Logistique urbaine : les collectivités au cœur d'une indispensable régulation
Dans un rapport sur les véhicules utilitaires légers, qu'il a remis ce 18 avril à la ministre chargée des transports, le député Damien Pichereau appelle à une "meilleure régulation" de ces moyens de transport et, au-delà, au "développement d'une logistique urbaine durable". Certaines grandes villes et intercommunalités agissent déjà en ce sens. Les enjeux sont multiples : environnementaux, de santé publique, de qualité de vie et d'attractivité. A la pointe, la ville de Toulouse s'est par exemple dotée d'une charte des livraisons. Usage de véhicules propres, optimisation des tournées… des sociétés de transport s'adaptent pour répondre à ces défis, à l'image de la Poste.
A l'heure du e-commerce, l'usage des véhicules utilitaires légers pour le transport routier de marchandises est en plein boom. Dans un rapport sur ce sujet, qu'il a remis ce 18 avril à la ministre chargée des transports, le député LREM Damien Pichereau s'en alarme, notamment du fait des nuisances environnementales qu'occasionne ce type de véhicules (ci-dessous, télécharger le rapport). Il déplore aussi "l'éloignement progressif des plateformes de distribution de marchandises en ville, sous la pression de la dynamique des prix fonciers". Le mouvement est "en contradiction avec les exigences de livraison plus fréquente vers les cœurs d’agglomération", souligne celui qui préside le groupe d'études de l'Assemblée nationale dédié aux véhicules terrestres. Les collectivités territoriales sont "au coeur du sujet" et "disposent de moyens d'action" pour "créer les conditions du développement d'une logistique urbaine durable", écrit-il aussi.
Charte des livraisons
Certaines grandes villes et intercommunalités agissent déjà depuis plusieurs années pour favoriser des solutions logistiques urbaines innovantes. Par exemple, la ville de Toulouse et sa métropole, qui œuvrent aujourd'hui à l'extension de l'usage d'une charte des livraisons en vigueur dans le centre historique de la ville rose (télécharger la charte). Si elles en sont d'accord, les communes les plus importantes en taille de l'agglomération, telles que Colomiers, Blagnac, Tournefeuille ou Balma, adopteront ce document qui réglemente les déplacements des transporteurs, dans le souci de réduire la congestion automobile et les pollutions tant atmosphérique que sonore. Cette évolution est la conséquence logique du transfert à la métropole des compétences municipales concernant les livraisons et, plus globalement les transports, analyse Jean-Michel Lattes, premier adjoint au maire de Toulouse et vice-président de Toulouse métropole en charge des déplacements.
Il s'agit d'une nouvelle étape de la politique initiée au début des années 2000 visant, en concertation avec les professionnels du transport et les commerçants, à réguler les flux de marchandises indispensables aux activités économiques et humaines, mais générateurs de nuisances. Une politique qui s'est traduite en 2012 par la mise en œuvre de la charte pour les livraisons effectuées dans le centre-ville de Toulouse. Négociée longuement avec les acteurs concernés, elle a restreint les horaires des livraisons par véhicules à moteur, mais pas ceux des véhicules électriques et des vélos porteurs, afin d'encourager leur utilisation. De plus, il a été décidé que les 12.000 livraisons quotidiennes constatées dans le secteur seraient effectuées sur les aires de stationnement appropriées dans un délai limité à 20 minutes. Début 2017, la charte a été appliquée également aux quartiers de la ville rose situés entre le canal du Midi et la ceinture des grands boulevards, une zone où sont réalisées 5.000 livraisons par jour. A cette occasion, les véhicules roulant au gaz naturel (GNV) ont été autorisés à livrer à n'importe quelle heure, à l'instar des véhicules électriques.
Place nette autour du marché
Pour accompagner l'essor des livraisons "vertes", la ville et la métropole de Toulouse se sont engagées à favoriser l'implantation des équipements nécessaires à leur développement. Comme la station GNV de Fondeyre, fruit d'une collaboration avec les transporteurs et GRDF, qui a été inaugurée le 5 avril dernier. En outre, "une équipe" mène actuellement une étude pour repérer des espaces situés dans la zone du "dernier kilomètre" et sur lesquels pourrait être activé le droit de préemption urbain. Dédiés demain à des activités de stockage, ils pourraient servir de "point de jonction" entre les gros camions de marchandises et les petits véhicules adaptés aux livraisons en centre-ville, explique l'élu de Toulouse. La ville et la métropole encouragent par ailleurs de nouvelles pratiques de livraison pour le marché Victor-Hugo, le principal de la capitale occitane. Aujourd'hui les véhicules appartenant aux 85 commerçants et artisans stationnent devant la halle couverte. "Pas terrible pour un marché de qualité", considère Jean-Michel Lattes. Dans le cadre de la rénovation de la halle et de ses abords qui a démarré à l'été 2017, il a été décidé de libérer la place de ses camions et de proposer aux commerçants une liaison directe entre le marché d'intérêt national et la halle. Il reviendra au groupe la Poste d'assurer les livraisons de produits frais, en respectant un cahier des charges qui fixe des exigences notamment environnementales, précise l'adjoint au maire de Toulouse.
