Luc Carvounas : "L'Unccas est avant tout une association de maires"
Le 92e congrès de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (Unccas) se tient ces 28 et 20 mars à Bourges. Pour son président, Luc Carvounas, maire d'Alfortville (94), l'Unccas doit se positionner comme une association d'élus, le CCAS étant "le bras armé" des politiques sociales locales, et assumer la dimension "politique" des réponses à apporter aux multiples "bombes à retardement" constatées sur le terrain. Il souhaite d'ailleurs constituer avec les autres associations d'élus un "G9 des territoires du social".
Localtis – Alors que va s'ouvrir le 92e congrès des CCAS et CIAS sous l'intitulé "Les CCAS, plus que jamais au cœur du pacte social", comment présenteriez-vous aujourd’hui l'Unccas que vous présidez depuis fin 2020 ?
Luc Carvounas - L'Unccas est la deuxième plus vieille association de maires après l'AMF. L'AMF a été créée en 1904, nous en 1926. Ce que je me plais souvent à rappeler, c'est que nous sommes avant toute chose une association d’élus, de maires, pas une association de techniciens des CCAS. On a un peu de mal à faire entendre cette idée auprès des différents ministères. Notre nouveau logo vise d'ailleurs à illustrer cette identité.
On entend souvent dans les discours de l'Etat : "Nous avons comme partenaires les communes, les CCAS, les départements…". Or les CCAS, certes, ont un statut d'établissement public, mais fonctionnent avec les dotations annuelles de leur collectivité de rattachement. Le président du CCAS, c'est le maire. Les CCAS sont un bras armé de nos politiques publiques locales. Cela explique d’ailleurs une chose que je constate depuis mon arrivée à la présidence de l'Unccas : il n'y a pas un CCAS qui ressemble à un autre. Entre autres parce que le cahier des charges de chaque CCAS a une dimension politique.
Il y a toutefois des missions communes à l’ensemble des CCAS…
Parmi les missions que l'on retrouve dans tous les CCAS, vous avez par exemple la domiciliation. Nous avons d'ailleurs participé à la Nuit de la solidarité, au niveau de la Métropole du Grand Paris, mais aussi de grandes villes comme Nancy, Bordeaux, Toulouse, Marseille… Pour le Grand Paris, nous avons travaillé avec l'Apur, l’Atelier parisien d’urbanisme, qui a produit des statistiques sur les personnes sans solution d'hébergement. Je vais utiliser cette même méthode de reporting de l'Apur pour des villes de province. On aura ainsi une vision globale à l’échelle du territoire national. Aujourd'hui, une quarantaine de communes font la Nuit de la solidarité. Et nous allons organiser pour la première fois la Nuit de la solidarité de l'été.
Nos CCAS, donc, se chargent de la domiciliation, des aides facultatives – aide alimentaire, aides financières à l’énergie, etc. Et puis parfois, cela va plus loin. Je pense par exemple à Hirson dans l'Aisne, une commune de 9.000 habitants dont le maire, Jean-Jacques Thomas, a fait du CCAS le point d'entrée unique de quasiment toutes les politiques publiques de la commune : petite enfance, jeunesse, insertion… C'est un choix politique. Et puis vous avez des CCAS un peu singuliers, tels que celui de Saint-Denis, qui a mis en place son propre logiciel de domiciliation. A Saint-Denis, on a environ 4.300 personnes domiciliées – soit près de 35% des domiciliés de l'Ile-de-France –, ce qui pose d'ailleurs des problèmes d'ingénierie, de moyens… Il faut aussi savoir que de plus en plus de maires prennent la compétence logement d'urgence, même s'il s'agit d'une compétence régalienne de l'Etat. Ces maires ouvrent leurs propres logements d'urgence. Moi-même à Alfortville, j'ai décidé d'en créer, avec des appartements notamment récupérés auprès du bailleur social.
