Culture - Louvre et Comédie-Française : la décentralisation culturelle fait grincer des dents

Deux chantiers emblématiques de la décentralisation culturelle connaissent aujourd'hui quelques difficultés. Le plus inattendu est celui de l'implantation d'une annexe de la Comédie-Française à Bobigny (Seine-Saint-Denis), au sein de la MC 93 (Maison Culturelle de la Seine-Saint-Denis). La maison de Molière ajouterait ainsi un quatrième plateau aux trois qu'elle utilise déjà (salle Richelieu, Théâtre du Vieux-Colombier et Studio-théâtre). L'annonce de ce projet, qui ne semble pas avoir fait l'objet d'une concertation préalable très poussée, a suscité des réactions contrastées. Du côté de la MC 93 - qui ne semblait pas au courant de l'opération -, il a aussitôt suscité une mobilisation d'artistes et de directeurs de théâtres français et européens pour préserver une structure qui a connu ses heures de gloire (la création du "Einstein on the Beach" de Bob Wilson et Phil Glass, par exemple). Une manifestation de soutien a ainsi été organisée le 2 octobre. Tout en indiquant que "l"idée de travailler avec la Comédie-Française est une bonne idée si on ne remplace pas l'histoire et la fonction de ce théâtre [la MC 93]", son directeur s'est étonné de cette conception de la décentralisation culturelle : "On me dit que c'est un projet formidable car les habitants de Bobigny pourront voir les grands spectacles de la Comédie-Française, mais où pourra-t-on voir les grands spectacles de Bobigny ?"
A l'occasion d'une conférence de presse à Bobigny, le 6 octobre, la ministre de la Culture a néanmoins confirmé l'opération, tout en y apportant quelques aménagements et en évoquant un "projet en gestation". Soucieuse de contrer "une vague d'informations parfois fantaisistes, voire de désinformation", Christine Albanel a indiqué que ce projet "n'est pas une offre publique d'achat, c'est une offre publique d'ambition pour un lieu, une ville, un territoire qui le méritent". Elle a rappelé que "depuis quelques années, le public [de la MC 93] répond moins présent, le nombre de spectacles et de représentations diminue sensiblement, et l'image même de la MC 93 en France comme à l'étranger pâlit". Elle a néanmoins invité l'administratrice et la troupe de la Comédie-Française à mener ce projet avec la MC 93 et avec son directeur, "si lui-même le désire". Dans ce dossier, Christine Albanel bénéficie du soutien de la maire de Bobigny (PCF) et de Claude Bartolone, nouveau président du conseil général de Seine-Saint-Denis (PS).

 

Où est l'effet Bilbao ?

Engagé en 2004 et plus avancé, le projet de Louvre-Lens connaît également quelques interrogations. Celles-ci sont apparues à l'occasion d'une séance publique entièrement consacrée au projet et organisée le 24 septembre par le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, maître d'ouvrage de cet équipement. Destinée à valoriser cette initiative, cette séance - en présence d'Henri Loyrette, administrateur du musée du Louvre - n'en a pas moins fait apparaître quelques doutes. Les premiers sont d'ordre contingent et concernent le calendrier du projet. L'échec de plusieurs appels d'offres (dont celui du gros oeuvre) conduit en effet à reporter à 2011 la date probable d'ouverture du musée. Le coût final pourrait s'en ressentir et se situer plutôt autour de 150 millions d'euros, au lieu des 127 millions initialement prévus. Selon, Daniel Percheron, président du conseil régional, ce surcoût devrait être couvert par l'arrivée de mécènes. Autre question en suspens : la gouvernance de cette structure. Compte tenu de la multiplicité des collectivités concernées, le choix n'est en effet toujours pas tranché entre plusieurs solutions. Mais la principale interrogation concerne l'impact du projet sur le territoire. Les élus locaux qui espèrent un "effet Bilbao" (par référence à l'impact exceptionnel de la création du musée Guggenheim, qui aurait permis la création de 45.000 emplois et changé radicalement l'image d'une ville industrielle sinistrée) commencent à éprouver quelques doutes. Des doutes repris au plus haut niveau, puisque Daniel Percheron s'est lui-même publiquement interrogé : "La greffe peut-elle échouer ?"
Implanté au coeur d'anciennes cités minières - qui devront être réhabilitées - le Louvre-Lens ne bénéficie pas du même environnement que la ville espagnole et l'architecture de l'agence japonaise Sanaa, très dépouillée, est nettement moins spectaculaire que la réalisation de l'Américain Franck Gehry. La communication sur le projet connaît également des ratés, qui rendent difficile l'appropriation par la population. Sans oublier les entreprises locales, vent debout contre l'instauration d'un versement transport pour financer la ligne de tramway qui desservira le musée. Appelant tous les élus concernés à s'unir, le vice-président du conseil régional a résumé la situation en affirmant : "Le Louvre, on le fera. Mais pour avoir l'effet Bilbao, il faut qu'on se bouge !"

 

Jean-Noël Escudié / PCA