Fiscalité locale - Mission Richard-Bur : des "solutions" inédites à l'étude
Chargés par l'exécutif d'une mission sur "la refonte de la fiscalité locale", le sénateur Alain Richard et le préfet honoraire Dominique Bur ont dévoilé leurs pistes de travail ce 21 mars lors d'une audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le transfert de la part départementale de la taxe sur le foncier bâti vers les communes et intercommunalités afin de compenser pour ces dernières la suppression de la taxe d'habitation n'est pour eux qu'une option. Les experts devraient aussi préconiser la création d'un "impôt local citoyen". Ils n'excluent pas une forme de recentralisation des droits de mutation. Et continuent de plaider pour une révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d'habitation.
En vue du rapport qu'elle remettra au Premier ministre "le 1er mai" au plus tard, la mission sur les finances locales pilotée par Alain Richard et Dominique Bur envisage, à ce stade, "deux familles de solutions" pour compenser les communes et leurs intercommunalités du fait de la suppression au 1er janvier 2020 des 24 milliards d'euros de la taxe d'habitation.
Pour compenser "à l'euro près" chaque commune et EPCI à fiscalité propre, la mission envisage le transfert de la part départementale de la taxe sur le foncier bâti et "tout ou partie" des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) que perçoivent aujourd'hui les départements. En échange, les départements bénéficieraient de la fraction d'un impôt d'Etat.
Cette solution, qui recoupe partiellement les propositions du Comité des finances locales, et intégralement celles qu'avancent France urbaine et l'Assemblée des communautés de France, ne va pourtant pas de soi : la perte par les départements de leur pouvoir de taux est "un sujet d'interrogation pour des collectivités qui gèrent 70 milliards d'euros de dépenses de fonctionnement", a pointé Alain Richard, sénateur du Val-d'Oise. En outre, le transfert "va tomber juste pour [seulement] 2 à 3 % des collectivités", a-t-il analysé. Il sera donc nécessaire de mettre en place "un fonds national de garantie individuelle", qui comportera autant de lignes que de bénéficiaires.
L'alternative consiste pour la mission à ne pas toucher aux impôts départementaux et à attribuer une part de fiscalité nationale cette fois au bloc communal, la perte du pouvoir de taux (du fait de la disparition de la taxe d'habitation) devant alors être supportée par ce dernier.
Droits de mutation : renforcer la péréquation
"C'est autour de ces deux scénarios que doit se poursuivre la réflexion", a indiqué Alain Richard. Qui a aussi détaillé les impôts nationaux qui pourraient selon la mission être transférés aux collectivités territoriales. "L'éventail n'est pas très large", a-t-il dit, en citant la CSG, la TVA et la taxe sur les carburants (TICPE) et en excluant l'impôt sur le revenu.
Sur les 24 milliards d'euros que coûtera au budget de l'Etat la suppression de la taxe d'habitation, 14 milliards sont inscrits dans la loi de programmation des finances publiques. La différence (Alain Richard parle de 9 milliards d'euros") peut être comblée "par des mesures en dépenses et des compensations". Au titre de ces compensations, le sénateur a cité la préservation sous une autre forme de la part de la taxe d'habitation acquittée par les propriétaires des résidences secondaires.
Au-delà de la question de la suppression de la taxe d'habitation et de son remplacement, la mission se penchera sur "la refonte de la fiscalité locale" mise à l'ordre du jour par le Premier ministre. Un exercice qui l'amènera à procéder à "une revue" des 15 prélèvements fiscaux dont bénéficient les collectivités – dont 4 sont des dispositifs nationaux – et qui ont représenté 129 milliards d'euros en 2016. Avec à la clé de possibles propositions choc. La mission s'intéresse notamment aux DMTO. A savoir des taxes que les départements, principalement, perçoivent aujourd'hui sur les transactions immobilières et qui profitent surtout à un petit nombre d'entre eux, pas nécessairement ceux dont les charges sociales sont les plus élevées. "La solution pourrait être de remettre […] les droits de mutation au niveau national et de les redistribuer ensuite aux territoires bénéficiaires en fonction d'un schéma de répartition qui soit plus solidaire", a suggéré l'ancien ministre, en suscitant aussitôt l'étonnement de certains députés.
