Lutte contre les déserts médicaux : quel est l'impact des initiatives territoriales ?
Dans une étude qui sera dévoilée le 28 mai lors d'une rencontre au Hub des Territoires, la Banque des Territoires propose un panorama des initiatives portées dans les territoires, en particulier par des collectivités, pour améliorer l’accès aux soins. Pour agir en prévention, attirer des médecins ou encore déployer des solutions innovantes, des clés de réussite sont mises en avant : une approche intégrée et partenariale, la juste dose de planification, la prise en compte des spécificités territoriales et des ressources existantes, locales ou nationales.
Préoccupation majeure des Français, l’accès aux soins mobilise de plus en plus de collectivités territoriales, soucieuses d’apporter des réponses à leurs habitants. Dans une étude intitulée "Lutter contre les déserts médicaux", la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts) propose un "état des lieux des initiatives territoriales" - 167 initiatives publiques et privées repérées, dont 15 "initiatives-clés" ayant fait l’objet d’une analyse approfondie. "Ce travail d’investigation permet de comprendre combien les territoires sont actifs et les acteurs impliqués sur ce sujet aux enjeux sociétaux et locaux déterminants qui touche tous les types de territoires (périurbains, ruraux, quartiers prioritaires de la ville)", souligne Gisèle Rossat-Mignod, directrice du Réseau de la Banque des Territoires, en ouverture de la publication. L’étude sera présentée le 28 mai prochain, lors d’un événement organisé au Hub des Territoires (pour y assister, voir lien ci-dessous).
Au regard de leurs compétences légales réduites dans le champ de la santé, les collectivités démontrent "une certaine proactivité en matière d’initiatives de lutte contre les déserts médicaux", constate l’étude. "La plupart des initiatives étudiées voient le jour sur la base de partenariats multi-acteurs", indiquent les auteurs, précisant que les actions locales (portées par les agences régionales de santé et les caisses primaires de l’Assurance maladie) relevant d’une politique nationale ont été exclues de l’étude.
Les communes, intercommunalités et départements privilégient trois types d’intervention : le soutien à l’exercice coordonné (maisons de santé pluriprofessionnelles et centres de santé), l’attractivité des territoires d’exercice (accompagnement à l’installation notamment) et la prévention. Sur chacun de ces trois thèmes ainsi que sur les solutions numériques, l’étude met en avant plusieurs initiatives "d’ampleur très variable" et portées dans des territoires différents en France et également, en contre-point, à l’étranger.
Prévention : oui à la coopération, mais attention à l’excès de planification
En matière de prévention, "un changement 'culturel' profond est en cours", affirment les auteurs. Des programmes de prévention intégrés sont portés "principalement dans les villes et intercommunalités de taille critique suffisante pour intégrer des directions / services santé (Nantes, Paris, Strasbourg, Lille...) et coordonner un écosystème d’acteurs dans la durée". Le plan porté par la ville de Lille est détaillé : diagnostic mené avec différents partenaires (dont les médecins de ville, l’ARS, le CHU…), "plan d’action centré sur une approche ‘d’aller vers’, s’appuyant sur le riche tissu associatif local, à l’échelle des quartiers", actions sur la couverture santé pour tous et la mutuelle solidaire, la nutrition et l’activité physique, la santé mentale ou encore la santé environnementale.
"Ce type de plan d’action global est également mobilisé par des intercommunalités de taille plus modeste qui font le constat que leur territoire constitue un échelon propice à l’animation d’une vision globale en santé", peut-on lire. Fédérées au sein du Réseau français des villes-santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 104 villes "dont une majorité de villes moyennes" (Albi, Cherbourg, Bourges…) développent ainsi leur politique de santé. Les élus de plus petites communes font aussi parfois "preuve d’un volontarisme fort", en s’appuyant notamment sur la "fabrique prospective Petites villes et santé environnementale" porté par l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) avec l’Association des petites villes de France (APVF). A Ramonville Saint-Agne (Haute-Garonne) par exemple, une adjointe au maire et un médecin ont mobilisé différents acteurs pour proposer des actions de prévention santé, particulièrement dirigées vers les habitants en situation de précarité.
