Loi confortant le respect des principes de la République : "Tout reste à faire", selon le Sénat
Un rapport d’information de la commission des lois du Sénat dresse un état des lieux peu amène de l’application de la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, estimant que la plupart de ses dispositions, soit n’ont pas été suivies d’effets – notamment du fait "d’une appropriation lacunaire des collectivités", par ailleurs insuffisamment contrôlées –, soit sont passées à côté de leur cible. Le Sénat formule 18 recommandations pour y remédier.
Adoptée au terme d’un périple particulièrement mouvementé il y a près de 3 ans, la loi confortant le respect des principes de la République (voir notre article du 30 août 2021) ne fait toujours pas l’unanimité. Un an après son adoption, le gouvernement avait dressé un bilan de son début exécution particulièrement positif (voir notre article du 7 octobre 2022). Celui que vient d’établir la commission des lois du Sénat est d’une tout autre tonalité. Ses corapporteures – Jacqueline Eustache-Brinio (LR, Val d’Oise) et Dominique Vérien (UC, Yonne) – jugent que son bilan est "encore loin d’être concluant". Elles estiment que la plupart de ses dispositions "soit n’ont pas été suivies d’effets dans la pratique, soit sont passées à côté de la cible qui leur avait été assignée". Et même quand les sénatrices concèdent que certaines dispositions de ce texte – qualifié "d’essentiellement technique" – "se sont effectivement avérées utiles", elles n’en soulignent pas moins que ces dernières sont "inégalement appliquées sur le territoire et parfois pour d’autres finalités que celles envisagées".
Des collectivités insuffisamment concernées…
Dans le détail, les deux sénatrices dénoncent notamment "d’importantes disparités dans l’appropriation de cette loi" par les élus locaux. Il en va ainsi avec la nomination des référents laïcité, le rapport relevant par exemple que "seules 3 communes iséroises sur 512 s’y étaient conformées fin 2022". Les corapporteures proposent en conséquence la création, pour chaque fonction publique, d’un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l’Éducation nationale, chargé d’animer le réseau de ces référents laïcité, de suivre les formations organisées et de centraliser la remontée des saisines.
Il en va de même selon elles avec la formation des agents publics au principe de laïcité, "qui progresse à un rythme lent" de manière générale, et qu’on ne peut suivre à l’échelon des collectivités, faute de données agrégées.
Les coauteures pointent encore que le dispositif rendant obligatoire l’avis du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l’exercice du culte est "encore mal identifié par les collectivités territoriales, ce qui a justifié un renforcement de l’information par les préfectures". Elles observent de même que celui prévoyant l’information du préfet de la garantie par une collectivité d’un emprunt contracté pour la construction d’un lieu de culte "n’a jamais été trouvé à s’appliquer dans les préfectures auditionnées", l’Administration n’étant par ailleurs pas en mesure de fournir de données chiffrées sur son application.
Point positif, "l’obligation de respect des principes de neutralité et de laïcité par les élus municipaux officiant en tant qu’agent de l’État ne suscite en revanche pas de difficultés particulières". Un constat qui ne manquera pas d’alimenter le courroux de l’Association des maires de France à l’égard de l’obligation qui pourrait peser à l’avenir sur les élus locaux de prendre publiquement l’engagement de "s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public" et de respecter les valeurs de la République, disposition introduite par la proposition de loi sur le statut de l’élu en cours d’examen (voir notre article du 8 mars).
À l’inverse, et même s’ils sont peu nombreux, les cas signalés d’atteinte à la laïcité par des agents, singulièrement dans les établissements de santé, ne sont pas sans préoccuper les deux élues.
… et insuffisamment contrôlées et protégées
Les sénatrices jugent par ailleurs que le dispositif de contrôle de l’action des collectivités reste "sous-utilisé". Il en va singulièrement ainsi du nouveau "déféré laïcité", lequel demeurerait "malheureusement largement théorique" : "Les rapporteures ne peuvent que regretter que les préfectures se soient insuffisamment emparées de cet outil." Elles appellent en conséquence ces dernières à "intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et à systématiser le recours au déféré laïcité en présence d’un acte problématique".
De même, les coauteures déplorent que le nouveau "délit de séparatisme" introduit pour protéger les agents publics "régulièrement confrontés dans l’exercice de leur fonction à des situations problématiques s’agissant du respect des valeurs de la République" ne soit guère usité. "Force est de constater que ces faits sont aujourd’hui relativement peu poursuivis", relèvent-elles. La direction générale de l'administration et de la fonction publique expliquant cette situation par un nécessaire délai d’appropriation par les administrations d’une part, et par un périmètre trop restrictif d’autre part, les corapporteures préconisent l’édiction rapide d’une instruction de politique pénale visant à "davantage poursuivre ces faits" ainsi qu’un "ajustement législatif" pour y remédier.
Associations et cultes : des dispositifs qui suscitent la défiance
Pour les sénatrices, les dispositifs visant le champ associatif et les cultes, de "portée limitée", n’ont eux aussi guère atteints leurs objectifs. Ils sont en outre "mal reçus par les acteurs", entrainant "une dégradation des relations avec le secteur associatif" et confortant "le sentiment de défiance des cultes".
Le contrat d’engagement républicain (CER), lequel conditionne désormais l’octroi de subventions publiques aux associations ou fondations, est ainsi qualifié de "coquille (presque) vide". "La signature du CER relève davantage d’une formalité administrative que d’un réel engagement", est-il relevé. Pour Jacqueline Eustache-Brinio, "il est bien difficile de discerner un quelconque engagement républicain dans le fait de cocher une case perdue au milieu des dix pages d’un formulaire Cerfa". Les sénatrices estiment en outre que les services de l’État se sont là encore insuffisamment emparés de cet outil : "Seule une poignée de cas de refus ou de retrait de subventions ont été portées à la connaissance des rapporteures", est-il souligné.
Le constat est identique avec la mesure imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut prévu par la loi de 1905, processus jugé "complexe pour des administrations territoriales souvent trop peu préparées". "Les résultats obtenus, au prix d’importantes difficultés administratives, ne sont pas à la hauteur des attentes."