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Entrée en vigueur du Ceta : quel va être l'impact pour les territoires ?

Le gouvernement doit dévoiler ce 13 septembre les enseignements qu'il tire du rapport de la commission d'évaluation sur le Ceta remis au Premier ministre en fin de semaine dernière. Mais, sauf coup de théâtrre, c'est la presque totalité de l'accord de libre-échange avec le Canada qui entrera en vigueur à partir du 21 septembre. Quelles conséquences pour les territoires ? Le point avec l'eurodéputée Virginie Rozière.

Le gouvernement doit présenter, ce mercredi 13 septembre, les enseignements qu’il tire du rapport sévère de la commission d’experts chargée d’évaluer les conséquences du Ceta sur l’environnement et la santé. Et ce à une semaine de l’entrée en vigueur provisoire de cet accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, le 21 septembre, comme l’ont décidé le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le 8 juillet dernier. "S’il est avéré qu’il comporte des conséquence négatives par rapport à nos engagements, nous retournerons vers nos partenaires", avait assuré le chef de l’Etat lors d’un déplacement dans le Limousin, le 9 juin. Le voilà donc pris au mot. Mais à moins d’un report de cette entrée en vigueur, comme le réclament les députés de la France insoumise, il y a peu de chances de voir de réels changements. "C’est un écran de fumée complet. Emmanuel Macron est suffisamment un fin connaisseur des questions européennes pour ne pas savoir que cela n’aura aucun effet", fustige l’eurodéputée radicale socialiste Virginie Rozière. "Cet accord est le fruit de la ratification par l’ensemble des Etats membres, dont la France", rappelle la députée. D'ailleurs, en 2016, Emmanuel Macron avait lui-même vivement critiqué le veto de la Wallonie.

90 à 95% du traité vont s'appliquer

Le 21 septembre, 90 à 95% du traité devraient donc s’appliquer, avant même que les 38 parlements nationaux et régionaux n'aient eu leur mot à dire, avec des effets importants sur l’agriculture et les services publics.
L’accord prévoit le démantèlement des barrières tarifaires agricoles et ouvre la porte à 70.000 tonnes de viande porcine et 46.000 de viande bovine canadiennes. Contingents qui s’appliqueront de façon progressive sur cinq ans. Une grande question demeure. "La Grande-Bretagne devait absorber à elle seule la moitié du contingent de boeuf, qu’adviendra-t-il après le Brexit ? Que deviennent les 30.000 tonnes du quota britannique ?", s’interroge Virginie Rozière.
L’autre inquiétude soulevée par des associations et élus tient à l’ouverture des marchés publics et à la mise en concurrence des services publics. Pour la première fois dans un accord de libre-échange signé par l’Union européenne, le Ceta (acronyme anglais pour "accord économique et commercial global") retient une "liste négative" de services publics non libéralisés. Dans le système habituel dit de liste positive, les parties s’engagent à libéraliser une liste prédéfinie de services. Là, c’est donc l’inverse. En dehors de cette liste - qui comprend la santé et l’éducation publiques, les services sociaux et le logement, ainsi que le captage, l’épuration et la distribution d’eau -, tout pourra être ouvert à la concurrence (en dehors des fonctions régaliennes comme la police et la justice). Toutefois, la Commission européenne a introduit une réserve. Ainsi, "les services publics reconnus d’utilité publique au niveau national ou local peuvent faire l’objet de monopoles publics ou de droits exclusifs octroyés à des opérateurs privés". Mais la Commission a déjà pris les devants ces dernières années en libéralisant de nombreux secteurs, la poste, les télécommunications, le rail, l'énergie... et en dehors de SNCF Réseau, on ne voit pas bien quels bastions pourraient être préservés.

Services publics : il sera possible de revenir en arrière

Les partenaires ont apporté une autre garantie. L’accord précise qu'il n’empêchera pas les gouvernements "de fournir des services publics précédemment assurés par des fournisseurs privés ni de ramener sous le contrôle public des services qu’ils avaient choisi de privatiser". Cette interdiction de revenir en arrière - que les spécialistes appellent la "clause de cliquet" -, avait notamment fait couler beaucoup d’encre au moment des traité transatlantique. Il n’en n’est donc pas ici question.
Malgré tout, l'accord laisse place à beaucoup d’incertitude juridique. "Que va-t-il se passer si vous passez l’énergie en régie publique, dans le cas  d’un écoquartier autonome par exemple ? C’est toute la question du financement des énergies renouvelables qui se pose", souligne Virginie Rozière. L’une des craintes souvent avancées est celle des arbitrages. En cas de retour à la gestion publique, l’opérateur privé évincé pourra recourir au tribunal d’arbitrage pour demander réparation.

550 entreprises françaises présentes au Canada

Les défenseurs du Ceta ont un autre argument à faire valoir. La France est le deuxième partenaire commercial européen du Canada et elle affiche même une balance commerciale excédentaire (avec 5,5 milliards d’euros d’exportation contre 5,1 milliards d’euros d’importation en 2013). Elle aurait donc tout à gagner de cet accord. Ainsi une ouverture des marchés canadiens serait bénéfique aux grands groupes français du BTP, de la restauration collective, de l’énergie... Environ 550 entreprises françaises employant plus de 80.000 personnes sont implantées au Canada, essentiellement au Québec (Sodexo, Lafarge, Ubisoft, Rexel, Air Liquide, Sanofi Aventis, Colas, Thalès, Hachette, Veolia, Essilor, Lactalis, etc.), précisait un rapport sur "les relations entre le Ceta et le climat" daté de janvier 2017 et remis à l’ancienne ministre de l’Environnement, Ségolène Royal. En sens inverse, on dénombre en France quelque 280 entreprises canadiennes représentant 40.000 emplois (Bombardier, CNC-Lavalin, Vermilion, Caisse de dépôt et de placement du Québec, CGI, Cascades, Magna, McCain, Aastra, RIM, Lembec, Transat, etc.)…
Enfin, à l’inverse de ce que prévoyait l’ancien projet de traité transatlantique, le Ceta reconnaît pas moins de 145 indications géographiques européennes. "C’est un précédent, un des rares points positifs, mais il est notablement insuffisant", concède Virginie Rozière qui est également l'auteure d'un rapport sur les IGP non agricoles en Europe.

Les parlements ne pourront se prononcer que les 5% restants

A présent, les parlements vont devoir se prononcer. Ce qui pourrait prendre plusieurs années. Le rapport de la commission d'évaluation a semé le trouble dans les rangs de la majorité présidentielle. "Je pense que ratifier (cet accord) les yeux fermés serait une lourde erreur", a même commenté le député LREM Mathieu Orphelin, dans un communiqué, à la lecture de ce rapport. "Au gouvernement et à nous, parlementaires, de prendre des décisions ambitieuses pour corriger ces effets potentiels néfastes du Ceta, en appliquant les recommandations des experts et en attendant l'avis de la Cour de justice européenne avant ratification", a-t-il ajouté. Mais d’après Virginie Rozière, les parlements ne pourront agir que sur les 5% du traité qui ne seront pas entrés en vigueur de manière provisoire. Certes, ce n’est pas le moindre des sujets, puisqu’il s’agit notamment du mécanisme d’arbitrage. "En réalité, les arbitres sont des avocats d’affaires, spécialistes du droit du commerce international, il y a un risque de conflit d’intérêts", estime l'élue. "La morale de cette histoire, c’est qu’on ne doit pas traiter dans des accords commerciaux de questions démocratiques qui ont trait à nos préférences collectives, à l’environnement, à nos pratiques alimentaires, à l’agriculture, etc."