Comment les cantines scolaires peuvent-elles résister à l'inflation ?
Alors que plus de la moitié des communes ont déjà augmenté le prix du ticket de la cantine pour faire face à l'inflation, d'autres font le choix de geler les prix, mais jusqu'à quand ? Pour faire face à l'envolée des prix de l'alimentation, plusieurs stratégies : solliciter l'aide financière de l'État, réviser le code des marchés publics, privilégier les circuits courts, limiter le gaspillage, augmenter le nombre de repas végétariens et diminuer le nombre de composantes d'un repas.
L'Association nationale des directeurs de la restauration collective (Agores) nous avait prévenus dès le mois de juin : il fallait s'attendre à "une période très compliquée pour la rentrée scolaire" (lire notre interview du 10 juin 2022). Mais on n'imaginait peut-être pas à quel point. Selon un sondage* Ifop commandé par le Syndicat national de la restauration collective (SNRC), 81% des parents se disent inquiets de voir les tarifs augmenter à la rentrée. Plus de quatre sur dix envisageraient même, dans l’hypothèse d’une trop forte hausse, de diminuer le nombre de déjeuners pris à l’école ou au lycée (1). Dans son étude annuelle sur le coût de la rentrée scolaire, la Confédération syndicale des familles relevait que les tarifs des repas pour l'année à venir n'étaient pas encore connus dans de nombreuses communes, craignant une possible hausse à la rentrée ou en janvier 2023. Ce qui était encore fiction a rejoint la réalité.
L'AMF souhaite que l'État intervienne
Geler les prix du ticket de cantine ou répartir l'augmentation entre la commune et les familles ? Quel que soit le choix, éminemment politique, il devra tôt ou tard être confronté à la réalité de l’inflation des prix de l'alimentation. Un phénomène qui risque de s'amplifier dans le futur. Les projections, basées sur un scénario d'un réchauffement de 2°C par rapport à l'ère pré-industrielle dès 2045, montrent qu'à cette date, 64 pays représentant aujourd'hui 71% de la production alimentaire mondiale seraient concernés par un "risque extrême sur les productions agricoles", d’après l’étude réalisée par le cabinet britannique d’analyse de risque Verisk Maplecroft, publiée le 8 septembre 2022.
Localement, près de la moitié des villes ont déjà augmenté leur prix de leurs cantines à la rentrée de septembre 2022, estime Gilles Pérole, coprésident du groupe de travail "restauration scolaire" de l’Association des maires de France (AMF). "D'autres ont pu amortir le coût de l'inflation mais le pourront-elles en janvier ?", s'interroge l'élu, adjoint (sans étiquette) chargé de l’enfance, l’éducation et l’alimentation à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes). Libourne, Dunkerque, Paris par exemple ont déjà décidé de prendre en charge la totalité de cette augmentation tarifaire. La ville de Lille a annoncé faire en sorte que le prix du repas à la cantine n'augmente pas pour les plus modestes - un effort évalué à environ 115.000 euros sur un budget restauration scolaire de 8,9 millions d'euros. "La majorité des grandes villes n'ont pas augmenté les prix car elles ont plus de leviers. À Mouans-Sartoux, nous avons coupé la poire en deux : 10 centimes pour la ville, 10 centimes pour les familles", témoigne l'élu.
Le paradoxe de la circulaire du 23 mars
Mais la situation est "extrêmement préoccupante", d'autant plus que "les villes sont dans une situation financière très tendue". "Elles n'ont plus que la taxe foncière comme variable d'ajustement car la taxe d'habitation a disparu, la dotation globale de fonctionnement a chuté", déplore le représentant de l'AMF avant de conclure : "C'est la raison pour laquelle l'AMF souhaite que l'État intervienne." "Le paradoxe, c'est que le gouvernement a fait une injonction aux communes le 23 mars par circulaire d'accepter les augmentations de l'alimentation du fait de la clause de l'imprévision pour sauver l'industrie agroalimentaire mais en fait ce sont les communes qu'il va falloir sauver bientôt !", ironise Gilles Pérole. "Il faudrait que l'État pense aux collectivités car si elles s'effondrent, cela va être très difficile pour les habitants", alerte-t-il.
