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Gens du voyage - Manuel Valls favorable à l'abrogation de la loi de 1969

Le ministre de l'Intérieur a soutenu, mercredi, la proposition de loi du député Dominique Raimbourg visant à sanctionner les maires récalcitrants à créer une aire d'accueil pour les gens du voyage. Un texte qui faciliterait en contrepartie les expulsions en cas d'occupation illégale. Manuel Valls s'en est par ailleurs vivement pris au "guide pratique" distribué par Christian Estrosi.

Sans surprise, le ministre de l’Intérieur a vivement réagi contre le guide pratique distribué par Christian Estrosi à des milliers de maires en début de semaine sur les occupations illégales du domaine public. "Ce guide cache bien mal ses visées politiciennes", a fustigé Manuel Valls, en clôture d’un colloque sur les gens du voyage organisé à l’Assemblée par les députés socialistes, auquel participaient également la ministre du Logement Cécile Duflot et la ministre chargée de la Réussite éducative George Pau-Langevin.
Selon le ministre de l’Intérieur ce guide "ne solutionne rien" et pourrait même "induire les élus locaux en erreur" en entretenant "des amalgames choquants entre les occupations illégales de gens du voyage, celles de populations non sédentaires sans résidence mobile (de nationalité étrangères ou non) ou de squatteurs".
Le guide donne vingt conseils dont dix concernent directement la lutte contre l’occupation illégale de terrain : cartographier les zones susceptibles d’être illégalement occupées, relever l’ensemble des immatriculations, surveiller les zones par le biais de caméras… Ce document "encourage des mesures attentatoires aux libertés publiques", a rétorqué le ministre, citant précisément la mise en place de caméras qui nécessite l’aval de la commission départementale de vidéoprotection.
La réponse du maire de Nice ne s’est pas fait attendre. Ce guide "que j'ai mis à disposition de tous les élus, nombreux à me le réclamer de droite comme de gauche, vise à aider les maires que le gouvernement socialiste abandonne", a riposté Christian Estrosi, dans un communiqué. "Là où le ministre de l'Intérieur estime que ce que j'ai mis en place dans la ville de Nice est source de 'confusions, amalgames et attentatoire aux libertés publiques', je ne peux que regretter une position démagogique et tellement éloignée des réalités concrètes du terrain", a-t-il ajouté…

Consignation

Au-delà de cette polémique, les membres du gouvernement ont apporté leur soutien au député PS de Loire-Atlantique Dominique Raimbourg, initiateur de ce colloque et auteur d’une proposition de loi sur les gens du voyage. Son texte propose un dispositif à double face : d’un côté des sanctions aux maires qui ne seraient pas en règle au regard de la création des places d’accueil et, en contrepartie, des évacuations plus faciles des campements illégaux dans les communes disposant, elles, d’une aire d’accueil. Cette idée de sanctions avait été avancée par la Cour des comptes dans un rapport d’avril 2012 qui pointait les retards pris au regard de la loi Besson de 2000 obligeant les communes de plus de 5.000 habitants à créer une aire d’accueil. "Le taux de réalisation des aires d'accueil est à peine de 52%, il est de 29% pour les aires de grand passage", a souligné le ministre de l’Intérieur, en s’appuyant sur ce rapport : "Nous ne pouvons plus accepter, 13 ans après sa publication, qu’au regard des objectifs fixés dans les schémas départementaux, la loi Besson demeure en grande partie lettres mortes." Dominique Raimbourg envisage de créer un mécanisme de "consignation" qui permettrait au préfet de bloquer une somme des budgets des mairies récalcitrantes. Mais cette idée ne fait pas consensus chez les députés socialistes. "Que les choses soient claires : si nous devons contraindre à la réalisation d’aire d’accueil, nous le ferons, mais si nous devons contraindre au respect de la loi par les gens du voyage qui s’en affranchiraient, nous le ferons aussi", a tenu à rassurer le ministre.
Manuel Valls a promis par ailleurs de faire abroger la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, ayant notamment instauré le livret et le carnet de circulation. Cette loi a été récemment allégée par une décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012, jugeant inconstitutionnel le carnet de circulation (voir ci-contre notre article du 5 octobre 2012). "L’abrogation totale de la loi de 1969, que le Conseil constitutionnel n’exigeait pas, recueille ainsi mon plein accord", a affirmé le ministre. Lorsqu’il était lui-même député de Loire-Atlantique, Jean-Marc Ayrault avait déjà déposé une proposition de loi en ce sens, mais elle avait été rejetée. Mais le rapport du préfet Hubert Derache remis au Premier ministre, le 12 juillet, propose de finir le détricotage de la loi de 1969. Il préconise entre autres de supprimer le quota de 3% de gens du voyage dans une même commune, et de mettre fin au livret de circulation ("livret B") pour ne conserver que le livret spécial de circulation ("livert A"), ce qui permettrait d'aligner les voyageurs avec le régime applicable aux forains...
Manuel Valls a annoncé par ailleurs que le gouvernement ferait des propositions "dans les jours qui viennent" sur la gestion des grands rassemblements.

