Restauration scolaire : "On s'attend à une période très compliquée pour la rentrée "
François Hauton, secrétaire de l'Association nationale des directeurs de la restauration collective (Agores) tire la sonnette d'alarme concernant une probable seconde flambée des prix des denrées alimentaires qui risque selon lui de "mettre les restaurants scolaires en difficulté dès la rentrée prochaine".
Localtis - Faut-il craindre une deuxième vague de hausse des prix des denrées alimentaires, conséquence de la guerre en Ukraine ?
François Hauton - Tous les fournisseurs nous préparent tellement psychologiquement à une hausse des prix des denrées alimentaires que je pense en effet qu'il va y en avoir une. Certains nous ont déjà appliqué des hausses sévères. Les médias portent aussi ce message : "il y aura des hausses", "la rentrée est à craindre". Et comme l'énergie aussi subit des augmentations très importantes et qu'elle entre dans les process alimentaires, forcément, il y aura des augmentations. Au sein du réseau Agores, nous échangeons beaucoup à ce sujet. Ce qui nous perturbe vraiment, c'est que les hausses ne sont pas du tout les mêmes d'une région à l'autre et dépendent beaucoup des négociations locales. Nous avons constaté des augmentations générales entre 5 et 10%.
De combien ont déjà augmenté les budgets d'achats de denrées alimentaires des cantines ?
Je vais vous donner quelques exemples que nous avons pu contrecarrer. Nous avons vu l'huile de tournesol augmenter de 125%, l'huile de colza de 71%, la plupart des pâtes alimentaires entre 19 et 29%, la lentille a doublé…. Ces augmentations sont peu compréhensibles et manquent de transparence. Les marchés publics sont souvent notifiés sous forme multi-attributaire : nous avons des fournisseurs pour une même famille de produits et les augmentations sur certains produits ne sont pas du tout homogènes. Les pâtes par exemple ont augmenté partout. D'autres produits n'augmentent pas et d'autres encore connaissent des augmentations monstrueuses. Quand nous demandons aux fournisseurs de justifier leurs augmentations de prix, c'est un peu trouble. C'est ce que nous regrettons à l'Agores : le manque de transparence des augmentations de chaque fournisseur. Au sein du réseau, nous pensons qu'il faudrait que nous gardions en mémoire le nom de ceux qui ne jouent pas le jeu et qui profitent de cette situation pour récupérer des marges qu'ils avaient eu tendance à gommer.
Le code de la commande publique ne permet-il pas de se protéger de ces augmentations intempestives ?
Pour rappel, la règle des marchés publics veut que normalement, quand on renégocie dans des circonstances exceptionnelles, le vendeur doit prendre la plus grande partie de l'augmentation à sa charge, généralement 80% et l'acheteur 20 à 40%. En l'occurrence, ce n'est pas forcément le cas : la période est trouble et il y a un climat de suspicion qui s'installe et qui n'est pas du tout sain. Par ailleurs, les cocontractants peuvent prévoir une clause de sauvegarde (1) afin de limiter l'augmentation de prix de 3 à 5%. Sauf que durant la crise sanitaire liée au Covid et depuis le début de la guerre en Ukraine, c'est la théorie jurisprudentielle de l’imprévision (2) qui s'est appliquée. Cette théorie permet de renégocier les prix mais il faudrait que cela se fasse en toute transparence, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui en partie du fait d'une circulaire du cabinet du Premier ministre, émise le 23 mars 2022, destinée à tous les opérateurs de la restauration collective et aux collectivités. En résumé, cette circulaire explique qu'il ne faut refuser aucune augmentation. Il faut "jouer le jeu pour soutenir le secteur de l'industrie agro-alimentaire" et donc, aux collectivités de se débrouiller ! Ce que nous craignons donc à l'Agores c'est que cela se traduise par la dégradation de la prestation : des produits très basiques, venus de n'importe où, pas chers. De plus, ce document précise que les objectifs de la loi Egalim sont maintenus. C'est une politique de l'autruche ! On ne peut pas d'un côté nous demander d'accepter toutes les augmentations et de l'autre de maintenir les objectifs de la loi Egalim si l'État ne donne pas de moyens supplémentaires. Cela risque de coincer à un moment donné.
Le prix des repas pour les parents d'élèves ne risquent-ils pas d'augmenter ?
Il est hors de question d'augmenter les prix ou alors de façon très minime. Peut-être que certaines collectivités vont se permettre d'augmenter de quelques pourcents le tarif mais de toute façon cela ne couvrira pas les augmentations. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas encore augmenter la charge sur les familles. Nous avons constaté, à l'échelle de nombreuses collectivités, une augmentation du nombre de bénéficiaires de la cantine à un 1 euro. Certes l'État la subventionne à hauteur de 3 euros mais à un moment cela va coincer, forcément !