Reconstruire la souveraineté alimentaire
Pour autant, des perspectives pour faire face au contexte existent. Gilles Pérole y voit même l'opportunité de "reconstruire la souveraineté alimentaire de la France et des territoires". Il appelle "à changer le système en passant en circuit court et de proximité" car "plus il y a d'intermédiaires plus ils se servent au passage". Il rapporte aussi que les maires ruraux ont dit "sentir beaucoup moins le coût de l'augmentation de l'alimentation que les villes" dans la mesure où ils achètent directement aux producteurs locaux. "Il faut que cette crise nous amène à une résilience du marché de l'alimentation", souhaite le représentant de l'AMF.
Plusieurs pistes sont suggérées. D'abord, modifier le code des marchés publics pour permettre aux collectivités d'acheter localement. L'AMF rappelle qu'elle préconise "l'exception alimentaire" dans le code des marchés publics. Une préconisation qu'elle avait déjà formulée lors des dernières présidentielles et qui est également revendiquée par de nombreuses villes françaises et européennes. "Nous demandons à pouvoir mettre une référence géographique dans le cahier des charges et à ce que l'on autorise et facilite l'achat de gré à gré avec les producteurs locaux", détaille Gilles Pérole. D'après lui, la crise devrait accélérer ce changement, d'autant que la Commission européenne doit réviser les procédures de passation de marchés publics dans l'UE, "donc c'est le bon moment".
Ce contexte peut également être l'occasion de généraliser les tarifs différenciés, entre 2,20 euros et 8 euros en général, en fonction des revenu des familles. La tarification sociale des repas, en vigueur dans environ la moitié des communes, pourrait permettre de protéger les ménages aux plus petits budgets d'un effort financier supplémentaire. "L'État soutient la mise en place de la tarification sociale dans les cantines des petites et moyennes communes", a réagi fin août le ministère des Solidarités, selon qui "plus de 100.000 enfants ont déjà bénéficié de repas à 1 euro lors de l'année scolaire 2021-2022", soit "quatre fois plus que l'année précédente".
Les sources d'économie
Certaines communes ont préféré, à une augmentation des tarifs, la suppression de l'une des cinq composantes habituelles du menu, pour diminuer les coûts. D'autres sources d'économies sont à explorer par des repas à base de protéines végétales, moins chers à produire et moins impactants pour le climat. À Mouans-Sartoux, encore, la commune, qui proposait déjà 40% de repas végétariens, est passée à 50% "en privilégiant toujours les produits bruts, et non les produits végétariens de l'industrie agroalimentaire", souligne l'adjoint au maire qui préfère "des lasagnes aux lentilles corail, des pâtes aux légumes et aux pois chiches plutôt que les traditionnels steaks de soja de l'industrie agroalimentaire". Enfin, il est également envisagé "de se passer des ingrédients devenus hors de prix", comme Harfleur l’a fait pour la viande d’agneau. Ou bientôt comme d'autres qui s’annoncent déjà en rupture, comme les produits laitiers ou la viande bovine. "Les crises peuvent permettre de changer la qualité de l'assiette, l'équilibre alimentaire et le mode de production de l'alimentation", résume Gilles Pérole.
Quant au risque de perte de qualité...
Alors que la loi Egalim, promulguée en 2018, a fixé aux cantines publiques l'objectif de servir au moins 50% de produits dits durables ou de qualité, dont 20% issus de l'agriculture biologique, certains pointent du doigt le risque d'une perte de qualité. "Je suis plus inquiets pour les villes en délégation", reconnaît Gilles Pérole, qui incite les municipalités à reprendre la main sur leur restauration scolaire. Les entreprises privées de restauration collective, qui gèrent 40% des cantines scolaires dans le cadre d'une délégation de service public - 60% étant gérées en direct par les municipalités -, tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs mois. Préparer les repas des écoliers leur coûte de plus en plus cher et elles demandent donc aux collectivités d'accepter de payer plus que ne le prévoyaient leurs contrats. Les contrats en vigueur "ne suffisent plus pour prendre en compte l'augmentation du coût des matières premières, des salaires, mais aussi de l'énergie", explique Esther Kalonji, la déléguée générale du SNRC, le Syndicat national de la restauration collective. Les professionnels ont demandé à leurs clients, les communes ou agglomérations, de payer au moins 7% plus cher en moyenne les prestations fournies. Selon le SNRC, les collectivités ont jusque-là accepté environ 4% d'augmentation en moyenne. Jusqu'où pourront-elles aller ?
(1) Le Syndicat national de la restauration collective alerte sur l’accélération de la hausse des prix alimentaires, communiqué du 2 septembre 2022.