Éducation prioritaire : les députés ont passé le rapport Azéma-Mathiot à la question
Reçus par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, Ariane Azéma et Pierre Mathiot, auteurs d'un récent rapport sur l'éducation prioritaire, sont revenus en détail sur leurs préconisations. Régionalisation des moyens et meilleure prise en compte de la ruralité étaient au menu des débats.
En pleine séquence de contrôle continu pour les élèves de terminale dans les lycées de France et de Navarre, c'est à une explication de texte approfondie que ce sont livrés, le 29 janvier 2020 devant les membres de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, Ariane Azéma et Pierre Mathiot, auteurs du rapport "Territoires et réussite", commandé par le ministre de l'Éducation nationale et remis le 5 novembre 2019.
Ariane Azéma, inspectrice générale de l’Éducation nationale, et Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille, ont profité de l'occasion pour commenter leur scénario de réforme de l'éducation prioritaire. Leur idée-maîtresse ? "Conforter l’éducation prioritaire tout en développant des politiques territoriales adaptées à la diversité des besoins régionaux et locaux." En d'autres termes, ils préconisent de maintenir les REP+ (réseaux d'éducation prioritaire renforcés) tout en prônant la fin d'un zonage des REP piloté par le ministère pour donner la main aux rectorats, lesquels agiraient en concertation avec les collectivités territoriales.
Leurs propositions visent d'abord à assurer une continuité des politiques publiques. "En matière éducative, comme dans d'autres domaines, il faut du temps pour qu'une politique puisse avoir des effets réels sur le terrain, a pointé Pierre Mathiot. Dans les collèges REP+, marqués par peu de mixité, les équipes éducatives ont besoin de stabilité pour conduire un travail dans la durée."
"Le système actuel est binaire"
Ensuite, les rapporteurs entendent mieux prendre en compte la diversité territoriale. Et Pierre Mathiot de préciser que "le système actuel de l'éducation prioritaire est un système binaire : on en est ou on n'en est pas. Il nous semble que cela a du sens de prendre mieux en compte, de manière plus fine, la diversité territoriale". La création d'une politique de priorisation académique qui prendrait la place de l'actuel zonage des REP constitue l'un des points cruciaux du rapport que Pierre Mathiot a tenu à nuancer : "On ne préconise pas la délabellisation comme avait pu le faire la Cour des comptes. On propose qu'à partir des établissements REP, cela se fasse par académie sur la base de critères nationaux et d'une évaluation nationale." Voilà pour la forme.
Sur le fond, cet abandon du zonage se justifie par la "plus forte mixité et les plus forts mouvements" qui existent en REP. Pierre Mathiot : "L'activité économique sur un territoire peut changer et justifier qu'un établissement ne soit plus en REP. À l'inverse, on a des territoires qui décrochent, des petits bourgs qui étaient sur une mono-industrie perdent l'usine. Comme la politique est relativement rigide, dans le premier cas on va garder le label REP alors qu'objectivement il ne se justifie peut-être plus, dans le deuxième cas, le territoire ne peut pas bénéficier de soutien particulier."
Sur ce point essentiel de leur réflexion, Ariane Azéma a apporté sa vision : "On touche à la conception française qui voudrait que la labellisation ne puisse être que nationale. Mais pourquoi ne pourra-t-elle pas être de niveau régional, en l'espèce académique ? Le ministère de l'Éducation nationale est éminemment déconcentré. Aujourd'hui, un certain nombre de décisions sont cadrées par une circulaire du ministre mais restent à l'appréciation du recteur." Et alors que la députée du Doubs, Fannette Charvier, faisait remarquer que le rectorat de Besançon avait mis en place une politique de compensation financière en faveur d'écoles orphelines (situées en QPV mais non rattachées à un collège REP), Ariane Azéma en a conclu que "les rectorats ont déjà mis en place des politiques territoriales adaptées. Ce que nous proposons est donc déjà en germe. C'est cela que nous proposons de formaliser".
