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Commande publique - Marchés publics : un audit de la Cour des comptes européenne demande aux Etats membres de s'impliquer davantage

Quels sont aujourd'hui les mesures mise en oeuvre par la Commission européenne et par les Etats membres eux-mêmes pour apporter une réponse aux "problèmes liés aux marchés publics" passés dans le cadre de la politique de cohésion de l'Union européenne ? La Cour des comptes européenne s'est penchée sur la question et en conclut, dans un rapport en date du 16 juillet rendu public le 15 septembre, que ces "problèmes" nécessitent clairement des "efforts supplémentaires". Sachant que les crédits affectés à la politique de cohésion - ou politique régionale - s'élèvent à 351,8 milliards d'euros pour la période 2014-2020, l'enjeu n'est pas mince.
Le rapport fait certes état d'un meilleur contrôle mis en œuvre par les Etats membres, mais aussi d'un manque d'analyse des causes ayant abouti à des erreurs, les autorités nationales les recherchant rarement. La Commission et les Etats ont commencé à mettre en place des mesures pour résoudre ces problèmes mais le chemin est encore long.

Non-respect des règles

Le rapport distingue trois types d'erreurs selon la gravité du non-respect des règles : les erreurs graves, significatives et mineures. La majeure partie des erreurs graves, c'est-à-dire les cas où les marchés n'ont pas été attribués aux soumissionnaires les mieux placés, ont été détectées au cours de la phase préalable à la mise en concurrence. Il s'agit d'attributions directes des marchés, de subdivision de ceux-ci pour éviter de dépasser les seuils ou de la mise en œuvre d'une procédure inappropriée. Au cours de la phase de mise en concurrence, les erreurs graves portent généralement sur les critères de sélection et d'attribution. En revanche, les erreurs les plus nombreuses concernent le non respect des obligations de publication et de transparence. Ces dernières sont considérées comme seulement  "significatives" dans la mesure où en dépit d'un manquement important aux règles, les marchés ont néanmoins été attribués aux soumissionnaires les mieux placés.

Complexité juridique

90% des autorités ayant participé à l'audit ont considéré que le cadre juridique et administratif entourant les marchés publics était d'une complexité excessive. De plus, les projets et procédures de mise en concurrence seraient insuffisamment planifiés. Par ailleurs, les directives européennes ne sont pas toujours transposées correctement par les Etats membres. Ce fut le cas en Espagne, où la transposition incorrecte des directives de 2004 a entrainé de nombreuses erreurs lors de la conclusion d'avenants aux marchés. L'interprétation des textes peut aussi poser problème. On constate parfois des interprétations divergentes ou une complication des règles par les Etats membres qui instaurent des dispositions plus sévères dans leur droit national (la fameuse tendance à la surtransposition...).

Fraude, corruption et gaspillage

Le rapport rappelle que l'OCDE considère les marchés publics comme "l'activité des pouvoirs publics la plus exposée au gaspillage, à la fraude et à la corruption, en raison de leur complexité, du volume de flux financiers qu'ils génèrent et de l'interaction étroite qu'ils supposent entre le secteur public et le secteur privé". Ce domaine doit donc être strictement encadré. Pour ce faire, les Etats membres sont en principe tenus d'informer la Commission, chaque trimestre, des irrégularités supérieures à 10.000 euros et de signaler les suspicions de fraude à l'Office européen de lutte antifraude (OLAF). Cette obligation est cependant très peu suivie. La France n'a signalé aucune irrégularité entre 2007 et 2013...

Mesures de prévention

Un renforcement des capacités administratives - à savoir une augmentation des moyens techniques, du personnel ainsi qu'une meilleure formation des agents - est jugé souhaitable. La Commission a tenté en 2014 de rassembler les initiatives non législatives au sein d'un plan d'action afin de leur donner une certaine cohérence. Des formations sur la lutte contre la corruption avait notamment été mises en œuvre dans le cadre des nouvelles directives marchés publics.

Les nouvelles directives européennes

Les directives Marchés publics et Concessions de 2014 codifient la jurisprudence existante afin d'apporter une plus grande sécurité juridique. Point important, elles apportent une définition de la notion de conflit d'intérêt. En effet, l'article 24 de la directive 2014/24/UE dispose que "la notion de conflit d'intérêts vise au moins toute situation dans laquelle des membres du personnel du pouvoir adjudicateur ou d'un prestataire de services de passation de marché agissant au nom du pouvoir adjudicateur qui participent au déroulement de la procédure ou sont susceptibles d'en influencer l'issue ont, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou un autre intérêt personnel qui pourrait être perçu comme compromettant leur impartialité ou leur indépendance dans le cadre de la procédure de passation de marché".
Des risques d'erreurs sont tout de même à prévoir, notamment concernant le recours à des critères d'attributions touchant à des aspects sociaux et environnementaux, note la Cour des comptes européenne, soulignant que les pouvoirs publics devront être vigilants afin de garantir le respect des principes de transparence et de non-discrimination. En fait, 40% seulement des autorités ayant participé à l'audit estiment que ces directives permettront de limiter le non respect des règles. Ces directives prévoient pourtant de nouvelles obligations à la charge des Etats membres telle que la remise d'un rapport à la Commission en avril 2017 puis tous les trois ans. Il devra alors être fait état des causes des erreurs et des moyens de prévention mis en œuvre. Par ailleurs, la Commission se réserve la possibilité de suspendre le paiement des fonds européens ou d'engager des procédures de manquement en cas de défaillance des Etats. Ces actions sont encouragées par le rapport de la Cour des comptes.

Nouvelles technologies

L'utilisation des nouvelles technologies est encouragée. Pour exemple, l'outil de détection des fraudes "Arachné" permet l'analyse des liens entre acteurs économiques et donc la détection de risques de fraude. En février 2015, 17 Etats européens utilisaient cet outil ou déclaraient souhaiter l'utiliser. La France, quant à elle, en est seulement au stade de la création de son dossier. La dématérialisation est aussi, bien entendu, encouragée.

Recommandations faites à la Commission

La Cour des comptes recommande la création par la Commission d'une base de données permettant l'analyse des irrégularités. Elle propose également la création d'un groupe de haut niveau qui coordonnerait l'amélioration et la simplification des règles relatives aux marchés publics. 

L'Apasp

Référence : Rapport spécial n°10/2015: Les problèmes liés aux marchés publics dans le cadre des dépenses de cohésion de l'UE nécessitent des efforts supplémentaires