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Respect de la laïcité : une instruction précise le nouveau "déféré-suspension" des actes municipaux

Dans une instruction du 31 décembre 2021, le gouvernement précise les contours de la nouvelle procédure de "déféré-suspension" introduite par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République contre les actes des collectivités qui porteraient gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité du service public. Une notion qui sera éclaircie par la jurisprudence.

Menus confessionnels à la cantine, horaires réservés à la piscine, achats d’aliments certifiés par une autorité religieuse… Tous ces actes qui portent "gravement atteinte au principe de laïcité et de neutralité du service public" peuvent désormais faire l’objet d’un "déféré-suspension". Il s’agit de l’une des mesures phares de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Elle permet au préfet de demander la suspension de l’acte de la collectivité. En clair, si le préfet constate, lors du contrôle de légalité, un manquement, il peut saisir le juge administratif pour demander la suspension de son exécution, le temps pour le juge de vérifier sa légalité. Ce dernier a 48 heures pour se prononcer (comme lors du déféré-suspension concernant les actes qui compromettent l’exercice d’une liberté publique ou individuelle). Mais cinq mois après la promulgation de la loi, la procédure n’a toujours pas été mise en œuvre. Dans une instruction du 31 décembre, le ministre de l’Intérieur, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté et la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales en fournissent le mode d’emploi. L’appréciation de la gravité est "délicate" et relève in fine du juge, la suspension "n’est donc pas automatique", insistent-ils. Les contours de la gravité seront donc définis par la jurisprudence.

A l’origine, l’exécutif avait envisagé une procédure dite de  "carence républicaine"  permettant au préfet de prononcer de son propre chef la suspension de l’acte, ce qui avait provoqué l’indignation des associations d’élus dénonçant une mise sous tutelle. Mais après avis du Conseil d’Etat et du Cnen (Conseil national d'évaluation des normes), c’est donc une procédure plus modérée qui a été retenue, puisque le préfet est obligé d’en passer par le tribunal administratif.

"Faire preuve de vigilance accrue"

C’est au moment du contrôle de légalité que le préfet peut se saisir de cette procédure : les ministres les invitent à "faire preuve de vigilance accrue dans leur contrôle". L’instruction précise la nature des actes soumis à obligation de transmission et qui peuvent revêtir une "sensibilité particulière" : ceux relatifs à l‘organisation des services public locaux (délibérations adoptant le règlement de fonctionnement de ces services) ; les marchés et délégations de service public ; les subventions aux associations (délibération attribuant des subventions ou délibération fixant le règlement d’occupation de locaux) ; les recrutements au sein de la fonction publique territoriale (arrêtés ou contrats de recrutement).

L’instruction se veut plus explicite et cite en annexe les délibérations imposant un menu confessionnel à la cantine, les marchés publics exigeant la fourniture d’aliments certifiés par une autorité religieuse, les décisions visant à modifier les horaires d’un service public en vue de favoriser l’exercice d’un culte par ses agents. Mais les ministres demandent aussi d’être particulièrement vigilants "s’agissant des vœux que l’assemblée délibérante peut émettre sur toute question d’intérêt local échappant à sa compétence et par laquelle elle demande à une autre autorité de prendre une mesure relevant de sa compétence". Il peut s’agir par exemple d’un vœu du conseil municipal en vue d’interdire la mixité dans un service pour raison religieuse.

Bibliothèques municipales

D’autres décisions ne sont pas transmises pour contrôle de légalité. Ce qui n’empêche pas le préfet d'agir. C’est le cas des décisions dont le préfet aurait été informé par un tiers (élu, association, particulier, entreprise…). Le préfet pourra en demander la communication et les déférer devant le juge dans un délai de deux mois. Il peut s’agir par exemple de l’achat massif de livres relevant d’un courant religieux ou d’une idéologie dans une bibliothèque municipale. Les préfets pourront aussi déférer les décisions "implicites" (exemple : silence du maire suite à la demande du préfet de veiller à la diversité des ouvrages politiques ou religieux dans la bibliothèque municipale) ou de décisions "révélées" (n’ayant pas fait l’objet de délibération mais bien effectives : installation d’insignes religieux, mise à disposition de tracts religieux dans un bâtiment public, décision révélée dans une interview du maire de privilégier certaines familles relevant un courant religieux dans une crèche municipale).

Responsabilité pénale

Le délai court laissé au juge "permet d’éviter que les effets produits par l’acte ne se prolongent", en particulier lorsque les atteintes graves observées "affectent des services publics qui accueillent des usagers dans leurs locaux (équipements sportifs, cantines, bibliothèques, etc.)", indiquent les ministres. Toutefois, pour ce qui est des actes en matière d’urbanisme, de marchés ou de délégation de service public, le préfet peut demander la suspension immédiate (article L. 2131-6 du CGCT).

L’instruction précise aussi les conditions de recevabilité : la demande doit nécessairement être associée à une requête au fond, déposée dans les délais légaux. Le préfet doit démontrer que l’acte porte gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, mais contrairement aux requêtes émanant de particuliers, l’urgence n’est pas requise. Dans les cas les plus graves, la suspension et la révocation du maire et de ses adjoints peuvent aussi être prononcées ; la responsabilité pénale de l’élu peut aussi être engagée.

 

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