Gens "à part", logement "à part"

"Je ne conteste ni les problèmes que causent aux collectivités les stationnements illicites ni ceux que cause aux voyageurs le non-respect d'une loi vieille de 13 ans maintenant", a posé Cécile Duflot, en préalable de son discours. La ministre en charge du logement s'est ensuite efforcée de marquer son respect pour ces gens "entièrement à part", notamment parce qu'ils "perpétuent, de génération en génération, un mode de vie traditionnel en résidence mobile".
Et pourtant, ce n'est pas "à part", dans un article spécifique "gens du voyage", qu'elle a abordé le sujet dans son projet de loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové), car il s'agit selon elle de "sortir de l'angle catégoriel" pour "penser le logement". "J'ambitionne de faire changer le regard sur l'habitat caravane et plus globalement sur l'habitat léger, sur toutes les formes d'habitat choisi", résume-t-elle.
Consciente que "parmi les voyageurs, nombreux sont ceux qui aspirent à avoir un 'chez soi' pérenne", la ministre du logement voudrait convaincre que "la dualité ancrage/voyage n'est pas insoluble". Pour sa part, elle a prévu dans le projet de loi Alur de "sécuriser les projets d'implantation d'habitat léger, démontable et réversible en leur conférant une définition et un cadre juridiques et en précisant leurs conditions d'implantation", a-t-elle rappelé (voir notre article ci-contre du 18 juin 2013). Par exemple Alur permettrait le "pastillage", c'est-à-dire l'implantation d'aires d'accueil des gens du voyage (ainsi que l'implantation de "terrains familiaux") en zone N ou en zone A du PLU (Plan local d'urbanisme), dans des secteurs de taille et de capacité limitées.
Par ailleurs, ses services travailleraient à des dispositions, qui pourraient entrer dans le projet de loi Raimbourg, portant sur une meilleure prise en compte des besoins d'ancrage territorial des gens du voyage dans les PLH (Programme local de l'habitat).
Reprenant une proposition du rapport Derache, Cécile Duflot a également annoncé avoir engagé avec la Dihal (Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement) une "étude action" visant à élaborer un programme autour du logement adapté pour répondre au "désir croissant d'ancrage territorial" et pour donner "un coup d'arrêt à l'itinérance forcée que subissent certaines familles et qui compromet de fait toute forme d'insertion". Elle entend lancer une expérimentation sur le sujet "dès 2014".

Scolarisation des enfants du voyage : un droit et une obligation légale

George Pau Langevin, ministre déléguée à la Réussite éducative, a rappelé quant à elle que la scolarisation des enfants du voyage est "un droit fondamental pour l'enfant" et "une obligation pour les autorités publiques nationales et locales" (en soulignant que son statut juridique diffère de celui des enfants Roms). Et d'insister : "l'école est un droit, y compris pour les élèves qui entretiennent une relation discontinue avec l'école". Voilà pour les principes.
En pratique, la ministre a bien conscience "des obstacles de nature administrative", parmi lesquels le "refus d'inscription scolaire de la part de certaines municipalités". Elle a alors rappelé que "dans l'hypothèse où un maire refuserait de satisfaire à l'obligation de scolarisation d'un enfant d'une famille itinérante, il appartient au préfet de se substituer à lui pour prononcer l'inscription de l'enfant".