Tout cela illustre le fait que lorsqu'on parle du couple préfet-maire, notamment lors de crises… Qui met en place le Plan canicule ? Qui s'est chargé de l'accueil des Ukrainiens ? Ce sont souvent les CCAS qui étaient la porte d'entrée. J'essaie de rendre cela visible : dans ce couple préfet-maire souvent mis en avant, l’un des principaux piliers, ce sont les CCAS.
Le rôle du CCAS est-il selon vous suffisamment connu, y a-t-il une bonne lisibilité de ses actions ?
La lisibilité globale, je ne crois pas. Nous allons envoyer un questionnaire là-dessus à nos adhérents. Personnellement, je trouve que l'acronyme CCAS est dur, est difficile à comprendre… Tout comme dans le passé, on ne parlait pas de centres municipaux de santé mais de dispensaires, le CCAS, c'était auparavant le Bureau d'aide sociale… Il faudrait aujourd’hui donner un autre nom à ces couteaux suisses des politiques publiques locales. Dans ma ville, j'ai essayé de trouver une solution en baptisant le CCAS "Maison des solidarités Gisèle Halimi", avec une charte graphique autour d'un logo bien identifié. Et je communique désormais sur cette base-là en direction de toute la population. C'est important car désormais, les CCAS accueillent des publics qu'on ne touchait pas auparavant. Vous avez des retraités, de jeunes salariés, qui entrent dans les CCAS. Mais a contrario, vous avez des jeunes qui iront plus facilement dans une épicerie sociale ou au Resto du cœur qu'au CCAS parce qu'ils se disent "non le CCAS c'est pour les seniors, pour les personnes handicapées, pour les indigents, ça n’est pas pour moi". Il faut aussi pouvoir s'adresser à eux.
Sur le social se pose inévitablement la question de la relation ou de la répartition des rôles entre CCAS et conseil départemental. Quelle est votre vision là-dessus ?
Je défends la chose suivante, sachant que nous avons nos ABS, les Analyses des besoins sociaux, qui sont vraiment un instrument de mesure au quartier près, à la rue près, de ce qui se passe dans votre commune : d'accord pour que le département soit, notamment, le guichet de l'accès aux droits, mais le côté opérationnel, le développement social, il faut que ça revienne au bloc communal. Un exemple, de nouveau dans ma commune. Nous avons localement de nombreuses associations telles qu’Emmaüs, les Petits frères des pauvres, le Secours catholique, les Restos du cœur… Lorsqu'il a fallu faire de l'aide alimentaire lors du premier confinement – entre autres pour les familles les plus modestes dont les enfants bénéficiaient habituellement de la restauration scolaire avec des repas à prix très modiques –, c'est le CCAS qui a coordonné tout ça, afin notamment d'éviter les abus de quelques-uns au détriment du plus grand nombre. Aujourd'hui d'ailleurs, on ne veut plus seulement parler d'aide alimentaire. Face à la précarité renforcée par l'inflation, cela ne suffit plus. Il faut un grand plan national d'alimentation pour tous, bio, basé sur les circuits courts.
Les choses ne se posent-elles pas différemment selon que l’on est en milieu urbain ou en milieu rural, où le département garderait des prérogatives plus importantes en termes de solidarités sociales ?
Oui. Là-dessus effectivement, je mets un petit codicille. Je suis le maire d'une ville dense, en Ile-de-France. Dans un département rural – je pense à l'exemple de la Corrèze que je connais bien –, là le département joue un rôle important de régulateur des collectivités de proximité. Quand les principales villes sont Brive, puis Tulle et ses quelque 15.000 habitants, on n'aura pas la même vision. Mais la différenciation que souhaite le président de la République, cela peut précisément impliquer des organisations diverses selon la nature du territoire.
Y compris, donc, s'agissant de la répartition des rôles en matière de social ?
