Lutte contre les violences intra-familiales : de nouveaux textes à l’approche
Recevant officiellement ce 22 mai le rapport parlementaire commandé par la Première ministre sur l’amélioration du traitement judiciaire des violences intra-familiales, le garde des Sceaux et la ministre déléguée à l’égalité ont d’ores et déjà annoncé une nouvelle fournée de textes – une loi et plusieurs décrets – pour mettre en œuvre certaines de ses recommandations sans tarder, comme la création de pôles spécialisés dans les juridictions ou d’une ordonnance de protection immédiate. Parmi les 59 recommandations formulées par les parlementaires, plusieurs concernent plus ou moins directement les collectivités, comme la nomination d’un élu "référent égalité" dans chaque commune.
"Le développement de la politique de lutte contre les violences conjugales n’a […] pas à ce jour un impact significatif sur l’ampleur du phénomène." C’est le constat dressé par la députée Émilie Chandler (Val-d’Oise, Renaissance) et la sénatrice Dominique Vérien (Yonne, UC) dans leur rapport visant à "améliorer le traitement judiciaire des violences intra-familiales" (VIF), qu’elles viennent de remettre ce 22 mai ; il leur avait été commandé par la Première ministre. Les mesures, symboliques ou concrètes, n’ont pourtant pas manqué, que les parlementaires égrènent : lutte contre les violences faites aux femmes déclarée grande cause nationale du précédent quinquennat, Grenelle contre les violences conjugales de 2019 (v. notre article du 25 novembre 2019), "plusieurs lois et décrets…". Las, pointent-elles, "le nombre de victimes de violences conjugales est en augmentation". Même si elles observent que "la hausse du nombre des plaintes s’inscrit également dans une libération de la parole et une plus grande visibilité du phénomène", que le nombre de condamnations dans des affaires de violences conjugales a "doublé en l’espace de trois ans" ou encore le quasi doublement du nombre d’années d’emprisonnement ferme prononcées entre 2017 et 2021. Bref, il faut une fois de plus rouler le rocher (v. notre article du 3 septembre 2020).
De nouveaux textes législatif et réglementaires à l’approche
"Nous avons l’espérance d’être beaucoup plus efficaces", a déclaré le garde des Sceaux en recevant, aux côtés de la ministre déléguée à l’égalité, ce rapport, riche de 59 recommandations. "Plusieurs mesures sont déjà actées et en cours de réalisation", indique par ailleurs le ministère de la Justice. Parmi elles, le déploiement d’un bracelet anti-rapprochement 5G nouvelle génération "dès juin 2023", alors que ceux actuellement utilisés ne font pas l’unanimité. D’autres mesures sont à venir très prochainement, "de nouvelles avancées adoptées par voie de décret" étant annoncées "dès septembre 2023". Et une loi trans-partisane devrait suivre, dans "un calendrier parlementaire le plus court possible, à l’automne 2023". Elle introduirait notamment une "ordonnance de protection provisoire immédiate", qui permettrait au juge des affaires familiales de statuer dans les 24 heures, sans contradictoire. Seraient également créés des pôles spécialisés au sein de toutes les juridictions, qui pourraient notamment "s’appuyer sur un nouvel outil informatique, actuellement en cours de construction, permettant de mieux évaluer les situations à risque ou la dangerosité de certains auteurs" (sans doute proche du fichier espagnol VioGen, fonctionnant sur la base d’algorithmes). Dans leur rapport, les parlementaires précisent également qu’ "une première mouture d’un fichier de prévention des violences familiales devrait être expérimentée au plus tard le 25 novembre 2023". Un fichier qui a décidément pris beaucoup de retard (v. notre article du 6 septembre 2021).
Bons et mauvais points
Dans leur rapport, organisé sur le parcours de la victime – du "moment où elle s’autorise à parler" (et parfois avant, lorsque c’est un tiers qui donne le signal) à l’issue de la procédure et à la prise en charge des victimes et des auteurs –, les parlementaires démontrent toutefois que tout n’est pas pourri au royaume de France. Plusieurs dispositifs ont selon eux fait montre d’efficacité. Ainsi par exemple du téléphone grave danger, de la "plainte hors les murs", qui a "rapidement pris son essor" en zone gendarmerie, ou des intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries, en dépit des incertitudes sur leur renouvellement. Reste que le passif est important. Entre autres, "la question des moyens consacrés, qui pourraient être pluriannuels, notamment aux structures associatives ou des collectivités territoriales", et qui "se pose avec acuité dans les territoires ruraux" (où le rôle des professionnels de santé est par ailleurs jugé "crucial"). Ou, autre exemple, le manque d’accompagnement des victimes ayant déposé plainte "sur ce qui va se passer, mais surtout sur ce qui risque de ne pas avoir lieu" – i.e. "un travail de pédagogie en cas de classement sans suite". Un travail qui pourrait sans nul doute séduire les maires au-delà des violences intra-familiales.
Les collectivités concernées
D’où ces multiples recommandations, dont plusieurs concernent, plus ou moins directement, les collectivités. L’une d’elle – "doter chaque commune d’un élu rural (sic) référent égalité formé à la détection, l’accueil et l’accompagnement des victimes de VIF" consiste d’ailleurs à généraliser l’initiative prise par l’Association des maires ruraux de France. Plusieurs ont trait à la formation : formation aux violences faites aux femmes à l’attention des forces de sécurité intérieure, des enseignants et "des personnes accueillant le public en collectivité ou dans les services publics" ; une formation au signalement de VIF aux agents de collectivités publiques et à tout intervenant social et médico-social ; renforcement de la formation des professionnels de la protection de l’enfance ; obligation de mettre en œuvre une forme initiale et continue relative aux VIF à tous les professionnels de l’éducation nationale.
On relèvera également : la mise en place dans les lieux publics (places de village, etc.) des "boites aux lettres VIF" dédiées au signalement des VIF ; la création (déjà annoncée – v. notre article du 7 mars) dans chaque département d’une structure de prise en charge globale des femmes victimes de tous types de violence, adossée à un centre hospitalier où les plaintes et preuves pourront être recueillies ; le recrutement d’un intervenant social dans chaque commissariat ou gendarmerie, pérennisé "grâce au soutien des départements à hauteur de 50%" ; la possibilité, "en cas de besoin", pour les victimes de VIF d’accéder au logement social même lorsqu’elles sont propriétaires ; ou encore la création d’un observatoire des VIF dans chaque département, piloté par le préfet et le procureur de la République. Le rapport relève qu’il en existe 23 aujourd’hui, dont plusieurs créés par des conseils départementaux, des intercommunalités ou des régions, "conjointement pour certains avec des collectivités territoriales" – entendre des communes, qui en avaient fait la "grande cause" du mandat 2020-2026 (v. notre article du 21 novembre 2019).