Les territoires ruraux, du fait des surfaces agricoles dont ils disposent, ne s'en sortiraient -ils pas mieux que les villes ?
Sans doute, même si qui dit "produits locaux" ne dit pas forcément "produits de qualité". Mais il est vrai que les produits locaux sont moins sujets à des augmentations massives, même s'ils subissent quand même les augmentations liées aux énergies. La plupart sont presque en auto-suffisance pour l'alimentation du bétail – et nous savons que c'est ce qui a beaucoup augmenté – et donc ils font consommer ce qu'ils produisent sur leurs exploitations. Les augmentations sont moindres.
La lutte contre le gaspillage fait-elle partie des leviers ?
Ce qui tombe bien, c'est qu'on était tous engagés dans la lutte contre le gaspillage. Ces actions vont aider. Le décret sur la réservation des repas à l'avance est, je le rappelle, sur la base du volontariat. Nous l'avons déjà évoqué à l'Agores : le problème c'est que nous cuisinons surtout pour des écoles maternelles et primaires. A ce niveau, cela fait longtemps que les familles sont tenues de réserver à l'avance, généralement de l'ordre d'une semaine. Les collectivités où les inscriptions sont possibles au jour le jour sont de plus en plus rares. Donc au niveau du premier degré, l'impact va être très faible. Quant aux collèges, la plupart sont au forfait. Je me demande si ce décret va avoir un impact. En revanche, il peut avoir un intérêt au niveau des lycées.
Sur quels aliments en particulier risque-t-on de connaitre une inflation ?
Toutes les denrées sur lesquelles il y a un risque de pénurie. Malheureusement, les médias généralistes ont tendance à accentuer le phénomène en annonçant ces risques de pénurie. Nous savons par exemple que nous allons avoir des difficultés à nous procurer du blé dur. Les pâtes risquent de se faire rares. Nous pouvons d'ores et déjà constater des comportements de consommateurs qui achètent des pâtes dans les supermarchés pour les stocker, des quantités qui sont sans rapport avec leur consommation. Cela amplifie le phénomène et cela "pousse au crime" les spéculateurs. Même chose pour l'huile de tournesol…
À cela s'ajoute une pénurie de volailles à cause de la grippe aviaire. 17 millions de volailles dont un peu plus de 3 millions de pondeuses ont été abattues. Nous le ressentons déjà dans les collectivités et il n'y aura pas de retour à la normale d'ici fin septembre début octobre 2022. De ce fait, nous avons déjà diminué de moitié la volaille des menus. Et il ne faut pas croire que l'introduction des protéines végétales avec les menus végétariens nous permet de faire des économies. Aujourd'hui, un mélange de céréales coûte entre 6 et 10 euros le kilo, en produit fini, c’est-à-dire une fois réhydraté. En produit sec, on frise le 15-20 euros le kilo. Sachant qu'une portion de céréales additionnée de légumineuses est d'un grammage bien supérieur à une ration de viande, l'économie n'est pas substantielle. La diversification n'est pas ralentie mais moins génératrice d'économies qu'on ne le pense. Sans compter que le prix de vente de la protéine texturée de soja s'élève à plus de de 10 euros du kilo, plus cher que la protéine de poulet !
Est-ce parce que beaucoup de protéines végétales sont exportées ?
Nous sommes fortement déficitaires en protéines de légumineuses : des groupes de travail sont d'ailleurs lancés sur la Normandie et la Bretagne pour essayer de développer des productions françaises de légumineuses. Nous sommes loin de l'auto-suffisance en légumineuses. De même, nous sommes de gros exportateurs de blé, de céréales. Nous sommes le premier producteur en malt mais une bonne partie est prévue pour l’exportation. Là aussi, ça risque de coincer.
Quand vous voyez que des pays comme l'Inde, l'Ukraine et la Russie qui sont les premiers producteurs de blé sont en guerre pour deux d'entre eux et que l'Inde réduit ses exportations pour se préserver des famines, cela traduit bien que le risque de pénurie de blé prochain. On s'attend à une période très compliquée pour la rentrée.
(1) La clause de sauvegarde permet à l'acheteur public de résilier, sans indemnité, la partie non exécutée des prestations, lorsque le prix révisé dépasse la sauvegarde prévue. Cette clause se traduit, la plupart du temps, par un pourcentage d’augmentation au-delà duquel le pouvoir adjudicateur a la possibilité de résilier le marché, ce qui lui permet de se désengager d’un marché dont l’évolution des prix dépasse, par exemple, ses possibilités budgétaires.
(2) La théorie de l’imprévision impose à la personne publique cocontractante d’aider financièrement le titulaire du marché à exécuter le contrat, lorsqu’un événement imprévisible et étranger à la volonté des parties a provoqué le bouleversement de l’économie du contrat.