Pour évaluer l’impact de ces démarches de prévention, la Banque des Territoires signale un guide élaboré par l’ARS Hauts-de-France. Et alerte sur un risque : celui d’une "accumulation de plans, contrats, au niveau local, qui entrainent un coût de coordination important", au détriment des ressources dédiées aux actions elles-mêmes.
Un "engouement" pour les maisons de santé pluriprofessionnelles
Concernant l’exercice coordonné, la Banque des Territoires souligne "l’engouement des acteurs publics", et notamment des collectivités, pour les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). 2.000 MSP ont été ouvertes en dix ans et l’objectif du gouvernement est de doubler ce nombre à horizon 2027. Quant aux centres de santé (CDS) gérés par des collectivités, où les professionnels de santé sont salariés, ils sont "majoritairement implantés dans les territoires où la densité en médecins libéraux est dégradée". Il est rappelé que ces dispositifs ne sont efficaces qu’à condition de s’inscrire dans un projet réfléchi avec les professionnels de santé du territoire, afin d’éviter que les locaux proposés "ne se transforment en coquilles vides".
Est notamment présenté l’exemple de l’Office de soins alternatifs et transitoires de Châteauroux, un CDS "rassemblant trois médecins salariés, des infirmières en pratique avancée (IPA) et des assistants médicaux" et offrant une solution transitoire à des patients sans médecin traitant jugés prioritaires (notamment en affection longue durée). La commune supporte le loyer et les charges du CDS, "implanté au sein de la maison de santé (MSP) de la commune appartenant à un bailleur social", et la région Centre-Val de Loire "finance les salaires des quatre médecins".
L’étude valorise également des initiatives visant à améliorer le maillage territorial par des professionnels tels que les infirmiers, ou encore des dispositifs itinérants.
Télémédecine : des solutions "à faire maturer et adapter selon les contextes"
Au chapitre dédié à la télémédecine, les auteurs de l'étude invitent les territoires à se garder de "toute posture 'technosolutionniste'", les solutions proposées par des entreprises privées pouvant s’avérer coûteuses et inefficaces si elles ne répondent pas aux besoins spécifiques du territoire. À Favril (Eure-et-Loir), le bilan d’un cabinet médical connecté (la "consultstation", concept de l’entreprise H4D) est ainsi jugé "mitigé" : 122 consultations en 14 mois, pour un coût de fonctionnement annuel "élevé" pour la commune (15.000 euros).
Ces solutions sont "à faire maturer et adapter selon les contextes". Est développé l’exemple du projet e-Meuse santé, accompagné par la Banque des Territoires, déployé sur trois départements (Haute-Marne, Meuse et Meurthe-et-Moselle) et visant à "favoriser l’installation des innovations technologiques en santé dans un modèle organisationnel efficace".
Attractivité territoriale : les dispositifs "purement financiers" jugés inefficaces
Enfin, les efforts des territoires pour attirer et fidéliser les professionnels de santé sont détaillés dans un chapitre relativement critique. Les résultats des démarches entreprises sont "inégaux" et dépendent "de la capacité à créer des synergies avec d’autres leviers existants". "Les dispositifs d’attractivité purement financiers mis en place par les collectivités" depuis quinze ans "n’ont pas fait la preuve de leur efficacité", selon l'étude. Cette dernière reprend plusieurs points de vigilance de la Cour des comptes formulées dans un rapport de 2023 à l’adresse des collectivités : l’enjeu d’articulation avec l’action des ARS et de l’Assurance maladie, la nécessaire clarification de l’information fournie aux professionnels, le risque de "saupoudrage des moyens", etc.
Une note d’espoir : "Certains dispositifs intégrés parviennent à surmonter ces écueils et témoignent d’une capacité d’attraction importante". C’est le cas de "Présence médicale 64" porté par le département des Pyrénées-Atlantiques, proposant un service d’accueil et d’accompagnement des internes et des médecins généralistes dans leurs projets professionnels et personnels, sans aide financière. Ce guichet unique fera partie des retours d'expériences qui seront présentés le 28 mai. Le département de l’Aveyron porte un dispositif similaire, misant sur les atouts du territoire et la qualité du contact humain, qui aurait porté ses fruits avec, depuis 2013, 80 installations de médecins généralistes libéraux pour 67 départs.