Menus végétariens en restauration scolaire : "Je suis favorable à la nuance et à la diversité"

L'arrêté de septembre de 2011 fixant la norme de l’équilibre nutritionnel en restauration scolaire est sur le point d’être révisé. Certains élus auteurs d'une tribune fin février, et Greenpeace notamment, craignent que cette révision ne remette en cause la possibilité pour les collectivités de proposer un repas végétarien quotidien, ce qui n’est encore à ce jour qu’une expérimentation introduite par la loi Climat et Résilience, tandis que le repas végétarien hebdomadaire, lui, est acté par cette même loi. En tant que co-présidente du groupe de travail nutrition du Conseil national de la restauration collective (CNRC), la nutritionniste Marie-Noëlle Haye, vice-présidente de l’Association nationale des directeurs de la restauration publique territoriale (Agores), revient pour Localtis sur les véritables enjeux liés à l’introduction de l’alternative végétarienne.

Localtis - Dans quel contexte avez-vous été amenée à participer à la révision de l'arrêté de 2011 qui fixe la norme de l’équilibre nutritionnel en restauration scolaire? 

Marie-Noëlle Haye – Tout d’abord, je tiens à préciser que les premiers objectifs du groupe de travail nutrition installé depuis octobre 2019 au sein du CNRC ne consistent pas spécifiquement à revoir cet arrêté. L'objectif est de concevoir des outils qui vont accompagner la mise en œuvre des textes légiférés. Notre premier travail a été de construire un outil qui permette de faire le lien entre le décret de 2011 et la Loi Egalim qui, au 1er novembre 2019, rendait obligatoire l’expérimentation d’un menu végétarien hebdomadaire. Donc nous avons fait ce travail : nous avons adapté les fréquences existantes afin d’y introduire des fréquences de légumes secs et de céréales, de denrées à base de fromages et d’œufs et laissé une petite place aux produits de l’agroalimentaire à base de soja en respectant toujours les recommandations données par le PNNS (Plan national nutrition santé), par l’Anses, par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP). A cela, nous avons ajouté un livret de recettes végétariennes pour aider les collègues de la restauration collective à mettre en œuvre des associations de céréales et de légumineuses (lentilles, pois cassés, haricots, etc. ). En partenariat avec l’AFDN (Association française des diététiciens nutritionnistes), nous avons également élaboré et édité une lettre gourmande durant 18 mois composée de 4 recettes végétariennes et d’informations sur les aliments emblématiques de la cuisine végétarienne et ainsi encourager le "fait maison".

Au sein de groupes de travail, nous avons également insisté sur la formation des cuisiniers avec le concours de l’Education nationale puisque aujourd’hui nos cuisiniers sont plutôt formés à avoir un cœur d’assiette représenté par une composante protidique, une viande ou un poisson et des légumes d’accompagnement et ils n’ont pas encore été formés à composer un plat complet végétarien avec les légumes secs et les céréales.

Et depuis 2022, nous avons revu les recommandations du Groupe d'étude des marchés de restauration collective et nutrition (GEMRCN) de 2015, de façon à intégrer l’évolution des repères de consommation et le menu végétarien hebdomadaire.

Entre temps, en juillet 2021, la loi Climat et Résilience a instauré l’obligation du repas hebdomadaire végétarien. Donc à partir de là, nous avons travaillé à la diversification des sources protéines tout en s’assurant que les enfants continuent d’avoir des repas nutritionnellement équilibrés et intégrant toutes les composantes physiologiquement nécessaires.

Pourquoi la révision de l’arrêté de 2011 provoque-t-elle tant de réactions ? 

Je trouve qu’on parle beaucoup de repas végétariens, alors que nous devrions parler de diversification des sources de protéines, mais je rappelle que l’un des objectifs des lois Egalim et Climat et Résilience est de faire baisser la consommation de viande tout en faisant en sorte que la viande proposée soit de meilleure qualité. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les travaux de l’Anses et les travaux du Haut Conseil de la santé publique parus en 2020. Nous avons aménagé les recommandations du GEMRCN de 2015 pour pouvoir consommer un repas végétarien hebdomadaire.

