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Numérique - Loi Lemaire : ce qui va changer pour les collectivités

Après la promulgation de la loi pour une République numérique le 7 octobre s'ouvre le chantier de l'application. Celui-ci débutera avec la publication d'une "quarantaine" de textes réglementaires dans les six mois. Un calendrier accéléré. La secrétaire d'Etat Axelle Lemaire l'a annoncé le 10 octobre aux côtés de Manuel Valls. Dans ce texte extrêmement touffu faisant office de testament numérique de la mandature Hollande, nombreuses sont les mesures qui, de près ou de loin, pourraient s'avérer essentielles pour les collectivités dans les années à venir. Retour sur ces dispositions, qu'il s'agisse d'ouverture des données, d'aménagement numérique du territoire ou d'accessibilité.

Article initialement publié le 12 octobre 2016

Aménagement numérique du territoire : le pilotage stratégique des projets renforcé


Si certains parlementaires ont déploré que l'aménagement numérique soit inscrit seulement au dernier titre de la loi Lemaire, le texte apporte néanmoins sa série de bonnes nouvelles.
L'article 69 consacre l'apparition d'une stratégie de développement des usages et services numériques, amenée à embrasser également le sujet de la médiation numérique. Elle devra trouver sa place au sein des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, exposés à l'article L.1425-2 du Code général des collectivités territoriales. Cette stratégie viendra s'appuyer sur un "document-cadre" nommé "Orientations nationales pour le développement des usages et services numériques dans les territoires" qui comprendra un guide méthodologique pour l'élaboration des documents locaux. C'est sans doute à l'Agence du numérique que reviendra l'élaboration du document.
En matière de montée en puissance de l'aménagement numérique, il sera possible à un syndicat mixte ouvert (SMO) d'adhérer à un autre syndicat (de taille départementale ou régionale) pour favoriser l'atteinte d'une masse critique. Au cours de l'élaboration du texte, les députés se sont entendus pour limiter cette disposition à échéance du 31 janvier 2021 ; au-delà de cette date, il faudra que les structures cèdent la place à un SMO unique.

La capacité des acteurs locaux sera aussi renforcée par une meilleure information. Les collectivités pourront demander à l'Arcep d'accéder aux comptes-rendus détaillés d'état des réseaux de télécommunications fixes, que les opérateurs seront désormais tenus de communiquer au régulateur quand leurs prestations n'atteindront pas le niveau de qualité attendu (Art. 85 B).

Déploiement du THD : quelques coups de pouce salutaires


Du côté des instruments financiers, une série de petites mesures vont soulager les collectivités impliquées dans l'aménagement numérique. Et faciliter les investissements privés.
Tout d'abord, l'acquisition et la cession de droits permanents sur les réseaux de télécommunications pourront être inscrites à la section d'investissement des collectivités (Art. 76). Pour les investisseurs privés, des carottes sont mises en place : la péréquation tarifaire instituée par le primo-investisseur peut être réservée aux seuls opérateurs qui ne lui feront pas concurrence en déployant leur propre réseau (Art. 77). La mesure de sur-amortissement est également étendue en faveur des acteurs du très haut débit (Art. 75). Outre la carotte, le bâton : les plafonds de sanctions pécuniaires de l'Arcep pour cause de manquement aux obligations de couverture des zones peu denses sont doublés, pour atteindre 80.000 euros par site non couvert. Egalement, les infrastructures une fois mises en place, le maire peut constater une carence d'entretien des servitudes (élagage, abattage, etc.) autour des équipements de télécommunications et est susceptible, sous certaines conditions, de réaliser les opérations nécessaires aux frais de l'exploitant, si celui-ci avait fixé une convention avec le propriétaire des lieux pour en assurer l'entretien.

Pour faciliter la transition au très haut débit, la loi permet aussi quelques simplifications. En habitat collectif, le syndicat des copropriétaires ne pourra plus désormais s'opposer à l'installation d'équipements permettant le raccordement FTTH des occupants de la copropriété, si au moins l'un d'entre eux en fait la demande (Art. 74). Le statut de zone fibrée, qui avait été institué par la loi Macron (Art. 117), est mieux détaillé, mais toujours en attente d'un décret d'application (Art. 71). C'est désormais l'Arcep qui attribuera ce nouveau statut aux zones candidates, pour favoriser le passage du cuivre à un réseau tout-optique. Toujours dans le giron de l'Arcep, l'article 84 facilite l'utilisation de fréquences pour but d'expérimentations, en allégeant ou supprimant les redevances. De quoi accélérer la mise en place de solutions THD mobiles pour les territoires encore écartés de la fibre.

Couverture mobile : plus de transparence, un frémissement financier


Sur le plan du mobile, la principale avancée concerne les données. L'Arcep mettra à disposition du public des informations précises et réutilisables sur la couverture mobile du territoire, avec possibilité de comparer les opérateurs (Art. 80). Cette initiative permettra la mise en place de nouveaux services d'évaluation de la qualité du service, y compris de la part des collectivités, sur le modèle de l'appli Gigalis lancée par les Pays de la Loire (voir notre article du 28/09/2016). Cependant, les critères d'inclusion dans la liste des zones blanches ne sont pas modifiés. L'article 81 donnant droit aux communes se pensant injustement omises par cette liste de faire réclamation, perd donc largement de son sens.
Du côté financier, les sommes consenties par les collectivités pour l'amélioration de la couverture mobile, notamment via le financement de pylônes permettant la mise en place des antennes-relais, sont dès maintenant éligibles au fonds de compensation pour la TVA (Art. 72). Cette mesure était déjà en place au bénéfice des investissements dans l'internet fixe.

