L'Opecst pointe l'échec de la stratégie française en matière d'intelligence artificielle
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a remis le 4 décembre 2024 son rapport sur l'IA, baptisé "ChatGPT, et après ?". Constatant l'échec de la stratégie IA française, les parlementaires appellent la France à tout faire pour regagner une autonomie stratégique sur toute la chaine de valeur de l'IA.
Une vue "macro" de l'IA. C'est l'ambition du rapport "ChatGPT, et après ? Bilan et perspectives-de l'intelligence artificielle signé d'Alexandre Sabatou (député), Patrick Chaize et Corinne Narassiguin (sénateurs). Un rapport qui associe pédagogie, en revenant sur l'histoire de l'IA, des IA symboliques utilisées depuis plusieurs dizaines d'années aux IA "connexionistes" à l'origine du fameux ChatGPT, et recommandations opérationnelles. Ce pavé de 338 pages balaye surtout l'ensemble des enjeux (et craintes) que soulève l'irruption de l'IA.
Risque de devenir une colonie numérique
Première source d'inquiétude, le manque d'autonomie stratégique de la France et de l'Europe dans ce domaine. Le rapport souligne la domination américaine à travers les Maaam (Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon, Meta) et Nvidia, ainsi que l'ambition chinoise de devenir leader d'ici 2030. Face à cette course à l'IA, "le défi pour l'Europe, et notamment la France, est celui de la souveraineté numérique, afin d'éviter de devenir une pure et simple 'colonie numérique'". Si l'IA Act constitue un premier pas, la régulation européenne est jugée "insuffisante face à la taille et à l'avance des puissances américaine et chinoise." Dans le maquis des initiatives internationales pour réguler l'IA (OCDE, Unesco, G7…), le rapport recommande de s'appuyer sur l'ONU pour garantir une approche multilatérale et globale de l'IA. Et plus généralement, la régulation par les risques privilégiée en Europe est critiquée pour son manque de "transversalité".
Échec de la stratégie IA française
Mais l'urgence est aussi de "développer une filière française ou européenne autonome sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle" car selon le rapport "mieux vaut une bonne IA chez soi qu'une très bonne IA chez les autres". La priorité du chantier doit être de "s'assurer du contrôle souverain des données issues de la culture française et des cultures francophones". Car au-delà de la souveraineté, il s'agit de lutter contre le "risque d'uniformisation culturelle et cognitive" induit par la prééminence d'IA américaines. Si l'on retrouve là certains objectifs de la stratégie nationale sur l'IA initiée en 2018, l'Opecst en tire un bilan très critique. Relayant les constats de 2023 de la Cour des Comptes, l'office déplore des "résultats insuffisants", une politique de "saupoudrage" qui a abouti à un "décrochage international continu". Ils estiment que "le pilotage de la stratégie nationale en IA reste toujours défaillant en 2024 [...] La stratégie demeure en réalité sans pilote, évoluant au gré des annonces de l'exécutif". Parmi les critiques, un appui trop marqué sur la French Tech, approche jugée "élitiste" et une insuffisante prise en compte des enjeux sociétaux, éducation en tête (voir notre article du 27 novembre 2024).
Accompagner les transformations induites
Car si l'Opecst affiche une certitude, c'est bien sur la profondeur des changements induits par l'intelligence artificielle. Sur le travail, sur lequel le rapport pointe les insuffisances des études actuelles, il estime que "plus qu'un remplacement des emplois par l'IA, on va assister à une transformation des tâches et des métiers". La transformation du travail induira des "politiques de requalification ambitieuses" et un dialogue social pour l'accompagner. Ces enjeux nécessitent "des politiques publiques de formation initiale et de formation continue", sans quoi l'IA pourrait "exacerber les inégalités". Le sénateur Chaize a du reste profité de l'occasion pour souligner l'aberration à réduire la voilure sur les conseillers numériques France service (voir notre article du 27 novembre 2024) alors même qu'ils pourraient contribuer à diffuser une culture de l'IA.
Environnement et propriété intellectuelle
Les parlementaires apportent également leur soutien aux démarches d'IA minimalistes et frugales. Ils rappellent en effet que l'IA, et l'IA générative en particulier, requiert "des ressources considérables, en infrastructures de calcul comme de stockage des données" et nécessite "des apports considérables d'énergie tout au long de son cycle de vie". Enfin, les parlementaires soulignent l'urgence de clarifier le cadre juridique de la propriété intellectuelle, les artistes et créateurs étant confrontés à "des questions inédites" avec une ligne de partage de plus en plus floue entre copie et œuvre originale. Ils estiment qu'"en l'absence de règles claires, il reviendra aux juges de trancher les litiges", ce qui "laisse les artistes, les entreprises et les utilisateurs dans un flou juridique anxiogène".
À court terme, l'Opecst entend peser sur le contenu du sommet international de l'IA, prévu pour février 2025. Objet de cinq recommandations sur les 18 du rapport, l'office demande un élargissement des thématiques (éducation, souveraineté) et appelle à mettre l'accent sur la gouvernance internationale de l'IA, au-delà des risques.