Mais la révision de l’arrêté de 2011 ne pose-t-elle pas la question de la fréquence et de la proportion de différents types d’aliments et notamment de la viande et du poisson pour combler les besoins nutritionnels des enfants ?  

En fait, nous ne discutons pas de type d’aliments mais de différentes composantes du repas. Nos repas sont construits avec 4 ou 5 composantes et l’enjeu est de faire évoluer les habitudes de consommation, de cuisiner tout en limitant le recours aux aliments ultra-transformés (AUT).

Quel est le calendrier de cette révision ?

Nous avons remis notre copie incomplète aux trois ministères de tutelles, c’est-à-dire les ministères de la Transition écologique, de la Santé et de l’Agriculture en juin 2022. Nous sommes dans l’attente aujourd’hui de l’arbitrage politique de ces trois ministères pour continuer les travaux. Il reste quelques points de dissensus mais globalement nous nous sommes accordés avec l’ensemble des acteurs qui siègent dans ce groupe de travail nutrition.

Il se dit que l’arbitrage des ministères est dans l’attente de la remise d’un rapport qui doit présenter les conclusions de l’expérimentation du menu végétarien dans les cantines…

Comme à chaque fois qu’une expérimentation est menée, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, le CGAAER, qui est en quelque sorte l’instance d’inspection du ministère de l’Agriculture, doit évaluer cette expérimentation. Je rappelle qu’en même temps que la loi Climat et Résilience instaurait le repas hebdomadaire obligatoire, il ouvrait la possibilité de faire une expérimentation de l’alternative végétarienne quotidienne en restauration scolaire. De la même façon qu’il existe un rapport sur l’expérimentation du repas végétarien hebdomadaire, la rédaction d’un rapport sur l’expérimentation de l’alternative quotidienne est en cours de rédaction par le CGAAER. Ce rapport est composé des retours déclaratifs déposés sur la plateforme gouvernementale ma-cantine.agriculture.gouv.fr et d’interviews, dont le groupe de travail nutrition. Malheureusement, sur ma-cantine.agriculture.gouv.fr, les données sont si peu nombreuses – 49 réponses à ma connaissance – qu’elles sont peu exploitables. Les auteurs du rapport ont sans doute dû multiplier les interviews pour compenser.

L’option végétarienne quotidienne ne répond-elle pas à une véritable attente sociétale, comme le fait valoir Greenpeace ?

Il faut savoir qu’il y a aujourd’hui 2,5% de végétariens en France. On ne peut pas dire que ce soit la majorité de la population. Je ne dis pas que les mentalités n’évoluent pas mais l’attente sociétale n’est pas ressentie de la même façon dans tous les territoires français. Les grandes villes peuvent effectivement le ressentir de façon très prégnante. Aujourd’hui, 200 communes se sont lancées dans l’alternative végétarienne quotidienne, 200 sur 36.500 communes en France, le ratio est faible. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas en tenir compte mais la France est surtout composée de petites communes pour lesquelles le repas végétarien hebdomadaire a été un bon pied à l’étrier pour changer les mentalités. Mais on ne peut pas bouleverser les habitudes alimentaires des populations dans un laps de temps aussi court, soit deux ans. Qui plus est, de nombreux territoires sont attachés à leur identité agricole tournée vers la production animale. Par ailleurs, avec l’instauration du menu végétarien hebdomadaire, la consommation de viande et de poisson a déjà été réduite de 20%, c’est une petite révolution qui nécessite du temps pour être totalement intégrée.