Open data par défaut : rendez-vous pris en 2017


La loi pour une République numérique constitue une avancée indéniable sur l'open data et le partage des données publiques de manière générale. Les collectivités sont concernées au premier chef par l'article 6 de la loi, qui institue le principe de l'open data par défaut. Sur la base d'un décret attendu pour 2017, il s'agira de mettre à disposition les documents administratifs, puis toutes les données et bases de données représentant "un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental". L'Etat semble disposé à laisser aux collectivités le soin de répartir cet effort sur deux ans. De plus, cette obligation ne concerne pas les collectivités de moins de 3.500 habitants, et devrait qui plus est se restreindre à nouveau : un futur décret définira un seuil plancher d'effectif d'agents, en-dessous duquel un organisme n'est plus soumis à cette démarche. A noter également, l'exclusion des archives du périmètre de la publication en ligne ; une exemption qui a fait débat, mais qui épargnera des frais importants aux départements notamment. En revanche, les données portant sur la gestion du domaine privé des collectivités entrent dans le périmètre concerné par l'open data (Art. 10), de même que les "données essentielles" des conventions donnant lieu à des subventions de plus de 23.000 euros par la collectivité (Art. 18), ou encore les détails des algorithmes utilisés par les administrations pour des décisions individuelles (Art. 6).

Les licences sont l'un des points essentiels des modalités de publication de toutes ces données : sur ce point, le texte final est assez ferme : un décret viendra fixer la liste des licences autorisées (Art. 11). Pour adopter une licence hors de cette liste, révisée tous les cinq ans seulement, il faudra que les collectivités sollicitent une homologation de l'Etat, dont les conditions seront là aussi fixées par décret. Autant dire que tout est fait pour que les acteurs publics n'optent pas pour des licences trop restrictives, qui dénatureraient l'esprit d'une démarche open data.

Echange et mutualisation des données du secteur public : les collectivités prennent leur part


Enfin, les collectivités ont un rôle à jouer dans la mise en place du service public de la donnée, institué par l'article 14 de la loi. Ce service vise à circonscrire le périmètre des "données de référence" et à les diffuser de manière aisée. Ces données sont celles qui sont les plus utilisées par une multitude d'acteurs, comme par exemple la base adresse nationale (BAN). C'est ici encore un décret qui fixera "les modalités de participation et de coordination des différentes administrations". A chaque donnée sera assignée une administration de référence. En guise de garde-fou, la loi s'engage elle-même sur un délai de six mois maximum avant la parution du décret nécessaire. Une consultation en ligne a déjà été lancée par Etalab pour mieux définir l'étendue des données de référence et les modalités les mieux adaptées pour les publier (API, données statiques régulièrement mises à jour, etc).

Les collectivités sont concernées par d'autres mesures visant à améliorer le partage d'informations au sein du secteur public, avec notamment l'obligation de communication de documents administratifs entre différentes administrations (Art. 1). Si le 1er janvier 2017 signe la fin des redevances pour l'accès aux données de l'Insee, ce qui ne manquera pas de bénéficier aux collectivités, ces dernières sont en revanche écartées de la suppression des redevances pour la transmission des informations publiques ; cette mesure ne bénéficiera qu'aux administrations de l'Etat (Art. 1, alinéa 3). Les amendements tentant d'inclure les collectivités avaient été rejetés.
L'article 22 annonce quant à lui la constitution d'une base de données nationale des vitesses maximales autorisées dans le domaine public routier, à destination notamment des services numériques innovants. Cette mesure oblige les collectivités gestionnaires à transmettre leurs données, mais celles qui comptent moins de 3.500 habitants sont une nouvelle fois écartées. Une mesure qui laisse songeur, au vu de l'étendue du réseau de routes communales dans la France rurale. Les détails des informations à transmettre seront fixés par décret.

Droit à la connexion pour les publics précaires : les départements impliqués


La loi met les départements dans le jeu du droit au maintien à une connexion internet (Art. 108). En cas de défaut de paiement des factures, les foyers en difficulté peuvent formuler une demande auprès du fonds de solidarité pour le logement, largement abondé par les départements, et qui assure déjà le financement du maintien des approvisionnements d'énergie. Il semble que les modalités pratiques de cette mesure, applicable dès la promulgation, seront réglées au cas pas car par conventionnement tripartite entre Etat, collectivité et opérateurs. Le gouvernement annonce que la Seine-Saint-Denis et la Haute-Saône sont déjà en pourparlers pour appliquer le dispositif.

Economie collaborative : le maire en garde-fou


Au rang des mesures visant à la facilitation des usages (titre II), les autorités locales sont également impliquées dans la régulation des plateformes de l'économie dite collaborative. L'article 51 vise clairement les services de type AirBnB, en permettant au conseil municipal d'adopter une délibération obligeant les personnes souhaitant mettre en place des locations de courte durée dans leur logement, à s'enregistrer en ligne au préalable auprès de la commune. De son côté, la plateforme en ligne doit bloquer la mise à disposition d'un logement au-delà de 120 jours par an.

Accessibilité du web : les efforts concernent l'échelon local


La loi pour une République numérique s'attachait également à remettre à l'honneur les problématiques d'accessibilité de l'internet. Si l'Etat et les collectivités sont depuis longtemps tenus d'améliorer l'accès de leurs services en ligne aux publics handicapés, ces mesures restent largement ignorées. Le texte insiste donc de nouveau sur ces impératifs. L'article 106 détaille que l'Etat, les collectivités locales et les délégataires de service public doivent mettre en conformité leurs portails numériques, dans un délai de trois ans maximum. Cependant, ici encore, les modalités pratiques seront fixées par décret.