Orientation scolaire : un rapport pour rétablir l'égalité territoriale
Les jeunes de la France rurale et des petites villes connaissent des difficultés particulières pour construire leur parcours scolaire et supérieur. Un rapport commandé par le ministère de l'Éducation nationale dresse un constat d'autant plus alarmant que cette question est largement absente des statistiques et des débats. Ses préconisations visent tant à faire connaître les difficultés de ces jeunes qu'à ouvrir leurs horizons scolaire et extrascolaire.
"Restaurer la promesse républicaine" envers la jeunesse de la "France périphérique". Avec un tel sous-titre, le rapport de la "mission orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes", remis jeudi 5 mars à Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, annonce clairement la couleur : il s'agit de répondre au "sentiment d’abandon" que cette jeunesse peut ressentir et lui donner les moyens de réaliser son potentiel pour mieux l'intégrer "au récit national". Vaste programme !
Pour écrire ce rapport, commandé en septembre 2019, le ministre de l'Éducation nationale a choisi une personnalité fortement impliquée dans le sujet. Salomé Berlioux, 30 ans, est elle-même issue d'un hameau de l'Allier. Après des études qui l'ont conduite à Sciences-Po puis à l'École normale supérieure, elle a fondé en 2016 l'association Chemins d'avenirs qui informe, accompagne et promeut les collégiens, lycéens et étudiants de la France périphérique. Il y a un an, elle s'était fait remarquer en publiant un livre : Les Invisibles de la République, déjà un prélude au travail mené pour le ministre de l'Éducation nationale.
"La fracture s'approfondit"
Le rapport de Salomé Berlioux part d'un constat implacable : "La fracture s’approfondit entre les jeunes qui peuvent s’adapter aux standards du XXIe siècle et ceux qui, marqués par leurs origines, rencontrent d’autant plus de difficultés à 'cocher toutes les cases' que celles-ci se multiplient." Traduction : "Les jeunes des zones rurales et des petites villes ne sont pas dans la même situation de départ face à leur avenir que les jeunes des grandes métropoles"… et à l'arrivée, les faits sont là pour enfoncer le clou.
Si les résultats scolaires des jeunes ruraux en primaire et au collège demeurent "assez proches des moyennes nationales", Salomé Berlioux, reprenant les conclusions du rapport Azéma-Mathiot sur l'éducation prioritaire de novembre 2019, explique que les parcours post-collège et post-baccalauréat d’une partie d'entre eux "sont marqués par des écarts à la moyenne voire des difficultés, selon une ampleur comparable à ceux qui caractérisent les élèves de l’éducation prioritaire". Par ailleurs, certains territoires ruraux "voient se cumuler des difficultés sociales qui peuvent avoir des effets scolaires". Conclusion de la rapporteure : "À catégorie socioprofessionnelle équivalente, à résultats scolaires équivalents, les jeunes des zones rurales et des petites villes demeurent entravés dans leurs aspirations." Un constat qui vaut particulièrement pour les jeunes filles.
Sous les radars
Les raisons de ce décalage grandissant ? Le rapport évoque une addition de défis, qui vont des temps de trajet à l'éloignement des opportunités académiques, culturelles et professionnelles, en passant par la fracture digitale, les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, le manque d’attractivité de certains territoires pour les enseignants ou encore le manque d'information, de confiance en soi, ou l'autocensure, qualifiée de "mal contagieux". Surtout, il pointe "la quasi absence de politiques scolaires rurales ou ciblées vers les petites villes".
C'est là une circonstance aggravante mise en lumière par Salomé Berlioux : la ruralité demeure "la grande absente des statistiques de l’Éducation nationale et les contraintes territoriales [sont] effacées au profit de contraintes sociales ou de critères de réussite scolaire". Et ce malgré un paradoxe souligné : plus de 3 millions des moins de 20 ans vivent dans les communes de moins de 2.000 habitants (23% des jeunes Français) et près de 7 millions d'entre eux grandissent dans les villes de 2.000 à 25.000 habitants (42% des jeunes Français). Résultat : "Cette fracture est longtemps restée sous les radars des pouvoirs publics". Et le serait sans doute encore sans ce rapport…
Une fois le constat posé, le rapport estime que "deux mouvements de nature et d’ampleur différents sont attendus" pour répondre aux difficultés particulières des jeunes de ces territoires. Le premier dépasse l’objet même du rapport et consiste à prendre les mesures nécessaires au développement économique, social, culturel et environnemental des territoires périphériques. Le second mouvement, "un chemin moins balisé que le premier", "doit être centré sur la jeunesse" et consiste à déployer des instruments et une politique publique pour traiter de façon particulière les problèmes spécifiques de la jeunesse de la France périphérique.
Connaître, orienter, informer, bouger
Vient alors le temps des préconisations. Face à la méconnaissance du phénomène, le rapport propose d'abord de relever le défi de la représentation. Par exemple en développant des indicateurs adaptés aux jeunes des territoires ruraux et des petites villes, pour mieux orienter les politiques publiques et notamment identifier les territoires scolaires appelant des mesures spécifiques d’accompagnement. Car il faut ici distinguer "les établissements isolés des grandes aires urbaines et […] ceux des petites villes en difficulté". Ou encore en intégrant la dimension territoriale dans les démarches d’ouverture sociale des grandes écoles.
Le deuxième axe est celui, tout à fait central dans le débat autour de la jeunesse de la France périphérique, de l'information, de l'orientation et de l'ambition. On peut citer parmi les préconisations emblématiques celles visant à mieux former les équipes éducatives à l’orientation en zone rurale, à inciter les établissements d’enseignement supérieur à développer leur communication à destination des jeunes des territoires par un système de bonus-malus, et à créer un programme national de mentorat adapté aux territoires éloignés des grandes métropoles.
Le troisième axe porte sur l'enjeu du maillage territorial et prolonge le précédent en imaginant, entre autres, de proposer 30.000 stages dédiés aux élèves de 3e des zones rurales, de faciliter l’engagement des jeunes des territoires isolés au sein du Service national universel, du Service civique ou plus largement des engagements du quotidien. Car c'est une constante relevée chez les jeunes ruraux : leur manque d'opportunités en faveur de l'engagement associatif leur porte préjudice à l'heure de rédiger leur CV.
Enfin, au-delà de la sphère scolaire proprement dite, le quatrième axe envisage de traiter les enjeux de mobilité, par exemple en systématisant l’accès au permis de conduire à 17 ans, en intensifiant les dispositifs d’accès à la culture spécifiques pour les jeunes ruraux ou en prenant mieux en compte l’éloignement géographique dans le calcul des primes à l’internat et dans les critères d’attribution des bourses pour l’enseignement supérieur.
Très engagée dans cette cause, Salomé Berlioux conclut : "Cette jeunesse attend une parole publique reconnaissant ses difficultés. Mais il faudra plus que des mots pour accroître les chances de départ des jeunes de ces territoires. Des jeunes dont le talent, la curiosité et la motivation représentent un atout considérable pour notre pays."