant in fine à réduire les dégâts de grand gibier", indique-t-elle, en notant que "les mesures d’encadrement des pratiques de la chasse, de prévention des dégâts et de régulation des espèces sont très disparates selon les départements". En outre, du fait des risques de propagation de la peste porcine, un règlement européen pourrait contraindre à court terme les États à adopter des mesures beaucoup plus strictes pour la régulation des sangliers, prévient la Cour qui appelle à définir "sans attendre" "des objectifs chiffrés de réduction des populations de sangliers au niveau départemental, assortis d’une politique inspirée des principes de la gestion adaptative".
Fonds biodiversité à améliorer
Enfin, le fonds "biodiversité" créé il y a trois ans et géré par la FNC a permis aux fédérations de chasseurs de "monter en compétence et de se mobiliser sur l’ensemble du territoire", reconnaît la Cour. D’octobre 2019 à février 2022, 577 projets ont été présentés par les fédérations départementales, régionales et la FNC. Mais "malgré l’amélioration de la qualité des dossiers et du processus d’évaluation de ces projets au sein des fédérations et de l’OFB, l’organisation du fonds reste lourde", estime la Cour qui identifie plusieurs pistes d’amélioration à court terme - progrès dans la mise en place des partenariats, précision des informations figurant dans les projets (indicateurs chiffrés, contenu exact des partenariats mentionnés, etc.), communication systématique et détaillée sur les actions menées, application rigoureuse des règles de financement, progrès sur la qualité scientifique des projets relatifs à la connaissance, passage à des projets plutôt pluriannuels . "Il reste que l’État, en lien avec l’OFB et le réseau des fédérations de chasseurs, doit réfléchir aux évolutions à moyen terme du dispositif avant l’échéance en 2026 de la convention en vigueur", prévient la Cour.
La FNC a fait savoir dans un communiqué qu'elle accueillait "avec intérêt" les recommandations de la Cour. Mais ce "souci de transparence, qui est légitime concernant l'utilisation de l'argent public, ne peut se limiter au seul monde de la chasse", fait valoir son président, Willy Schraen, pointant du doigt les soutiens publics accordés à des associations de défense des animaux "en réalité clairement anti-chasse". La FNC souligne par ailleurs que ce rapport "ne constate pas d'anomalie de gestion des comptes des fédérations" et "balaie les rumeurs sur la mauvaise utilisation de l'argent public".