Mercosur : la France cherche une minorité de blocage

Les agriculteurs, qui prendront à nouveau la route lundi prochain, n’entendent pas relâcher la pression sur le projet d’accord commercial UE-Mercosur, que la Commission – et plusieurs États membres – entend mener à bien. Le gouvernement français affiche, lui, son opposition : le Premier ministre était ce 13 novembre à Bruxelles pour repousser un éventuel accord, et les ministres délégués chargés de l'Europe et du Commerce extérieur, Benjamin Haddad et Sophie Primas, ont réaffirmé la volonté de la France de réunir une "minorité de blocage". Alors que le volet agricole est définitivement clos, une nouvelle session de négociations est prévue à la fin du mois au Brésil, où se réuniront la semaine prochaine les membres du G20.

La pression sur le projet d’accord commercial UE-Mercosur (alliance formée à ce jour de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et de la Bolivie, le Venezuela en ayant été suspendu) ne retombe pas. Dans une lettre ouverte à Ursula von der Leyen publiée ce 12 novembre par le journal Le Monde, 622 parlementaires (de l’Assemblée, du Sénat et du Parlement européen) rappellent à la présidente de la Commission européenne leur opposition à ce texte : "La France a posé trois conditions à la signature de l’accord, à savoir : ne pas augmenter la déforestation importée dans l’UE, mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris sur le climat et instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale. À l’évidence, ces conditions ne sont pas satisfaites", déplorent-ils.

La France à la recherche d’une minorité de blocage

Pour le gouvernement non plus, le compte n’y est pas. La France n'acceptera pas l'accord "dans les conditions actuelles", a martelé mercredi le Premier ministre Michel Barnier à Bruxelles. "Le traité n'est pas acceptable en l'état : il ne respecte ni l'équité commerciale, ni les clauses miroirs, ni nos standards environnementaux. Nous travaillons à constituer une minorité de blocage", assurait, la veille, en séance publique au Sénat, le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, lors d’un débat organisé à la demande du groupe Les Républicains sur la nouvelle Commission européenne. Un discours repris par la ministre déléguée chargée du commerce extérieur Sophie Primas, jeudi, devant trois commissions sénatoriales. "Nous comptons sur les pays dont les Parlements ont voté contre. Et nous nous intéressons à ceux, plus timides, dans lesquels l'économie agricole est extrêmement importante", a-t-elle dit, sans divulguer les pays en question. Et de rappeler que pour être valable, une minorité de blocage doit réunir au moins quatre pays et 35% de la population européenne. "La France est partisan d'un accord, mais d'un accord renégocié avec la région du Mercosur", a-t-elle cependant tenu à préciser.

Le 8 novembre, c’est l’Association des maires ruraux de France (AMRF) qui était montée au créneau : "Non à la fragilisation du monde rural et de ses éleveurs", clame le président de l’AMRF, Michel Fournier, dans un communiqué dans lequel il observe que "la colère du monde rural gronde à nouveau". Elle tonnera même la semaine prochaine : "On va reprendre la route lundi prochain", a déclaré mercredi sur France Inter Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. Une action commune menée avec les Jeunes Agriculteurs, avec notamment pour objectif de "faire entendre la voix des agriculteurs européens au moment du G20".

Pas de signature au G20, mais un nouveau round de négociations

Ce dernier est prévu les 18 et 19 novembre prochains, au Brésil – à Rio de Janeiro –, justement. Le bruit circule que l’accord pourrait y être signé, ce que dément la Commission européenne. Pour ce faire, il faudrait "d’abord trouver un accord politique, puis procéder à un toilettage juridique du texte, le traduire dans les différentes langues, avant que la Commission ne fasse sa proposition", précise un membre de cette dernière. Un processus qui prendra au moins "plusieurs mois", ajoute-t-il. Et qui suppose au préalable qu’un accord soit trouvé, ce qui n’est pas encore le cas. Pour preuve, avance la Commission, une nouvelle session de négociations, après celles de septembre et d’octobre (voir notre article du 9 septembre), est prévue fin novembre, à Brasilia. Car plusieurs conditions font encore défaut. 

Côté UE, on entend d’une part "que l’accord de Paris sur le climat soit érigé au rang d’'élément essentiel', ce qui permettrait une suspension partielle ou totale de l’accord commercial, de façon unilatérale, dans le cas où l’accord de Paris ne serait pas respecté" ; et d’autre part que "l’arrêt de la déforestation" soit entériné – "Une question très politique en Amérique du Sud", est-il relevé. Deux éléments du protocole additionnel souhaité par l’UE, auquel le Brésil et l’Argentine refusent jusqu’ici de souscrire. A noter au passage que le Parlement européen a approuvé, jeudi 14 novembre, le report d'un an de l'entrée en vigueur de la nouvelle règlementation européenne sur la déforestation qui devait s'appliquer à la fin de l'année. Ce que d'aucuns interprètent comme une faveur accordée à ces pays.