L’équilibre nutritionnel est de manger de tout en quantités raisonnables. Je pense que c’est indispensable de manger de la viande et du poisson. C’est bien aussi d’en manger moins et c’est très bien de végétaliser son alimentation, c’est simplement une question de proportion pour définir ce qu’est une alimentation favorable à la santé et durable. Mais jusqu’où aller ? Et surtout avec quelle vigilance car toute alimentation qui exclut tel ou tel composant doit nécessairement être suivie pour éviter des carences. Les missions des cantines scolaires sont d’alimenter des enfants, des êtres humains en devenir qui ont besoin de tous les nutriments que l’on ne sait pas fabriquer dans notre corps et qu’il faut aller chercher dans l’alimentation. Les difficultés de ces menus alternatifs, ce ne sont pas les protéines mais les micro-nutriments associés à ces protéines d’origine animale (fer héminique, iode, zinc, acides gras essentiels, etc.) que le consommateur ne retrouve pas de manière naturelle dans son alimentation.

L’alimentation végétarienne ne peut-elle pas répondre à tous les besoins des enfants en pleine croissance ? Quelles difficultés soulève-t-elle selon vous ?

Dans la restauration scolaire primaire (maternelle et élémentaire), il y a deux points de vigilance. La problématique est un peu différente dans les cantines des collèges et des lycées. Pour les écoliers de 3 ans à 10 ans, les inscriptions à la cantine sont faites par les parents qui vont cocher éventuellement la case "végétarien". La conséquence pour l’enfant dont les parents auront fait ce choix, c’est qu’il va manger pendant plusieurs semaines des repas sans viande et sans poisson. Pour les enfants issus de quartiers défavorisés, c’est probablement leur seule source de viande ou de poisson, qui plus est, avec l’inflation actuelle des denrées alimentaires. Sachant que le poisson n’est pas beaucoup apprécié, on risque vraiment de voir apparaître des déficits en Oméga 6, en Oméga 3, en iode etc. L'Anses confirme que les principaux déficits nutritionnels qui peuvent être liés à une consommation régulière de repas végétariens portent sur certains acides gras essentiels en Oméga 3 (EPA et DHA) et en vitamine D. Je suis donc favorable à la nuance et à la diversité. Le deuxième point de vigilance, c’est que nos cuisines ne sont pas toujours dimensionnées, ou en capacité technique, pour pouvoir produire à la fois des menus à base de viande et de poisson et une alternative végétarienne cuisinée.

L'alimentation végétarienne est parfois associée à beaucoup de "junk food". L’arrêté pourrait-il limiter la fréquence des produits ultra-transformés et notamment des protéines du type nuggets de soja ou steak végétarien ?

Une récente enquête de UFC Que Choisir montre que les produits issus de l’industrie agro-alimentaire sont plus nombreux dans les grilles de menus de certains services municipaux de restauration proposant une alternative quotidienne, pour les raisons évoquées précédemment. Ce que je comprends aussi car en termes d’organisation des cuisines, c’est très pratique. Mais dans l’optique d’une alternative végétarienne quotidienne, est-ce que c’est ce que nous attendons ? De la même manière, il est nécessaire de modérer la consommation de nuggets de poisson, de poulets ou des boulettes de viande. Le Plan national nutrition santé encourage à manger moins de produits ultra-transformés car il est prouvé que cette alimentation est génératrice de maladies métaboliques (diabète, obésité, etc.) et à favoriser des aliments frais, de saison. Pour autant, il est également nécessaire d’être attentif à toutes les filières. On cuisine quoi ? Les enfants connaissent les lentilles, les haricots blancs, les flageolets, les pois chiches… En restauration collective nous avons à cœur d’éduquer au goût nos convives petits et grands mais en leur proposant quotidiennement ces mêmes plats, nous risquons de les lasser. Par ailleurs, il faut tenir tenir compte du principe de précaution sur la fréquence de service des produits à base de soja. Il établit une fréquence d’un plat sur 4, recommandée par le GT nutrition, dans l’attente d’un nouvel avis de l’Anses qui dès 2005 a alerté sur la présence des phytoœstrogènes. En effet, le soja contient des phytoestrogènes qui sont reconnus comme des perturbateurs endocriniens. L’Agores, après une étude rigoureuse, a interpellé les fabricants afin qu’ils étiquettent les produits, faisant ainsi apparaitre les quantités de phytoestrogènes. Cela permettra aux acheteurs des collectivités d’acheter ces produits et aux diététiciens de réaliser des menus en connaissance de causes, basés sur les recommandations de l’Anses d’une consommation de 1 mg/kg de poids corporel. C’est aussi cela l’information aux consommateurs. En tout cas, il est important que les menus proposant une alternative des sources de protéines soient construits en connaissance de cause. 

