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Michel Fournier (AMRF) : "Il faut faciliter le travail entre structures municipales et éducatives"

La réforme de l'éducation prioritaire est attendue pour la rentrée 2021. Parmi les changements majeurs à venir, il est question d'introduire des écoles rurales dans le dispositif. Michel Fournier, président de l'Association des maires ruraux de France, a fait part à Localtis de ses réflexions sur le sujet.

Localtis : Comment avez-vous accueilli la volonté du gouvernement d'ouvrir l'éducation prioritaire aux zones rurales ?

Michel Fournier : Au même titre qu'il y a un regard spécifique sur les écoles des quartiers urbains difficiles, nous prétendons qu'il y a des situations à peu près identiques liées à la pauvreté, même si elles ne se ressemblent pas, dans certaines zones rurales et certains villages. Il serait donc souhaitable qu'il y ait un regard spécifique. Il y a une commune dans le département des Vosges, non loin de chez moi : parfois, je plains son maire qui rencontre des familles en difficulté, dont les problèmes sont les mêmes qu'ailleurs, mais qui ne bénéficient d'aucun traitement spécifique. Il devrait y avoir une approche département par département avec les services de l'Éducation nationale, au même titre qu'il y avait des ZEP (zones d'éducation prioritaire) en milieu rural auparavant. Il y a eu un regard spécifique à un moment donné, on souhaiterait qu'il reprenne.

Localtis : À l'inverse, avez-vous des craintes dans la perspective de cette introduction des zones rurales en éducation prioritaire ?

Michel Fournier : Nous craignons un regroupement physique obligatoire entre établissements du premier et du second degré, ce qui entraînerait des fermetures d'école dans certains villages. Que l'on travaille ensemble, qu'il y ait un lien direct, par exemple en vue de l'entrée en sixième, d'accord, mais cela ne doit pas aboutir à la fermeture d'écoles ou au retrait des derniers niveaux du primaire au bénéfice du collège. Dans beaucoup de départements ruraux, il y a de fortes diminutions d'effectifs. Dans mon département des Vosges, on perd 800 à 900 enfants par an. On en arrive à des fermetures programmées d'écoles ou de classes. On a fait à peu près le tour des potentialités de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) et on en arrive à la possibilité de regroupements avec les collèges. 

Localtis : L'école rurale rencontre des difficultés particulières : problèmes de recrutement des enseignants, d'orientation des élèves, temps de transport, etc. Sur quels points faudrait-il mettre plus de moyens financiers ou humains ?

Michel Fournier : Ce que vous dites est vrai. Mais ce que vous prenez comme exemple est le reflet d'une société qui veut vivre en urbanité tout en habitant à la campagne et en profitant "de l'air pur et des beaux paysages" et en n'étant pas confiné à l'étroit dans un appartement. Cela veut dire qu'on est plein de contradictions. L'Éducation nationale a au moins le mérite de continuer à nommer des enseignants quel que soit le lieu. Cette organisation est importante car si on laissait le choix aux enseignants, qui par la force des choses viennent majoritairement du milieu urbain, ils chercheraient à y retourner le plus rapidement possible. Ce qu'il nous faut, c'est pratiquer des politiques d'accueil associant les élus, ce qui n'est souvent pas fait. Que l'école ne soit pas l'État dans l'État dans son implantation. Cela fait trente ans que je suis maire, je n'ai plus d'école dans mon village depuis cinq ou six ans. Mais les enseignants de mon école étaient très impliqués dans la vie locale, ils étaient devenus des amis. Je suis même le parrain de l'enfant de l'un d'entre eux. Quand on apprend à travailler ensemble, les problèmes se règlent. Donc, plutôt que de parler de moyens supplémentaires, il faut faciliter le travail entre structures municipales et éducatives. Il y a une culture qui fait que chacun reste dans ses prérogatives. On se dit : "Ma classe se termine à 16h30. À 16h31, je ne suis plus responsable." Nous avons fait de l'aménagement du temps scolaire pendant vingt-cinq ans en dehors de tout partenariat et les enseignants s'en occupaient à titre bénévole. Ce sont les mentalités qu'il faut changer.