Côté Mercosur, on en profite pour négocier des marges de manœuvre plus importantes en matière de commande publique, afin de pouvoir protéger et développer l’industrie nationale dans certains secteurs stratégiques (l’accord ouvre plus largement aux entreprises européennes l’accès aux marchés publics des pays du Mercosur). Et l’on veut s’assurer que certains secteurs critiques, comme celui de l’automobile, soient suffisamment protégés en cas d’exportations européennes trop importantes. 

Un volet agricole définitivement clos

"Ils négocient les mêmes dispositions que celles que nous avons obtenues pour l’agriculture", décrypte-t-on à la Commission, en évoquant l’introduction de "clauses de sauvegarde pour les produits sous quotas, une réassurance supplémentaire puisque de telles clauses ne sont normalement prévues que pour les produits libéralisés". Une chose est sûre : le volet agricole, finalisé en 2019 (voir notre article du 5 juillet 2019), et qui ne comprend pas de "clauses miroirs", est clos. Or Paris cherche justement à rouvrir le dossier. "Nous nous battons pour un accord d'association avec le Mercosur qui soit exigent sur les questions environnementales et loyales pour notre agriculture", a expliqué Sophie Primas. "Il faudra des dispositifs pour protéger nos filières", a-t-elle précisé.

Mais pour la Commission, il n’y a pas à tergiverser : il faut prendre. "L’accord est équilibré pour les seules pratiques agricoles", plaide-t-on. À l’actif, on souligne "les gains évidents" sur les produits laitiers et les vins et spiritueux – alors que "le secteur vinicole est actuellement très protégé, avec des droits très élevés d’environ 27%" –, sans compter la protection de plus de 350 indications géographiques européennes, dont plus de 60 françaises, qu’assurerait l’accord, parmi lesquelles les vins d’Anjou et d’Alsace ou le Rhum des Antilles. Au passif, le sucre et l’élevage, mais "avec des conséquences très limitées", assure-t-on, avec des quantités de produits bénéficiant de droits de douane moins élevés représentant au maximum "99.000 tonnes de viande bovine, soit 1,6% de la production totale annuelle de l’UE ; 25.000 tonnes de viande porcine, soit 0,1% de la production de l’UE et 180.000 tonnes de volailles, soit 1,4% de la production de l’UE". Et le tout "sans aucune concession sanitaire. On ne négocie pas les conditions liées à la santé des Européens", clame la Commission. Tout en concédant que s’agissant "des conditions de production, c’est différent". Mais la Commission le martèle, "il n’y aura pas de problèmes car les volumes sont faibles et il existe des garde-fous". Elle en prend pour preuve le précédent du Ceta : "On avait dit que ce serait la fin de la filière bovine en Europe. Or, après six ans d’application, on constate que le Canada n’exporte quasiment pas de viande bovine en Europe. Au contraire, c’est l’UE qui exporte sa viande bovine dans certaines niches. Il y a une différence entre ce qu’on dit dans la rue, et ce que l’on constate avec les chiffres", grince un de ses membres.

La Commission agite la menace chinoise

À rebours de ce qu’avait par exemple pu indiquer l’ancien ministre de l’Agriculture Marc Fesneau (voir notre article du 14 septembre 2023), la Commission attire également l’attention sur l’importance de nouer un tel accord pour préserver "notre sécurité agricole et industrielle" dans le contexte post-covid et de guerre en Ukraine, "à un moment où l’on perd accès au marché russe et où l’accès au marché chinois se fait de plus en plus compliqué". Elle prend exemple du lithium, mais souligne également que "l’Argentine a été un acteur clé pour l’approvisionnement en protéines végétales suite à la guerre en Ukraine". Elle met encore en exergue "la présence de plus en plus marquée de la Chine en Amérique du Sud", et souligne que Xi Jinping a prévu de prolonger son séjour au Brésil après le G20. Et de prévenir : "Attention à ce que la fiancée UE ne se fasse attendre trop longtemps, car le Mercosur ne manque pas de prétendants." Dans Les Échos du 13 novembre, l’économiste de l’Inrae Vincent Chatellier, relève à la fois que "le Mercosur exporte six fois plus dans le monde qu’il n’importe du reste du monde. C’est extrêmement rare" et que l’Amérique latine doit "l’explosion de ses exportations"… à la Chine.

La France craint que Bruxelles n'ait recours à une scission de l'accord pour le faire passer, séparant les volets commercial et politique, comme elle l'a déjà fait avec le Chili. Ce qui permettrait d'approuver le volet commercial à la majorité qualifiée et non à l'unanimité (15 Etats représentant plus de 65% de la population suffiraient alors au Conseil). Ce serait une "faute politique caractérisée", estime Sophie Primas, une décision "parfaitement illégitime" sachant que le mandat donné en 1999 à la Commission n'a jamais été modifié. "Le moment est important car il peut marquer une rupture de notre politique européenne commerciale", considère-t-elle. "Je veux promouvoir au niveau européen une approche moins naïve, plus audacieuse, plus offensive de nos échanges commerciaux (...) dans la droite ligne des conclusions du rapport Draghi."