Social - Malgré la crise, la pauvreté en conditions de vie aurait nettement reculé depuis 2004
Il y a trois jours, l'Insee publiait les résultats de son étude sur les niveaux de vie en 2012, montrant à la fois une baisse sensible du niveau de vie des Français au cours de cette année (-1%) et un recul du taux de pauvreté. Une apparente contradiction qui s'explique, pour l'essentiel, par des effets mécaniques (voir notre article ci-contre du 9 septembre 2014). Dans une publication récemment mise en ligne sur son site, l'Observatoire des inégalités met à son tour l'accent sur un autre phénomène, plus complexe à expliquer.
Un résultat surprenant
Intitulée "En pleine crise, la pauvreté en conditions de vie diminue selon les statistiques officielles", l'étude compile différentes sources et données (Insee, Eurostat...) pour aboutir à cette constatation étonnante. Le résultat est d'autant plus surprenant qu'il ne s'agit pas d'une évolution à la marge, mais d'un véritable recul. En 2004 - donc avant la crise -, 15% de la population française était concernée, selon l'Insee, par la pauvreté en conditions de vie. En 2012, cette proportion serait de 12%...
A la différence du taux de pauvreté monétaire, cette notion correspond à un ensemble d'indicateurs concrets de privations, portant notamment sur le paiement du loyer, les remboursements d'emprunt, les factures d'eau et d'électricité, le chauffage du logement... Un ménage est dit "pauvre en conditions de vie" lorsqu'il cumule au moins huit difficultés parmi les 27 répertoriées par l'Insee, regroupées en quatre domaines : l'insuffisance de ressources, les restrictions de consommation, les retards de paiement et les difficultés liées au logement.
Du côté d'Eurostat - qui mesure le "taux de privation matérielle sévère" -, le taux passe de 6,1% de la population française en 2004 à 5% en 2013.
Un discours sur la situation des plus démunis à revoir ?
Entre 2004 et 2013, les quatre grandes dimensions de la pauvreté ont connu une baisse du nombre de ménages concernés. Cette baisse est forte pour les difficultés de logement (de 10% à 6,8%), les retards de paiement et les restrictions de consommation. Elle est en revanche nettement plus faible pour l'insuffisance de ressources (-0,3 point), la tendance baissière entre 2004 et 2008 s'étant inversée avec l'arrivée de la crise en 2008. Selon l'Observatoire - qui n'est pas vraiment classé à droite -, "l'accentuation de la crise ne semble pas avoir davantage pénalisé matériellement les plus pauvres. Le discours sur la situation des plus démunis doit donc être nuancé".
Pourquoi ces résultats ?
Ce qui conduit inévitablement à poser une question : "Comment se fait-il que l'enquête sur les conditions de vie aboutisse à des résultats aussi décalés avec le discours ambiant ?". L'Observatoire s'efforce d'apporter certains éléments de réponse, mais sans toujours convaincre. Ainsi - et comme il l'a déjà soutenu à plusieurs reprises (voir notre article ci-contre du 2 septembre 2011) -, il estime que "pour partie, c'est le discours médiatique qui est en décalage avec la réalité : en matière de pauvreté, l'exagération existe aussi [...] pour frapper l'opinion". Autre explication possible : l'efficacité du modèle social français, qui serait certes coûteux, mais plus efficace qu'on le laisse parfois entendre.
Enfin, on ne peut pas exclure des explications méthodologiques ou psychologiques. Ainsi, des expressions utilisées dans les sondages - comme "joindre les deux bouts avec difficulté" - ne signifient pas forcément la même chose pour tout le monde. Mais on voit mal pourquoi ces divergences d'interprétation joueraient davantage après la crise qu'avant. Plus convaincant : il est possible qu'une partie des sondés réduise son niveau d'exigence face aux difficultés au fur et à mesure que la crise s'installe. Enfin, l'Observatoire constate que l'absence de détail par catégories de population - "L'Insee ne diffusant quasiment rien sur le sujet" - ne facilite pas l'interprétation de ces données.
La question reste donc posée : quelle est, dans cette baisse constatée et significative de la pauvreté en conditions de vie, la part entre une véritable amélioration (même modeste) de la situation des personnes les plus pauvres et d'éventuels biais méthodologiques ou psychologiques ?