Marges de manœuvre locales
Atteindre un public défavorisé, qu'il soit scolarisé dans un établissement orphelin ou non, est un objectif poursuivi par les rapporteurs. À ce titre, Pierre Mathiot a rappelé que "la politique d'éducation prioritaire comme son nom l'indique vise des territoires dits 'd'éducation prioritaire', donc un public d'élèves très particulier, en oubliant que sept élèves modestes sur dix sont scolarisés sur des territoires en dehors des territoires d'éducation prioritaire, territoires ruraux, semi-ruraux ou semi-urbains. Il faut donc être aussi attentifs à ces élèves de milieux modestes qui du fait de leur localisation géographique ne sont pas situés sur des territoires d'éducation prioritaire".
"La catégorisation territoriale sur laquelle nous nous appuyons pose un certain nombre de problème, a renchéri Ariane Azéma. Dans un pays qui a connu la crise de 2008, on voit bien qu'il y a des territoires qui ont évolué de façon beaucoup plus rapide que notre capacité à zoner [sic]". Voilà pour le rapport au temps. Quant au rapport à l'espace, Ariane Azéma a estimé que se trouver dans un QPV (quartier de la politique de la ville) ou dans le rural n'était pas la même chose : "Nos catégories nationales tendent à rigidifier un système qui, à notre sens, pour partie doit être préservé, mais aussi assoupli ou élargi pour permettre des marges de manœuvre aux acteurs locaux." Pour la rapporteure, ces acteurs sont à la fois les services déconcentrés de l'État mais aussi les collectivités territoriales.
C'est donc au niveau régional et local, sur la base d'agendas territoriaux décidés entre les autorités déconcentrées, les collectivités locales et les communautés éducatives, que devrait se poser la question de la priorisation académique. "Quels sont les territoires, les établissements jugés stratégiques dans une région donnée, à un moment donné ? Bref, une approche qui ne soit pas zonée et mécanique mais plutôt évolutive et négociée", a lancé Ariane Azéma. Cette réallocation au bénéfice de territoires jugés prioritaires dans chaque rectorat se ferait, il est important de le noter, à moyens constants.
Attirer des enseignants
Restait à évoquer un autre enjeu crucial qui pose également la question de l'égalité scolaire sur le territoire : la politique de recrutement et d'affectation des enseignants dans des "territoires insuffisamment attractifs" où ne se situent pas toujours les REP+. Sur ce point, Pierre Mathiot a d'abord constaté que "la part des deux milliards du budget annuel de l'éducation prioritaire consacrée à la formation est proche de 0%." Et d'ajouter : "Cela a été une énorme surprise pour moi. Je pensais qu'on formait beaucoup mieux les collègues à la spécificité de l'exercice de leur métier sur ces territoires." D'où l'idée de former spécifiquement à la difficulté sociale et scolaire. Car si les premiers postes proposés aux néotitulaires sont souvent en éducation prioritaire, ces enseignants "arrivent avec leur bonne volonté, mais sont très vite déstabilisés, confrontés à des populations d'élèves, à des relations avec les parents auxquelles ils n'ont absolument pas été préparés".
Une des propositions est de réallouer des primes de l'éducation prioritaire à des enseignants qui accepteraient d'aller dans des territoires considérés comme non attractifs, y compris ruraux, en s'engageant à y rester un certain temps. "Cela implique un travail de caractérisation de ces territoires. On a les données dans chaque académie, on sait bien quels sont les postes où il y a des problèmes", a précisé Pierre Mathiot.
Enfin, la mission a proposé deux certifications afin de "prépositionner des stagiaires" sur des postes "peu attractifs" : l'une pour les élèves allophones, dans les territoires où ces élèves sont nombreux, et l'autre pour des classes multi-âge pour des écoles rurales dans lesquelles il n'existe qu'une ou deux classes. "On a perdu en France cette compétence multi-âge que l'on a eue pendant longtemps", a déploré Pierre Mathiot.
Après deux heures d'un débat très riche, une seule question est restée en suspens. Une question d'ailleurs non formulée : parmi les préconisations du rapport Azéma-Mathiot, lesquelles seront finalement conservées par le ministre de l'Éducation ?...