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Commande publique - Le risque de corruption en France : les marchés publics, un terrain hautement sensible, juge Bruxelles

La Commission européenne a publié le 3 février le premier "Rapport anticorruption de l'Union européenne", qui dresse l'état des lieux en matière de corruption pour chaque Etat membre. Le constat est sans appel puisque la corruption coûterait près de 120 milliards d'euros par an à l'économie de l'UE. L'une des annexes du rapport se concentre sur le cas de la France et met notamment en exergue un domaine particulièrement sensible aux pratiques frauduleuses : celui des marchés publics.
Selon un sondage Eurobaromètre réalisé en 2013 auprès de différentes entreprises et cité par ce rapport, "50% des personnes interrogées estiment que la corruption est un phénomène répandu dans les marchés publics gérés par les autorités nationales, et 51% pensent que ce fléau frappe les marchés publics administrés par les autorités locales".
Plus précisément, le rapport répertorie plusieurs problèmes liés à la commande publique. Ainsi, 55% des entreprises françaises interrogées mentionnent l'existence de soumissions concertées et 53% d'entre elles évoquent les conflits d'intérêts au stade de l'évaluation des offres. Les critères de sélection ou d'évaluation des offres restent imprécis pour 50% des entreprises sondées et 49% estiment que les pouvoirs adjudicateurs ont recours aux procédures négociées de manière abusive. La rédaction de cahiers des charges sur-mesure en faveur d'entreprises déterminées, le recours abusif aux procédures d'urgence pour éviter les procédures de mise en concurrence, la participation des soumissionnaires à la conception du cahier des charges ou encore les modifications des conditions contractuelles après conclusion, figurent également parmi les problèmes mis en évidence par ce sondage.
Ces résultats ne présentent "pas nécessairement de rapport direct avec la corruption", nuance la Commission européenne, mais illustrent toutefois des "facteurs de risque qui accroissent la vulnérabilité", notamment en termes de trafic d'influence et de conflits d'intérêts.
L'institution européenne déplore le nombre peu important de condamnations pour délit de favoritisme. Aucune peine de prison n'est répertoriée entre 2007 et 2010. Seules des amendes allant de 2.000 et 5.000 euros environ ont été infligées aux personnes ayant commis cette infraction pénale.
Par ailleurs, "les mécanismes de contrôle de la passation des marchés publics ne présentent pas encore la rigueur et la cohérence suffisantes sur l'ensemble du territoire et devraient, dès lors, être perfectionnés", estime la Commission pour le cas de la France.
A partir de ce constat, Bruxelles formule plusieurs recommandations d'ordre très général : procéder à une évaluation systématique des risques de corruption dans les marchés publics, garantir la transparence à tous les stades de la procédure de passation et pendant la phase d'exécution des contrats, mettre en place des mécanismes de contrôle interne et externe, sensibiliser les acteurs concernés, renforcer les régimes de sanctions en cas de pratiques frauduleuses... Enfin, le rapport considère que la dématérialisation des procédures de passation devrait davantage prévenir et réduire les risques de corruption.

L'Apasp

Références : " Rapport anticorruption de l'Union européenne ", Commission européenne, 3 février 2013 ; Annexe du rapport relative à la France 
 

Le point de vue de Jean-Paul Philippe, formateur Apasp, consultant et auditeur en matière de fraude dans les marchés publics

Tout d'abord le sondage Eurobaromètre de 2013 semble montrer que la perception de la corruption est à peu près équivalente selon que les marchés sont nationaux ou attribués par des collectivités locales.
La typologie des fraudes relevées par les sondés est classique mais ne met pas suffisamment en exergue les collusions entre entreprises ou les ententes illicites ce qui peut paraître logique dans la mesure où les personnes interrogées sont des entrepreneurs. Le délit de favoritisme implique la puissance publique alors que les ententes peuvent très bien s'opérer dans le 'dos' de la collectivité.
Il convient de noter pour la France le faible nombre de poursuites pour des faits de favoritisme, qui plus est, avec des sanctions dérisoires. Or, dans les mécanismes corruptifs, l'alerte opérée par les autorités de contrôle sur des faits pouvant porter atteinte à l'égalité d'accès des candidats à la commande publique est le premier élément du pacte de corruption.
Donc, si une faiblesse quant à la répression du favoritisme est constatée, ipso facto la lutte contre la corruption s'en trouvera affectée. Il est donc fondamental de renforcer les corps de contrôle sur ce point. Mais une sensibilisation et une formation de la chaîne des achats dans la fonction publique s'avèrent primordiales, tant du côté des fonctionnaires que du côté des élus.