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Congrès des maires - Manger bio et local : les maires se mettent à table

Alors que le gouvernement poursuit l'objectif de 50% de produits bios et locaux dans la restauration collective d'ici à 2022, de nombreuses collectivités prouvent que c'est possible, comme l'a montré un atelier organisé le 23 novembre, dans le cadre du Congrès des maires. Pour le ministre de l'Agriculture  et de l'Alimentation Stéphane Travert, la structuration de l'offre pour répondre à la demande est un vrai défi. Mais les projets alimentaires territoriaux sont pour lui un "outil adapté" qui "mérite d'être renforcé".

Avec "plus de 400 millions de repas servis chaque année dans les écoles et 440 millions dans les Ehpad", la restauration collective est "un lieu privilégié pour la mise en œuvre de la politique française en matière d'alimentation", a souligné le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Stéphane Travert, le 23 novembre, lors d'un atelier sur "l'alimentation durable de qualité", organisé dans le cadre du 100e Congrès des maires. Cette politique de l'alimentation s'est traduite par le lancement, le 20 juillet 2017, des Etats généraux de l'alimentation qui touchent à leur fin, autour de deux objectifs : la création et la répartition de valeurs (en vue d'un rééquilibrage au profit des agriculteurs) et la promotion d'une "alimentation encore plus saine, sûre, durable et accessible à tous", a rappelé le ministre. Par le biais de l'approvisionnement local et en sensibilisant "les consomm'acteurs de demain", la restauration collective est au croisement de ces deux enjeux. Elle constitue "un effet levier important". D'ailleurs, le président de la République lui a assigné un objectif ambitieux : parvenir à 50% de produits bios ou locaux d'ici à 2022. "L'Etat et les collectivités ont des devoirs d'exemplarité, de partage et de diffusion des bonnes pratiques locales", a insisté le ministre pour qui les projets alimentaires territoriaux (PAT) instaurés en 2014 "sont l'outil adapté pour créer le lien entre les agriculteurs et les collectivités" et "enclencher un changement du modèle alimentaire et agricole". Et selon lui, "ils méritent d'être renforcés". Vingt-deux PAT ont été ainsi soutenus l'an dernier, dans le cadre du programme national pour l'alimentation 2016-2017, a-t-il indiqué : "La plupart sont portés par des collectivités. La dynamique est bien enclenchée." Depuis le printemps dernier, le ministère a créé une marque des projets alimentaires territoriaux, assortie d'un logo. 

Lutte contre le gaspillage

La question de l'alimentation locale  et durable est devenue une priorité pour de nombreux élus. Dans le sillage de quelques "pionniers" comme Jacques Pélissard, maire de Lons-le-Saunier (Jura) et ancien président de l'Association des maires de France (AMF), on assiste à une "prise de conscience des collectivités de pouvoir offrir une alimentation de qualité, aux élèves, aux personnes âgées…", s'est félicitée Agnès Le Brun, maire de Morlaix (Finistère). Cette dernière a conduit pour le compte de l'AMF un recensement "d'initiatives de communes et intercommunalités pour une alimentation durable et de qualité". Lors de son précédent congrès, en pleine crise agricole, l'AMF avait déjà présenté un vade-mecum visant à "Encourager l'approvisionnement local" rédigé avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'ex-Association des régions de France (ARF). On y trouve de précieux conseils pour ne pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis du droit européen qui interdit toute préférence territoriale, comme la distinction entre circuits courts (autorisés) et circuits de proximité (proscrits), la demande dans le cahier des charges d'un bilan carbone, le recours à de petits lots... "Il a semblé utile d'aller plus loin" en lançant un appel à initiatives sur les bonnes pratiques ou les difficultés rencontrées, a expliqué l'élue. Soixante-neuf communes ont répondu de façon "extrêmement précise" à cet appel. Parmi les actions mises en œuvre, la lutte contre le gaspillage alimentaire est la plus souvent citée par les élus : tri des déchets, pesée des denrées, pain présenté en bout de chaîne, "petite faim-grande faim" pour avoir le choix de deux formats de plats... 