Le groupe public est prêt à relever le défi. Le leader de la livraison de colis en France - et numéro deux en Europe - a beaucoup investi ces dernières années pour répondre aux enjeux en termes d'écologie et de fluidité du trafic. Au volant de "la plus importante flotte de véhicules électriques au monde" (voitures, quads, véhicules à trois roues, vélos…), les salariés du groupe et de ses filiales démarrent leurs tournées, de plus en plus souvent, depuis des structures de stockage situées au cœur des villes. L'entreprise va poursuivre le développement de cette stratégie, comme à Paris. Elle s'est en effet fixé pour objectif, à l'horizon de 2024, d'effectuer les déplacements à l'intérieur de la capitale seulement à partir d'espaces logistiques urbains et de micro-dépôts de proximité. "Nous n'effectuerons plus aucune livraison à partir de sites logistiques extérieurs à Paris", souligne Emmanuel Bonnaud, directeur adjoint du programme de logistique urbaine de la Poste, qui participait à un atelier sur les mobilités, dans le cadre des journées nationales de France urbaine, le 5 avril dernier à Dijon. Avec des circuits en "boucle courte", la société sera totalement en capacité d'assurer des livraisons "sur-mesure", répondant à un souhait grandissant des clients, assure-t-il.
Stock minimum dans les boutiques
Avec des partenaires, la Poste compte aussi implanter des centres de mutualisation dans les plus grandes aires urbaines. Le principe consiste à regrouper les marchandises arrivant de l’extérieur des villes et à mutualiser leur acheminement final avec des véhicules à faible émission. "Dans les centres-ville, les livraisons sont loin d'être optimisées aujourd'hui : les véhicules de transport des comptes propres (artisans, commerçants…) ne sont remplis en moyenne qu'à 20 ou 30%", explique Emmanuel Bonnaud. "A Grenoble par exemple, on s'est aperçu qu'après avoir effectué des livraisons depuis Lyon, des camions de 44 tonnes n'arrivent qu'avec une ou deux palettes. C'est un véritable non-sens économique et écologique !", s'exclame-t-il. Sous la responsabilité d'un consortium piloté par la Poste et dont la Caisse des Dépôts est partie prenante, le premier centre de mutualisation a vu le jour l'an dernier dans la métropole iséroise. L'expérience devrait faire des émules, par exemple sur le territoire de Montpellier métropole, où un projet est en cours.
En s'appuyant sur ce type d'innovation logistique, la Poste et ses partenaires veulent aussi développer des services aux commerçants, collectivités et particuliers. Plutôt que d'investir à coup de milliers d'euros dans des caves ou des appartements qu'ils transforment en dépôts, les commerçants de Grenoble peuvent externaliser les stocks et leur gestion, en sachant qu'ils sont approvisionnés à la demande. Notamment grâce aux services déployés par le centre de mutualisation, ils peuvent même proposer à leurs clients de ne plus emporter eux-mêmes leurs paquets, mais de se faire livrer à domicile. "Les boutiques sont transformées en 'show-rooms' et le shopping devient un véritable agrément. S'il est en quête de plus de choix, le client fait son achat sur internet", décrypte Emmanuel Bonnaud. Selon lui, ces pratiques émergentes vont exploser au cours des prochaines années et, donc, rendre plus indispensables que jamais des solutions logistiques compatibles avec l'environnement et la qualité de vie en ville.
Six propositions en direction des collectivités
Dans son rapport sur les véhicules utilitaires légers (VUL), le député Damien Pichereau formule six propositions s'adressant directement aux collectivités territoriales pour "créer les conditions d'une logistique urbaine durable". Outre le développement de "guides de bonnes pratiques", il appelle à lancer une réflexion sur les prix du foncier pour favoriser l'implantation d'espaces logistiques urbains, y compris en cœur de ville. Pour optimiser le chargement des véhicules et massifier les flux, il propose également de réduire la part des livraisons effectuées en un délai très court en instaurant une taxe de 1 euro sur les livraisons réalisées dans un délai de 24h. "Cette taxe – de nature comportementale – s'appliquerait sur les livraisons réalisées pour le compte d'un particulier, explique le rapporteur. Elle permet en outre de lutter contre l'idée que le transport peut être gratuit. Son produit pourrait être utilisé afin de renforcer les espaces logistiques urbains." Pour remédier aux livraisons "sauvages" dans les zones fortement urbanisées, notamment à cause de l'insuffisance de places, il préconise aussi d'expérimenter la mise en place d'aires de livraison connectées et réservables. Il estime aussi que le sujet de la logistique urbaine devrait intégrer les différents documents de planification territoriale. "Il s'agit notamment d'identifier dans les Sraddet [schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, ndlr] les mesures de nature à favoriser la cohérence, l'intégration et le développement des infrastructures et des services de transport et de distribution de marchandises au niveau régional, explique-t-il. Ainsi il permettrait d'élargir le champ des objectifs des plans de déplacements urbains en matière d'organisation des conditions d'approvisionnement, au-delà des activités commerciales et artisanales, à l'approvisionnement (et enlèvement) en marchandises des populations du territoire afin de prendre en compte l'évolution des habitudes de consommation (développement du e-commerce et déplacements d'achat)." Enfin, pointe le rapporteur, "le manque de cohérence entre les politiques d'accès aux villes entre plusieurs communes limitrophes constitue un des freins au développement de la logistique massifiée par poids lourds, plus efficace du point de vue environnemental, que du transport non massifié par VUL. Les parcours de livraison doivent tenir compte de contraintes d'interdiction de circulation non harmonisées". Pour faciliter l'émergence de services d'aide d'organisation des tournées, le rapport invite donc à collecter tous les arrêtés de limitation de tonnage, de vitesse et d'interdiction de circulation.
Anne Lenormand