Les élus qui ont co-signé la tribune dans le Monde ont-ils raison de s’inquiéter d’une éventuelle disparition du menu végétarien quotidien ?

Il faut distinguer deux choses : le menu hebdomadaire est gravé dans la loi, légiféré, on ne reviendra pas sur celui-ci. Concernant l’alternative quotidienne végétarienne, elle est encore en expérimentation jusqu’à la fin de cette année 2023 et nous n’avons pas encore les conclusions du rapport du CGAAER sur ce dossier-là. Donc pour l’instant je ne sais pas répondre. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que l’on en entend beaucoup parler. Et certaines instances agitent le chiffon rouge pour que les gens s’inquiètent à ce sujet. Cependant qu’il y ait une inquiétude pour les villes à revenir en arrière, c’est aussi légitime dans le cadre de leur politique alimentaire. Tout ce que je sais c’est que le GT Nutrition du CNRC a travaillé pour équilibrer d’un point de vue nutritionnel le menu hebdomadaire végétarien, en s’appuyant sur les données scientifiques. Il a aussi pris en compte les filières (céréales, légumes secs, viande, produits laitiers, agro-alimentaires et agricoles) et répondu à la vocation première de la restauration collective (nourrir, diversifier, éduquer, être attentif à l’équité et la justice sociale) et aux objectifs liés à l’urgence climatique.
Aujourd’hui, l’arrêté de 2011 définit une fréquence d’apparition des produits dont l’objectif est d’élever la qualité nutritionnelle de nos menus servis en restauration collective. Dans ce contexte sont apparues des mentions 4 produits sur 20 repas de viande de boucherie non hachée par exemple. Ça veut dire une tranche de rôti de bœuf, de sauté de veau, de gigot d’agneau etc., mais également 10 légumes, 10 féculents, etc., le tout sur 20 menus, les grammages de la viande et du poisson pour les enfants étant respectivement 50g en maternelle et 70g en élémentaire. Je rappelle que pour certains enfants, issus de classes défavorisées, ce repas est parfois le seul repas équilibré et varié de la journée. L’appauvrissement de la population n'est pas un vain mot. La restauration collective au travers des politiques sociales d’accès à la restauration scolaire est la première forme d’aide alimentaire en France et donc est bien en ce sens un service d’intérêt général.

Que penser du fait que les menus végétariens constituent aussi une opportunité d'alternative pour les enfants qui ne mangent que de la viande de conception halal ou casher ? 

Mais ces enfants pourraient manger du poisson ou des oeufs. Je m’inquiète en fait surtout pour les enfants qui pourraient manger l’alternative végétarienne quotidiennement et sur le long cours. Car c’est sur le long cours qu’il faut être attentif, et surtout si ces enfants n’ont pas l’occasion de manger de la viande ou du poisson à la maison. En tant que nutritionniste, je respecte les choix de chaque mangeur, ma responsabilité, c’est de prendre en compte l’ensemble des paramètres à considérer et ils sont nombreux. En France, notre alimentation n’est pas déficitaire en protéines mais c’est surtout la question des micro-nutriments associés aux protéines d’origine animale qui ne vont plus être consommés comme le fer, les vitamines B12 et D, le zinc et les acides gras Oméga 3. Et ces micro-nutriments sont mieux absorbés quand ils sont d’origine animale que lorsqu’ils sont d’origine végétale. On parle alors de biodisponibilité.