Vers un "impôt citoyen"?
"Vous ne pouvez pas tout péréquer : il existe des zones où il y a beaucoup de 'turn over' et où il y a par conséquent beaucoup de services et de coûts en face", a ainsi estimé le président LR de la commission des finances, Eric Woerth. Une réaction qui n'a pas empêché Alain Richard de revenir plus tard à la charge, avec toutefois une version édulcorée de sa proposition. Dans un contexte de croissance continue des DMTO depuis plusieurs années, "le moment est peut-être venu de procéder à un niveau de péréquation plus élevé", en garantissant aux bénéficiaires actuels "ce qu'ils ont obtenu en 2017 et 2018" et en réservant la croissance du produit de la taxe aux départements défavorisés financièrement et confrontés à des charges sociales élevées, a-t-il dit.
La ventilation des 15 recettes fiscales locales entre les communes, EPCI à fiscalité propre, départements et régions, pourrait être "un peu plus optimale", a aussi jugé Alain Richard. En précisant qu'"il y a une situation d'empilement des taux qui présente des inconvénients sérieux".
Bien que l'exécutif ait banni la création de tout nouvel impôt durant le quinquennat, la mission proposera également l'instauration d'"un impôt local citoyen". Chère aux élus locaux, cette contribution permettrait d'associer aux charges de fonctionnement de la commune et "éventuellement de l'intercommunalité" les résidents qui ne sont pas propriétaires. Son montant "serait très substantiellement inférieur à celui de la taxe d'habitation" : "le quart ou le cinquième" de celui de la taxe d'habitation, a prévenu Alain Richard. Sinon, le gain en termes de pouvoir d'achat lié à la suppression de la taxe d'habitation serait annulé, a-t-il reconnu. La nouvelle imposition pourrait prendre en compte les revenus et son taux serait fixé par le conseil municipal ou communautaire. En outre, sa création permettrait de rétablir une liaison des taux entre les impôts sur les ménages et les impôts des entreprises.
Calendrier parlementaire : l'option d'un projet de loi spécifique
A ce sujet, le sénateur s'est ému de la croissance rapide au cours des 15 dernières années du produit de la taxe sur le foncier bâti. Cela "peut devenir problématique si on la met au regard de la volonté de provoquer un choc d'offre sur le logement", a-t-il fait remarquer. "Il faudrait se poser la question de [l'instauration] d'un mécanisme légal respectant le pouvoir de taux, mais freinant les tentations de fortes augmentations", a-t-il ajouté.
Mais s'agissant de la taxe foncière, on retiendra surtout que la mission se prononce en faveur de la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d'habitation, qui constituent l'assiette de la taxe payée par les ménages et n'ont pas été mises à jour depuis plus de quarante ans. Alors que, récemment, le ministre de l'Action et des Comptes publics s'est montré sceptique sur une telle réforme, lui préférant l'introduction du critère du revenu - avant d'être contredit sur ce point par le Premier ministre -, le sénateur et l'ancien préfet y croient au contraire, surtout si elle est assortie de la mise en place d'un dispositif de mise à jour continue dans le temps des valeurs locatives. Mais ils reconnaissent que la révision entrerait en vigueur "au mieux en 2023."
En disposant du rapport dès "le 1er mai", le gouvernement et le Parlement "seront en situation de prendre des décisions avant la fin de l'année 2018", a indiqué Alain Richard. Mais il a déconseillé que la réforme de la fiscalité locale soit examinée dans le projet de loi de finances pour 2019, au motif que "les conditions de préparation, de délibération et d'adoption" de ce type de texte ne sont pas appropriées. Sa préférence va plutôt à la discussion, au cours du premier trimestre 2019, d'un projet de loi spécifique dont les mesures portant sur la compensation de la suppression de la taxe d'habitation pour le bloc communal entreraient en vigueur en 2020.