Localtis : Les résultats scolaires des élèves des zones rurales sont, selon le rapport Azéma-Mathiot de novembre 2019, "assez proches des moyennes nationales". Les faire bénéficier des moyens supplémentaires de l'éducation prioritaire est-il légitime ?

Michel Fournier : Les rapports sont souvent là pour servir les politiques que l'on veut mettre en place. Je me souviens que l'école à classe unique a été démontée il y a vingt cinq ans en dénonçant entre autres le manque de sociabilité pour les enfants, tout en reconnaissant que le niveau était souvent meilleur que dans les classes par niveau d'âge. On est sans arrêt en train d'inventer des solutions. Si ça marche bien dans le milieu rural, comme le dit le rapport, il n'y a pas à s'en inquiéter et à prendre des mesures spécifiques. Or on s'aperçoit que si l'on n'anticipe pas les choses, le milieu rural, comme tous les milieux, verra aussi son vivre-ensemble atteint. Les différences d'éducation liées aux classes sociales existent partout. Les difficultés ne sont pas liées au fait d'être en milieu rural ou urbain, malheureusement.

Localtis : Le même rapport Azéma-Mathiot évoquait une "pauvreté invisible" qui se développerait dans le rural isolé. Qu'en est-il selon vous

Michel Fournier : Quand on évoque les zones rurales isolées, on se dit : "Oh purée, c'est le trou du cul du monde [sic] ! Les gens sont forcément primaires. À la limite, ils sont retournés à l'état sauvage." Voilà l'image. Mais ça ne se passe pas du tout comme ça. Il y a des difficultés familiales partout, y compris dans des milieux plus urbanisés ou bourgeois. Il est beaucoup plus difficile de faire fonctionner vingt-cinq enfants aujourd'hui que cela ne l'était il y a vingt ans. Dans certains pays, les classes comptent soixante enfants et on arrive à une qualité d'enseignement aussi bonne que dans nos sociétés plus gâtées. La principale difficulté avec l'Éducation nationale est la rigidité descendante. C'est toujours descendant. Bien entendu, il faut des règles nationales, mais il faut du sur-mesure dans les territoires.

Localtis : La réforme de l'éducation prioritaire vise justement une mise en œuvre à l'échelle académique et certains craignent déjà l'arbitraire local, à l'image du Réseau des villes éducatrices qui, dans un communiqué du 8 janvier, entend ne pas laisser de place aux "subjectivités locales". Qu'en pensez-vous ?

Michel Fournier : Tout peut arriver, cela peut être à la marge. Il y aura peut-être des maires à qui on facilitera les choses, c'est un peu la vie ça… Tout ne doit pas se décider forcément au niveau du rectorat. Cela peut se faire au niveau départemental, avec le Dasen, avec les associations d'élus, les syndicats d'enseignants, les représentants des parents d'élèves. On peut essayer de faire du mieux possible, il faut croire au fait de travailler ensemble. La solution parfaite n'existe pas, il faut être très pragmatique dans la vie. 

Localtis : Vous avez rencontré la secrétaire d'État à l'Éducation prioritaire, Nathalie Élimas, en décembre 2020. Sur quels points vous a-t-elle rassuré ?

Michel Fournier : Le drame est que l'on a des interlocuteurs, que ce soit la secrétaire d'État ou le ministre, qui semblent être très à l'écoute. On n'a jamais connu une telle volonté d'être à l'écoute et de faire participer au maximum les élus. Au départ, on se dit qu'on va être entendu. Mais le résultat n'est pas souvent à la hauteur. Comment cela se fait-il ? La réforme la plus importante devrait être celle des pensées, de la structure de l'État. Il y a toute une technostructure qui ne veut pas changer sa façon de fonctionner malgré la volonté affichée du ministre. C'est cela qui inquiète. Encore une fois, c'est l'urbanité qui nous dirige. Et quand on est représentant des communes rurales, on sait que l'on pèse moins et on a plus de difficultés à faire entendre cette différenciation qu'il devrait y avoir sur nos territoires. C'est tellement plus facile de faire ce que l'on a toujours fait, même si c'est mal fait. On ne se remet pas en cause.