"Une baguette bio ne nous coûte pas plus cher"

L'une des questions qui taraude les élus est le surcoût que représente le local ou le bio. "Il est évident que cela coûte cher, mais il n'y a aucune raison que cette politique ne soit pas l'expression d'un investissement pour la collectivité", a commenté Agnès Le Brun. Au-delà des difficultés du Code des marchés publics, il est aussi apparu une "insuffisance en matière d'organisation de l'offre". En clair, l'offre locale ne parvient pas toujours à répondre à la demande. Souvent parce qu'elle n'est pas suffisamment structurée. Un vrai problème, a reconnu Stéphane Travert, prenant l'exemple de l'ancienne ville du Premier ministre, Le Havre, qui peine à trouver 26.000 yaourts localement pour subvenir à ses besoins…"Il y aura une initiative française pour que [sur le droit de la commande publique] on soit demain mieux armé pour répondre à la demande", a-t-il promis. De nombreuses communes sont parvenues à passer ces écueils. Certaines, comme Mordelles (Ille-et-Vilaine), affichent même un objectif à court terme de 100% de produits locaux !
Comment s'y prennent-elles ? "C'est un vrai partenariat avec le monde agricole", a souligné Jacques Pélissard, dont la ville se fournit à 34% en produits bios et locaux (dont 24% de bio). Lons-le-Saunier et Rennes ont entrepris des démarches qui se ressemblent à bien des égards, notamment sur la question de la qualité de l'eau. En 1989, Lons-le-Saunier "affichait un taux de pesticides considérable", a témoigné son maire. La municipalité a décidé d'agir "en amont, à partir d'une pratique culturale raisonnée", notamment en conditionnant les aides à une réduction des intrants chimiques. Puis dans les années 2000, l'attention s'est portée sur la restauration municipale qui assurait alors 400.000 repas par an. Aujourd'hui, le nombre de repas a triplé ! Que s'est-il passé entre temps ? Les cantines proposent des produits bios issus des zones de captage, une minauderie bio a été créée pour fabriquer le pain. En matière d'approvisionnement local, la municipalité commande dans ses marchés des "bêtes sur pied", ce qui oblige à les abattre localement... La ville s'est dotée d'une légumerie bio qui stocke et traite les légumes de producteurs locaux, pour les écoles, l'hôpital et les services administratifs. Jacques Pélissard indique aussi que "les prix se sont lissés" au fil du temps. Ainsi, "une baguette bio ne nous coûte pas plus cher qu'une baguette industrielle", assure-t-il.

"La population adhère à fond"

A Rennes, où entre 10 et 12.000 repas sont délivrés chaque jour, un programme alimentaire durable a été adopté en juin dernier. Il poursuit trois objectifs : 25% de bio dans la restauration collective, 20% de produits issus de l'agriculture durable et une réduction de moitié du gaspillage alimentaire. "Nous avons travaillé avec le syndicat d'eau potable et les agriculteurs autour d'un deal : vous améliorez vos modes de production pour améliorer l'eau et on vous achète vos denrées pour les cantines", a témoigné Nadège Noisette, adjointe au maire de Rennes, déléguée aux approvisionnements.
La commande publique est donc à la fois un moyen de soutenir les producteurs locaux mais aussi d'orienter les modes de production. A Muttersholtz (Bas-Rhin), le maire, Patrick Barbier, intervient via le foncier agricole, sachant que la commune possède encore 300 hectares de terres qu'elle loue. Depuis peu, elle donne la priorité à l'installation de jeunes agriculteurs en bio. Elle propose aussi des exonérations de taxe foncière aux agriculteurs en bio. Un enjeu de santé publique alors que "le captage d'eau est considéré comme fragile". "La plaine rhénane possède la plus grande nappe phréatique d'Europe, mais elle ne se situe par endroits qu'à 50 cm sous le sol", a-t-il insisté. La commune a aussi lancé un atelier de jus de pomme qui produit 70.000 litres chaque automne (chaque habitant peut y amener ses pommes pour les transformer en jus), une "maison de la nature" avec une cuisine pédagogique, un marché des producteurs locaux, des jardins d'insertion… Et d'après Patrick Barbier, les élus auraient tort de s'en priver. "C'est un axe politique très important, mais aussi très consensuel. La population adhère à fond."