Tout à fait. Et pour réfléchir à tout cela et décloisonner les choses, j'ai commencé à solliciter les autres associations de maires. J'ai vu Sébastien Martin, le président d'Intercommunalités de France, à qui j'ai proposé de travailler ensemble. David Lisnard, le président de l'Association des maires de France – où je suis membre du comité directeur et coprésident de la commission des affaires sociales – est d'accord pour travailler avec l'Unccas. J'ai également contacté l'AMRF, l'APVF, Villes de France, France urbaine… Je pense aussi à Départements de France et Régions de France. J'ai nommé cela le "G9 des territoires du social". Ce que j'aimerais, c'est que cette alliance permette de refonder l'action sociale, toutes les politiques publiques portées par l'Unccas. On parle de pas moins de 126.000 agents territoriaux et de 7 milliards d'euros chaque année, ça n'est pas rien ! Et pourtant, Emmanuel Macron nous a juste oubliés dans le cadre du CNR, le Conseil national de la refondation. Il y a convié la Fondation Abbé Pierre, ce qui est tout à fait honorable, et d'autres associations caritatives. Sauf que le bras armé des politiques sociales dans les territoires, ce sont les CCAS. Certes, on participe aux CNR thématiques, sur le logement, sur le bien vieillir. On y apporte notre contribution. Tout comme nous le faisons dans le cadre du Pacte des solidarités.
Sur ce Pacte des solidarités, qui doit être bientôt présenté, vous estimez avoir été suffisamment associés ?
On ne leur a pas vraiment laissé le choix. Nous avons publié dans la presse une lettre ouverte, signée de plusieurs maires… et le cabinet du ministère des Solidarités nous a appelés dans la semaine qui a suivi. Le ministre Jean-Christophe Combe est ensuite venu fin janvier aux vœux de l'Unccas, avec une réunion de travail juste avant. Notre contribution est très axée sur la question de l'accès aux droits. Les 25 collaborateurs de l'Unccas sont trop souvent utilisés comme un backoffice des ministères, sachant que ce sont des personnes très capées et pointues. Remettons la mairie au centre du jeu. On est d'abord des élus. Quand nous sortons un livre blanc sur l'autonomie et le bien vieillir dans le cadre du Congrès des maires de 2021, nous faisons de la politique. Quand je revendique auprès du gouvernement, avec ma double casquette AMF et Unccas, que les 26.000 agents publics qui avaient été oubliés dans le Ségur de la santé y soient intégrés, et que l'on obtient gain de cause, on fait de la politique. C'est ainsi que je vois le rôle de l'Unccas aujourd'hui.
Ce pacte des solidarités, vous en attendez quoi ? Quoi de plus que le plan pauvreté ?
Il me serait difficile de commenter quelque chose dont je ne connais pas encore les contours… Le plan pauvreté a eu certains effets positifs. J'ai connu Jean-Christophe Combe à l'époque où il était directeur général de la Croix Rouge. J'attends de voir. Il a certainement de bonnes idées grâce à son expérience de terrain. Reste la question de l'entregent politique pour faire accepter les choses par Bercy.
Vous avez récemment déclaré dans une interview à l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif) que la formule des "chèques" – chèque alimentaire, chèque énergie – n'était selon vous pas une réponse appropriée…
L’impression, c’est un peu : "dès qu'il y a un problème, chèque". Lorsque je parle d'un plan national d'alimentation pour tous, il ne s'agit pas de "chèque". Lorsqu'on parle de revenus, il ne s'agit pas de primes, il s'agit d'augmentation des salaires. De même, sur le bien vieillir, il y a un vrai problème et les réponses ne sont pour l'heure pas à la hauteur. En 2040, plus de la moitié de la population aura plus de 60 ans. Qu'est-ce qu'on prépare là-dessus ? Sur le logement, s'il n'y avait pas eu les associations d'élus pour s'étonner, lors du premier CNR, qu'il n’ait pas été prévu d’aborder cette question, il n'y aurait pas eu de CNR logement. Sur la question de la dépendance – aujourd'hui il y a 2 millions de personnes dépendantes, en 2030 il y en aura 4 millions. Se pose en parallèle la question des aidants, qui sont entre 8 et 11 millions : que fait-on pour eux ? Quel statut ? Ce sont autant de sujets qui sont des bombes à retardement.
