Cantines : "Si vous optez pour des menus de substitution, vous risquez de ne pas pouvoir faire marche arrière"

Lors d'un webinaire organisé par l’Association des petites villes de France, l’avocat Philippe Bluteau a détaillé l'application à la restauration scolaire du principe de laïcité dans les services publics, à travers la question du choix du repas et de la question financière.

"Pour une fois, le droit est clair et souple : le Conseil d'État dit vous pouvez faire à la fois l’un et l’autre", assure Philippe Bluteau, avocat chez Oppidum Avocats, intervenant dans le cadre d’un webinaire organisé fin janvier par l'Association des petites villes de France (APVF) intitulé : "Cantines laïques : quelles obligations, quelles marges de manœuvres".  Il s’agissait de savoir si les communes gestionnaires d'une cantine scolaire ont obligation de proposer un menu de substitution. A savoir des repas mis en place pour des enfants qui ne sont pas aptes à manger certains aliments pour des raisons personnelles, religieuses ou gastronomiques.  

Réponse du Conseil d’État du 11 décembre 2020 : non, il n’y a pas d’obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de mettre en place un menu de substitution. Toutefois, "rien ne s’oppose à ce que les communes proposent des repas différenciés si elles le souhaitent", selon ce même arrêt. "Ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas", inscrit le Conseil d'État. 

"Les nécessités de service"

"Attention toutefois à l’effet cliquet", prévient le juriste. "Si vous optez pour des menus de substitution, vous risquez de ne pas pouvoir faire marche arrière." Il cite l’exemple du maire de Chalon-sur-Saône qui avait annoncé vouloir "mettre un terme à la pratique installée dans la collectivité depuis 31 ans, qui consistait à proposer un menu de substitution dès lors qu'un plat contenant du porc était servi dans les cantines". Le conseil municipal avait modifié le règlement intérieur des restaurants scolaires afin de ne prévoir qu’"un seul type de repas sera proposé à l'ensemble des enfants inscrits au restaurant scolaire".

Le Conseil d'État a annulé ces décisions le 11 décembre 2020, arguant qu’un gestionnaire du service ne peut décider d'en modifier les modalités d'organisation et de fonctionnement "que pour des motifs en rapport avec les nécessités de ce service". Or "les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que, en l'absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d'un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophiques", avait justifié le Conseil d'Etat dans cette même décision. Or, rappelle Maître Bluteau, "depuis trente ans, la commune proposait des menus alternatifs sans que cette pratique ait provoqué des difficultés particulières". "Donc, en se fondant exclusivement sur les principes de laïcité et de neutralité du service public pour décider de mettre un terme à une telle pratique, le maire et le conseil municipal ont pris une décision illégale". Et d'en conclure que "les parents ne peuvent pas exiger la mise en place de menus de substitution, mais ils peuvent s’opposer à leur suppression".

De l'avantage du menu végétarien

L’avocat souligne qu’en pratique souvent, la restauration scolaire propose deux menus, le second étant parfois végétarien. Il y voit deux avantages : "cela permet d’assurer à tous les enfants la fourniture d’un repas équilibré et suffisant sur le plan énergétique, sans avoir à demander aux usagers qui optent pour ce menu leurs motivations, qu’elles soient religieuses, philosophiques ou gastronomiques".

Par ailleurs, concernant le panier-repas, c’est la circulaire du 8 septembre 2003 qui définit que ne pèse une obligation d’accueil avec panier-repas sur la commune qu’envers les enfants allergiques ou présentant un trouble de santé dans le cadre d’un protocole d’accueil individualisé (PAI) prévu par l’article L. 351-1 du code de l’éducation. Dans ce cas, le juriste rappelle que la commune doit "soit fournir un plateau-repas, en suivant les recommandations du médecin de l’enfant, soit accepter un panier-repas préparé par les parents, qui assument la responsabilité des composants, couverts, conditionnements et contenants nécessaires au transport".

Facturation pendant le Ramadan ? 

Enfin, concernant la fourniture de repas hallal ou casher, là encore, "la commune n’est soumise à aucune obligation", rappelle Maître Bluteau qui évoque même une possible interdiction, "sauf paiement d’un tarif plus élevé (hors Alsace et Moselle) pour éviter le paiement public du certificateur".

Reste à trancher la question de la facturation pendant le Ramadan. Il existe une "possibilité de facturer si le règlement intérieur le prévoit, en raison des coûts fixes engagés en contrepartie de l’inscription à l’année". Tout comme il existe "une possibilité d’exonérer en cas d’absence, si tous les usagers sont traités à égalité, sans motif religieux". Donc si "les parents anticipent et annoncent à l’avance et par exemple pour au moins un mois la non présence de l'enfant à la cantine, une exonération est envisageable", conclut l'avocat.