Et puis je n'oublie pas la problématique des outre-mer. Le premier Baromètre du social que nous avons mis en place avec l'Unccas en vue de ce congrès montre d'ailleurs que trois Français sur quatre – ce qui est assez sidérant – ne se sentent pas concernés par cette problématique. Cela reflète le fait que les outre-mer sont toujours considérés comme un cas d'espèce. J'étais en Guadeloupe au mois de janvier. Quand les élus disent qu'il faut 1 milliard pour reconstruire et que le ministre Jean-François Carenco n'a toujours pas répondu, cela pose problème. Les élus nous ont dit : notre priorité aujourd'hui, c'est l'illettrisme. Or en Guadeloupe, tous les élèves perdent 20% de leur temps scolaire : ils ne peuvent pas aller à l'école parce qu'il n'y a pas d'eau, parce qu'il y a des sargasses, parce qu'il y a des cyclones… qu'est-ce qu'on fait pour ces enfants ?
Quels que soient les sujets, on parle du quotidien de nos concitoyens.
Que peut-on dire aujourd’hui des CIAS, et donc de l’essor d’une action sociale intercommunale ?
Dès 2005, l'Unccas a accompagné les maires qui souhaitaient se mettre en CIAS. Ceci par le biais d'une convention avec la Caisse des Dépôts, que nous avons renouvelée. J'ai d'ailleurs récemment rencontré Eric Lombard, le directeur général de la Caisse des Dépôts – afin notamment de mettre en place cette nouvelle convention, notamment sur la rénovation énergétique de nos résidences autonomie. Car n'oublions pas qu'une bonne partie des Ehpad et résidences autonomie sont gérés directement par des CCAS.
S'agissant des CIAS, certes, alors que nous réunissons aujourd'hui plus de 4.500 adhérents CCAS, on ne compte que 175 CIAS. Ça n'est pas encore le grand mouvement, pas encore la tendance générale. Mais quand je rencontre certains maires, je pense par exemple au maire de Clermont-Ferrand qui est aussi président de la métropole, j'entends que c'est une question qui importe, que pour lui, la mutualisation des moyens se pose à cette échelle-là. A titre personnel, je suis un partisan de l'intercommunalité, donc je suis plutôt pour cette mutualisation, avec des plans territoriaux. Tout en gardant l'opérationnel au niveau communal. C'est un équilibre à trouver.
La dimension "politique" que vous mettez en avant peut-elle également se jouer sur le travail législatif ?
Aujourd'hui, l'Unccas joue pleinement son rôle et compte bien continuer à le faire. J'ai voulu un bureau transpartisan, avec quinze élus locaux qui puissent nous entraîner, qui soient quinze émetteurs politiques. Et nous faisons en effet aussi un travail de lobbying auprès du Parlement, avons d'ailleurs à ce titre créé un poste de conseiller parlementaire. Dans le cadre de la réforme des retraites par exemple, nous avions préparé des amendements sur la pénibilité et sur les 1.200 euros, amendements qui avaient été repris par des députés de divers groupes politiques. De même, nous avions mis en place un groupe de travail en vue du projet de loi immigration, parce que nous vivons au quotidien, de manière très concrète, les problématiques liées à la domiciliation des personnes sans-papiers, à l'accompagnement à la naturalisation. Sur cette dernière question, je songe à l'exemple d'un Afghan qui est arrivé en 1999, qui a fondé sa famille, qui a créé son entreprise avec plusieurs salariés mais à qui, pour devenir français, on demande des papiers que l'on ne peut en Afghanistan obtenir que par corruption… Nous CCAS, qui avons tous sous les yeux de tels cas de figure, qui avons une visibilité territoriale, souhaitons de manière transpartisane porter des amendements pour essayer, encore une fois, d'être utiles